Résumé du chapitre précédent

L’inspecteur Roger Panneton tient une piste dans son enquête sur la mort d’Antoine Meursault. Tania, une prostituée de luxe devenue junkie, affirme avoir été la maîtresse de Meursault. Et avoir été témoin d’une rencontre entre son défunt amant et le parrain de la mafia, Enzo Battaglia, où il était question d’un terrain de L’Île-des-Sœurs...

Un homme détestable Notre polar estival

Chapitre 8 : « Roger, on le sait »

« Ah ! te voilà enfin… Je commençais à m’inquiéter… »

Il était presque 21 h. Louise déposa son roman sur la table du salon et se leva d’un bond pour accueillir son Roger.

Il était blême, la mine défaite. Elle ne l’avait jamais vu comme ça. Il la serra très fort dans ses bras, sans dire un mot.

« Qu’est-ce qui se passe, Roger ? »

Il y a des journées qu’il vaut mieux ne pas raconter. Les déposer sur l’épaule de ceux qu’on aime suffit. L’inspecteur-chef Panneton n’allait quand même pas dire à sa femme qu’il avait rencontré l’ex-escorte d’un homme dont il avait vu la tête tranchée et les yeux crevés sur un comptoir de la morgue. « Je suis juste très fatigué, dit-il. Je sors d’une longue réunion. »

La femme de l’inspecteur-chef sondait son regard. Elle était déjà de nature anxieuse. Mais depuis qu’elle avait trouvé cette bouteille de Meursault devant leur porte, elle n’arrivait plus à fermer l’œil. Cet appel anonyme d’un homme à la voix râpeuse n’avait pas arrangé les choses. « Roger, on le sait », avait dit l’homme, avant de raccrocher avec fracas. On le sait ? Que savaient-ils qu’elle ne savait pas ? « J’en sais rien ! », répétait l’inspecteur-chef, en haussant les épaules.

Le souper était prêt depuis un bon moment. Du poulet rôti et des petits pois qui ne demandaient qu’à être réchauffés. « Je t’attendais », dit Louise, en sortant les assiettes. « J’ai eu le temps de lire 50 pages de mon roman... »

L’inspecteur-chef n’avait pas faim. Mais il se mit à table comme si de rien n’était.

— Qu’est-ce que tu lis ? demanda-t-il, l’air faussement intéressé.

— Ça s’appelle Cinquante nuances de Grey… Il paraît que tout le monde lit ça. Huguette me l’a prêté pour me changer les idées. C’est un peu tordu… Pas ton genre.

De façon générale, la lecture n’était pas le genre de l’inspecteur-chef Panneton. Mis à part les actualités, la section des sports et les avis de décès du journal, il ne lisait rien. Il disait que la réalité lui suffisait. Il y a quelques années, sa fille aînée, croyant lui faire plaisir, lui avait offert un roman de Mario Puzo. Une grosse brique sur la mafia. Chaque année, au moment de faire ses valises pour la Floride, l’inspecteur-chef glissait le livre dans son sac. Chaque année, sa femme lui disait : « T’es sûr que tu veux encore apporter ce livre ? Il est vraiment lourd… » Il insistait. Cela devait faire au moins 10 ans que le signet écorné semblait coincé à la même page, au début du premier chapitre.

L’inspecteur-chef n’écoutait pas ce que sa femme racontait. Elle aurait pu lui décrire une scène torride, il ne s’en serait même pas aperçu. La scène d’horreur qu’il avait vue à la morgue le hantait. Il n’avait qu’une envie : refermer ce roman policier trop glauque qu’était devenue sa propre vie.

Son regard balaya la pièce pour s’arrêter sur la télé, qui était en sourdine. Il se raidit comme s’il venait de recevoir un électrochoc. À l’écran, il reconnut la silhouette rachitique de Tania, celle-là même qui disait être l’ex-maîtresse de Meursault et qui prétendait l’avoir vu avec le parrain de la mafia sicilienne. C’était elle, il en était sûr. Au bas de l’écran, un grand bandeau disait « Exclusif ».

— Merde ! Ils l’ont trouvée !

— Trouvé qui ? demanda sa femme.

Elle n’eut pas de réponse. L’inspecteur-chef, l’air affolé, se précipita vers la télécommande.

Prochain chapitre

Michèle Ouimet : Du sang de cadavre

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.