Un homme détestable Notre polar estival

Chapitre 21 : Au revoir, inspecteur

Fidèle à son habitude, Roger Panneton arriva le premier, le temps de prendre ses repères, de vérifier qu’il n’était pas suivi, et de s’installer dans un coin, le dos au mur, question de surveiller discrètement la porte du café.

Il ne la vit pourtant pas entrer, distrait par les images qui défilaient sur la télé à écran plat, derrière le comptoir. Découverte importante dans l’enquête sur le meurtre de l’homme d’affaires Antoine Meursault, disaient les caractères noirs qui défilaient au bas de l’écran. Une ombre se pencha autour de lui au moment précis où son patron, Jules Lessard, tournait le dos à la caméra en accélérant le pas, comme s’il voulait fuir les journalistes.

Une découverte ? Mais pourquoi Roger Panneton n’était-il donc pas au courant ? N’était-il pas chargé de cette enquête ?

Une voix légèrement éraillée, colorée par un accent non identifié, coupa court à ses ruminations.

– Désolée pour le retard, fit Lucia Lamaca, en s’asseyant devant lui.

Sous la lumière crue du néon, Lucia Lamaca ne ressemblait pas du tout à la créature de rêve qui posait au bras d’Antoine Meursault, sur la photo accompagnant un reportage sur les couples célèbres de Québec Inc.

Tête droite, décolleté dont la profondeur rivalisait avec la hauteur de ses stilettos, Lucia Lamaca affichait sur cette image un aplomb royal – à des milliers de kilomètres de la jeune femme au visage fatigué, vêtue d’un jeans et d’une chemise froissée, qu’il avait maintenant devant lui.

Elle semblait plus petite que sur la photo, presque chétive, exception faite de ses seins qui pointaient sous sa chemise, ultimes vestiges d’une grandeur passée.

Elle commanda un double espresso, jeta quelques regards furtifs autour d’elle, vérifia les messages sur son iPhone, avant de le ranger dans son sac à main.

– J’ai peur d’être la prochaine sur la liste, chuchota Lucia Lamaca, laissant transparaître un accent étranger un peu plus marqué.

Oui, elle connaissait Tania, et oui, elle était au courant de son aventure avec Meursault. Si elle était fâchée ? Et comment. Mais de là à les découper en petits morceaux, sa rivale et son mari ? Panneton la prenait-il pour une psychopathe ? Elle était du genre à déguster la vengeance longuement, à petites doses. Et pour ça, il lui fallait un Meursault vivant. Pas mort.

La serveuse revint, Lucia commanda un autre café. Panneton l’observa en se demandant si elle jouait la comédie. Son instinct lui disait que non, qu’il avait devant lui une femme traquée. Mais pouvait-il se fier à son instinct ?

Il y eut un silence et Panneton sentit son téléphone vibrer. Il s’excusa pour aller lire son message aux toilettes. C’était Bernie, le directeur du labo.

– On a trouvé le bras de Meursault, tatoué, amène-toi, disait son texto.

Panneton ne put s’empêcher de le rappeler.

– C’est quoi cette histoire de tatouage, Bernie ? Un dessin ? Des mots ?

– Les deux. Il y a une drôle d’image. Comme un pictogramme. En dessous, il y a les mots Collège Saint-Antoine. Suivis d’une phrase : Les premiers seront les derniers. Et encore en dessous, une sorte de formule mathématique, des chiffres, des lettres, n’importe quoi, Ça couvre tout l’avant-bras. Faut que tu voies ça, Panneton.

Quand l’inspecteur Panneton reprit sa place devant Lucia Lamaca, celle-ci était en train de fouiller dans son sac à main. Elle le referma d’un geste brusque. Elle avait profité de son absence pour se maquiller lourdement, une épaisse couche de rouge à lèvres carmin recouvrait maintenant sa bouche. Elle a remis son masque, pensa le policier. Lucia se leva, lui tendit la main, et susurra, avec cet accent indéfinissable : « Au revoir, inspecteur ».

Demain

Yves Boisvert : Concordia salus

Résumé du chapitre précédent

L’homme d’affaires Antoine Meursault avait lui aussi un lourd passé. Le suicide de sa mère conforte son fils adolescent dans la voie qu’il a choisie : se libérer du joug de ses parents pour transcender leur existence médiocre.

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