La Presse au 77Festival de Cannes

Meryl Streep, impériale

Meryl Streep, impériale, a été acclamée par quelque 2300 admirateurs au terme d’un rendez-vous organisé mercredi au Festival de Cannes. J’ai cherché un adjectif moins cliché qui lui conviendrait autant ; je n’en ai pas trouvé. Ce n’était pas un rendez-vous en tête-à-tête avec moi, bien sûr, mais plutôt une masterclass, comme on dit en France, animée par le journaliste Didier Allouch dans un Grand Théâtre Lumière archicomble.

Je ne pouvais être plus aux premières loges : première rangée, plein centre, à deux mètres à peine devant la plus grande actrice de cinéma américaine de sa génération, nommée 21 fois aux Oscars, un record. Parfois, ça vaut la peine de faire le pied de grue pendant une heure et demie pour une conversation d’une heure. « Si elle postillonne, on sera les premiers à le savoir », ai-je glissé à mon jeune voisin de siège qui semblait ravi de cette proposition.

La veille, pendant la cérémonie d’ouverture, Meryl Streep avait reçu de Juliette Binoche une Palme d’or honorifique. « Vous avez changé la façon dont on regarde les femmes dans le cinéma », lui a dit Juliette Binoche, très émue de lui remettre ce prix pour l’ensemble de sa carrière.

Et quelle carrière ! Un montage de ses films les plus connus a été présenté d’emblée, rappelant ses plus grands rôles, sur fond sonore de The Winner Takes it All d’ABBA, qu’elle chantait dans Mamma Mia ! Puis elle a parlé des principaux films qui ont jalonné sa carrière.

Elle était comment ? Exactement comme on se l’imagine : comique, vive, spirituelle, pleine d’autodérision, avec un sourire capable d’illuminer une (très grande) pièce.

Cette Palme d’or honorifique lui a fait particulièrement plaisir, a-t-elle ironisé, parce qu’à la maison, elle « ne reçoit aucune forme de respect » de la part de son mari, de ses quatre enfants et de ses cinq petits-enfants…

Elle n’aime pas, manifestement, parler d’elle, ce qui était l’essence même de l’exercice. Elle est arrivée en jetant un coup d’œil espiègle sur les questions de son intervieweur, posées sur la table basse au milieu de la scène. « J’aime voir les questions à l’avance ! » Elle a avoué dans la foulée être en lendemain de veille, après avoir fait la fête jusqu’à 2 h du matin avec l’équipe du film d’ouverture, Le deuxième acte de Quentin Dupieux.

Meryl Streep n’était pas revenue au Festival de Cannes depuis qu’elle y a remporté le Prix d’interprétation, il y a 35 ans, pour A Cry in the Dark de Frank Schepisi, dans le rôle d’une mère australienne soupçonnée d’infanticide. « J’aurais eu besoin d’une douzaine de gardes du corps, alors que je n’en ai jamais eu besoin aux États-Unis. C’était la folie ! »

Elle dit mener une vie très ennuyeuse. « Je ne suis pas une rockstar ! », a-t-elle déclaré, ce à quoi bien des spectateurs ont répondu : « Oh, yes, you are ! »

En parlant de Kramer vs Kramer (1979) de Robert Benton, qui lui a valu son premier Oscar, elle a précisé, « pour les moins de 70 ans », qu’il s’agissait d’un film sur le divorce. L’histoire d’une femme qui quitte son mari et lui laisse le soin de leur enfant.

Trouvant que le roman qui a inspiré le film était revanchard envers le mouvement de libération des femmes, et que le scénario faisait fi du point de vue du personnage féminin, c’est elle-même qui a rédigé le discours que son personnage livre devant le tribunal. « Kramer vs Kramer est un film sur le féminisme et sur le ressac face au féminisme », dit celle qui a toujours milité pour les droits des femmes, notamment dans le mouvement Time’s Up !

Pour préparer son rôle dans The Deer Hunter (1978) de Michael Cimino, qui a lancé sa carrière, Meryl Streep dit avoir puisé dans sa propre jeunesse dans une petite ville du New Jersey. « Il y a des jeunes de mon école secondaire qui sont allés combattre au Viêtnam et qui ne sont pas revenus. Mon copain de l’époque est devenu héroïnomane à son retour. Je réalise à l’instant pour la première fois que Michael Cimino aussi a proposé que j’écrive certains de mes dialogues. Ça ne m’arrive pas souvent, pourtant ! »

Au sommet de son art

Formée au chant classique avant ses études de théâtre à la Yale School of Drama, Meryl Streep aime chanter dans ses films. « Mais, dit-elle, j’ai toujours préféré le rock and roll et Joni Mitchell à l’opéra. À l’école, une prof nous a obligés à chanter devant tout le groupe. J’ai choisi It’s Lonely at the Top de Randy Newman, que j’ai chantée ironiquement parce que je n’avais pas un sou. »

Elle est aujourd’hui au sommet de son art, grâce à une vérité dans l’émotion que tous les acteurs doivent lui envier. Elle doute pourtant beaucoup de ses capacités, avoue-t-elle, et croit souvent qu’elle n’y arrivera pas. « Mon mari prétend que je dis ça tout le temps ! »

Dans Sophie’s Choice (1982) d’Alan J. Pakula, qui lui a valu son deuxième Oscar, elle incarnait une survivante de la Shoah. Ses yeux se voilent de tristesse lorsqu’elle en parle. « C’était difficile. Je n’aime pas y penser. »

Pour le rôle, elle a appris l’allemand et joué en anglais avec un accent polonais. L’un des nombreux accents – australien, irlandais, anglais pour The Iron Lady (2011) de Phyllida Lloyd pour lequel elle a obtenu un troisième Oscar – qu’elle a adoptés dans sa carrière, grâce à son oreille musicale.

« Si je n’avais pas maîtrisé des accents, j’aurais joué une fille du New Jersey toute ma vie ! »

— Meryl Streep

Elle a raconté pour le plus grand plaisir des spectateurs quantité d’anecdotes de tournage. Dans Out of Africa (1985) de Sydney Pollack, Robert Redford a d’abord eu du mal à lui laver les cheveux dans une rivière où traînaient des hippopotames. « Mais après cinq prises, j’étais amoureuse de lui ! C’est une scène de sexe. On voit des gens baiser au cinéma, mais c’est rarement aussi sensuel. »

Elle a joué autant dans des drames que des comédies (on vient de confirmer qu’elle sera de retour dans la prochaine saison de la série télé Only Murders in the Building) et n’a jamais cherché à faire des blockbusters. L’icône de 74 ans a connu un passage à vide au tournant des années 1990 avant de trouver le succès commercial à 58 et 60 ans, précise-t-elle, grâce à Mamma Mia ! et The Devil Wears Prada.

Elle a été l’égérie de grands cinéastes, dont Mike Nichols et Clint Eastwood, mais qu’est-ce qui fait selon elle un bon réalisateur ? « Un cinéaste assuré, passionné, qui instaure la confiance et qui a une histoire à raconter. Les plus grands rendent ça amusant en plus, mais ce n’est pas le plus important. »

Et lorsqu’il ou elle n’a pas toutes ces qualités ? « Je rentre chez moi cuisiner ! » Une reine, même au foyer.

Les frais d’hébergement pour ce reportage ont été payés par le Festival de Cannes, qui n’a eu aucun droit de regard sur celui-ci.

Moi aussi

Cannes dit Moi aussi

Il y avait beaucoup de spectateurs émus au Cinéma de la plage, mercredi soir, pour la présentation du court métrage Moi aussi de Judith Godrèche, en présence de la réalisatrice et de dizaines de victimes de violences sexuelles qui apparaissent dans ce film poétique de 17 minutes. « C’est la projection dont je rêvais », a déclaré la cinéaste, fer de lance du mouvement #metoo en France, aux autres survivantes. « Ce film vous appartient, vous le savez. Je suis fière d’être au Festival de Cannes qui ancre les films dans l’histoire du cinéma. J’ai fait la montée des marches et vous étiez avec moi. »

Moi aussi, qui était présenté simultanément en ouverture de la section Un certain regard, met en scène des dizaines de femmes surtout, mais aussi quelques hommes, réunis sur une place publique à Paris. La caméra glisse sur leurs visages au son d’une musique folk apaisante, pendant qu’une jeune femme mène la danse et la chorégraphie. On entend des murmures, puis tous et toutes se couvrent la bouche des mains, comme si on les avait empêchés de parler.

Une narratrice enchaîne les courts témoignages de viols et d’agressions, souvent sur des enfants. Les témoignages se superposent alors que l’on voit ces victimes rassemblées se serrer les coudes, se protéger la tête et se cacher le visage, au son d’un cœur qui bat. La jeune femme danse de plus belle, symbole d’une parole qui se libère, alors que chacun fait mine de se livrer un secret avant de s’enlacer.

Judith Godrèche a réalisé une œuvre toute simple, un film d’atmosphères, doux et poignant. Lorsque j’ai quitté la Croisette, une dame pleurait à mes côtés. Je l’ai entendue murmurer pendant le générique : « Moi aussi… »

Diamant brut

Une découverte

Pour son premier long métrage, Diamant brut, la cinéaste française Agathe Riedinger renoue avec un personnage de l’un de ses courts métrages, réalisé en 2017. Liane a 19 ans, beaucoup de caractère et d’ambition, et vit avec sa mère sans emploi et sa petite sœur dans un petit appartement de Fréjus, sur la Côte d’Azur.

Obnubilée par la célébrité, le bling bling et les « likes » sur les réseaux sociaux, elle est appelée en audition pour la téléréalité Miracle Island, ce qui lui attire quelques dizaines de milliers d’abonnés, mais aussi des commentaires désobligeants. Elle donne des conseils beauté, fait des chorégraphies sur TikTok, ainsi que des vols à l’étalage avec lesquels elle se paie des robes moulantes griffées et des implants mammaires.

Diamant brut est à la fois une réflexion sur l’hypersexualisation des jeunes femmes et sur les bienfaits d’un post-féminisme qui encourage l’autonomisation et le girl power lié au corps. « Je n’ai pas besoin d’un homme pour me protéger », dit Liane, qui est courtisée par un ancien camarade de centre jeunesse.

Agathe Riedinger pose un regard sans condescendance sur la réalité des aspirantes influenceuses. Ses personnages évoquent d’un côté la critique de la téléréalité, de l’exploitation des participants et de la mise en scène racoleuse des conflits autour de relations amoureuses ; et de l’autre, les aspirations de jeunes femmes qui voient une porte de sortie dans les nouveaux métiers liés à la célébrité de type Kim Kardashian. « C’est un talent d’être aimée ? », lui demande sa mère, avec qui elle est à couteaux tirés.

Ce récit d’apprentissage entre la lumière et le désespoir, bien ancré dans son époque, ne se démarque pas forcément par son style naturaliste, mais impose une ambiance et un rythme séduisants. Diamant brut est surtout porté par une jeune actrice très inspirée, Malou Khebizi, une découverte.

La jeune fille et l’aiguille

La jeune fille et l’amer

Magnus Van Horn, un cinéaste suédois de 41 ans qui a passé la moitié de sa vie en Pologne, enseigne le cinéma à la prestigieuse École de Lodz. Son premier long métrage, The Here After, avait été sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs en 2015 ; son deuxième, Sweat, était en sélection officielle à Cannes en 2020. Le voici en compétition grâce à La jeune fille à l’aiguille, un film tourné en danois et inspiré d’un célèbre fait divers. Karoline (Vic Carmen Sonne), une jeune ouvrière de Copenhague qui peine à payer son loyer à la fin de la Première Guerre mondiale, tombe enceinte. Elle fait la rencontre de Dagmar, qui dirige une agence d’adoption clandestine et qui changera sa vie. Filmé en noir et blanc, La jeune fille à l’aiguille peine à faire oublier ses influences néo-bergmaniennes – en bien moins abouti –, tellement le film reste englué dans un récit misérabiliste et une mise en scène qui se vautre dans des tonalités idoines. C’est sombre, c’est lugubre et ça finit par ennuyer.

Les frais d’hébergement pour ce reportage ont été payés par le Festival de Cannes, qui n’a eu aucun droit de regard sur celui-ci.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.