Chronique

Au pays de Mylène Farmer

Je sais peu de choses sur Pierrefonds-Roxboro. D’ailleurs, je ne suis pas le seul. Cet arrondissement de Montréal est sans doute le plus méconnu de tous. Méconnu de ceux qui vivent au cœur de la ville, de ceux qui restent enracinés dans ce cœur et qui ne jurent que par ce cœur.

Il me vient en mémoire cette scène savoureuse de la série Tout sur moi où le joyeux trio d’amis décide d’enjamber le fleuve pour aller sur la Rive-Sud. Juste avant d’arriver sur le sol longueuillois, ils sont pris d’un terrible moment de panique, comme s’ils posaient le pied en Tchétchénie. Les gens du cœur de la ville ont parfois l’air de cela quand ils se décident enfin à explorer des zones ignorées de la ville.

C’est donc avec l’âme d’un aventurier que je me suis rendu, un matin, dans cette enclave bilingue, située dans l’ouest de l’île et transformée en arrondissement montréalais lors de la fusion de 2006.

Fortement résidentiel, Pierrefonds-Roxboro respire la tranquillité. Ne cherchez pas de centre-ville, il n’y en a pas. En fait, on ne sait pas trop où il se trouve.

Il existe plusieurs Pierrefonds-Roxboro. Celui sans âme du boulevard des Sources qu’on emprunte à partir de la 40 ou du boulevard Gouin Ouest qui est la quintessence de ces artères commerciales laides, criardes, bariolées. Royaume des affiches hideuses, les commerces de cette voie sans fin ont des adresses longues comme des numéros de téléphone.

Heureusement, il y a un Pierrefonds-Roxboro bucolique, celui qui est fait de rues paisibles (les culs-de-sac abondent) bordées d’arbres matures et qui pointent vers la rivière des Prairies. Ce qu’ils ont de la chance, les riverains ! Enfin, ils ont de la chance quand ils ne sont pas inondés. Le jour de mon passage, j’ai vu plusieurs camions d’entreprises spécialisées en sinistres. Plusieurs résidants de Pierrefonds-Roxboro passent actuellement un été cauchemardesque.

Pour oublier le drame engendré par la crue des eaux de mai dernier, on peut aller se détendre dans les nombreux parcs ou espaces verts qui enrichissent l’arrondissement. Non seulement il y en a beaucoup, mais ils sont magnifiques. Je me suis retrouvé seul sur un banc, devant cette rivière tranquille et large, à nourrir des canards. Eh oui, on peut vivre cela à Montréal.

Mais bon, je n’étais pas venu à Pierrefonds-Roxboro juste pour nourrir les canards. Je m’étais investi d’une mission digne de James Bond : retrouver la maison où a grandi la célèbre chanteuse française Mylène Farmer. En effet, Jeanne Gautier (de son vrai nom) est née et a vécu à Pierrefonds jusqu’à l’âge de 8 ans.

Son père, Max Gautier, était ingénieur. Il est venu au Québec travailler à la construction du barrage de la Manicouagan. Lorsque Mylène est venue au monde, en 1961 à Pierrefonds, Max et sa femme Marguerite avaient déjà deux enfants. La petite famille a vécu au Québec jusqu’en 1969.

Celle qui a vendu 30 millions de disques à ce jour et dont des milliers de billets de spectacle s’envolent en 20 minutes parle peu de cette époque. En fait, Mylène Farmer parle peu de sa vie, point. Cette fille cultive le mystère sur sa personne avec un incroyable souci. Au fil des ans, elle a construit un véritable mythe autour d’elle.

De son enfance à Pierrefonds, elle dit garder le souvenir des grands arbres dans lesquels elle aimait grimper et la sensation de la neige sur sa peau. D’ailleurs, le thème de la neige revient souvent dans ses clips et ses chansons.

Je suis donc parti avec une adresse trouvée sur l’un des sites de fans de Mylène Farmer (ils sont nombreux à venir d’Europe pour apercevoir la maison d’enfance de leur idole).

Je n’ai pas eu de mal à trouver la résidence des Gautier qui, il faut le dire, est plutôt ordinaire. C’est un bungalow des années 60 comme il en existe des tonnes au Québec. J’ai rapidement (comme dirait Mylène) désenchanté.

Lors de mon arrivée, la nouvelle propriétaire de la maison s’apprêtait à partir. Je lui ai sauté dessus avec l’énergie d’un joueur de rugby. La dame a acheté la maison il y a un an. S’exprimant avec un fort accent slave, elle m’a dit être au courant qu’une « famous French singer » avait déjà habité là. Un voisin lui avait dit ça.

Je suis allé frapper à la porte de cinq ou six résidants. Aucun n’était au courant du passage de la star dans leur quartier. « Mylène who ? », m’a-t-on dit. Mon enquête s’est arrêtée là. De toute façon, qu’aurais-je pu apprendre ? Que Mylène Farmer vendait du Kool-Aid au bord de la rue quand elle avait 6 ans ?

Une source plutôt bien renseignée du milieu artistique m’a confié que Mylène Farmer est venue revoir cette maison l’an dernier. Elle a évidemment fait cette visite incognito. Qu’a-t-elle pensé de ce quartier qui l’a vue grandir ? Qu’a-t-elle ressenti à la vue de ce bungalow beige et terne ? Est-ce que cette histoire est vraie ? Est-ce encore un truc pour nourrir la légende de celle qui n’a jamais donné un spectacle au Québec ?

Après ma visite à Pierrefonds-Roxboro, je suis allé me balader à L’Île-Bizard. J’observais ces palaces érigés dans des domaines dignes de la série Dallas et je me disais que Mylène Farmer pourrait sans doute aujourd’hui s’offrir l’une de ces forteresses.

La vie est ainsi faite pour certains. Tu peux naître dans un bungalow de Pierrefonds, devenir une mégastar en Europe et finir tes jours dans un château de L’Île-Bizard.

Cette réflexion a fait en sorte que je me suis perdu dans mes pensées. J’avais tellement la tête dans les nuages que j’ai emprunté le boulevard Gouin en sens inverse pour retourner au cœur de la ville.

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