Incendie de forêt

Le Nord dévasté

Le nord du Québec s’envole en fumée. Le plus gros incendie de forêt de l’histoire de la province a continué de faire des ravages, hier, forçant l’évacuation de centaines de résidants des communautés riveraines de la baie James. Ceux qui sont restés vivent désormais dans un isolement quasi total.

« Ampleur sans pareille », « feu historique », « le plus gros incendie jamais vu » : les superlatifs ne manquent pas pour décrire l’incendie qui brûle à l’est d’Eastmain, une communauté crie qui était menacée en début de soirée par les flammes, n’étant séparée d’elles que par trois kilomètres.

« Le chiffre officiel veut que 350 000 hectares aient brûlé dans le feu d’Eastmain, ce qui en fait déjà l’un des plus grands incendies de l’histoire au Québec », avance Martin Girard, du Service canadien des forêts. « Mais selon les estimations de divers collègues, on parle de 560 000 hectares. Le plus grand feu de l’histoire de la province date de 1989 et totalisait 377 000 hectares. Celui-ci arrivait au 11e rang de l’histoire du Canada. Alors on est peut-être dans le top 5 canadien avec celui d’Eastmain. »

Top 5 ou pas, l’incendie marquera l’imaginaire collectif, croit Fred Tomatuk, l’un des 450 résidants d’Eastmain évacués et pris en charge par la Croix-Rouge à Val-d’Or. « On va se souvenir de l’année 2013. On va aller sur le territoire et expliquer à nos enfants à quoi ça ressemblait avant le feu. Je ne sais même pas si je vais avoir le temps de voir la nature se régénérer de mon vivant », se désole-t-il. « Pour éduquer les jeunes à la chasse et à la pêche, on va devoir offrir nos sites, nos campements, puis partager ce qu’on attrape », ajoute-t-il, en soulignant que 8 des 15 lignes de trappe de sa communauté, notamment celle où il est né, sont déjà chose du passé.

Une ampleur sans pareille

Si le feu a pris autant d’ampleur, c’est notamment parce que la Société de protection des forêts contre le feu (SOPFEU) n’intervient pas au nord du 51e parallèle, région où la petite taille des arbres fait en sorte qu’ils suscitent peu d’intérêt « commercial ». « On n’intervient pas là où ce n’est pas rentable », résume Jacques Viger, directeur régional, Sécurité civile et sécurité incendie Abitibi-Témiscamingue-Nord-du-Québec. D’autant plus que les flammes finissent habituellement par perdre de la force d’elles-mêmes, les arbres étant rares dans les espaces désertiques du nord de la province. »

« On envoie seulement la SOPFEU quand l’incendie devient une menace pour une communauté », explique Jacques Giroux, directeur régional délégué aux Affaires autochtones. « On suivait la situation depuis le 26 juin, mais l’intervention a commencé vendredi, quand le feu s’est approché à une quinzaine de kilomètres d’Eastmain », souligne-t-il. Ce jour-là, le vent a changé de direction, pour souffler vers l’est. « La communauté entière s’est remplie de fumée. Je ne voyais plus de l’autre côté de la rue », se rappelle Fred Tomatuk. « Même les autorités qui sont arrivées sur place nous ont dit qu’elles ne s’attendaient pas à ça. Je ne veux pas les blâmer, mais je me demande pourquoi ils ne sont pas intervenus plus tôt. »

Routes barrées et communautés isolées

Par souci de sécurité, la route de la Baie-James, qui fait 620 kilomètres entre Matagami et Radisson, a été fermée au kilomètre 275, isolant du même coup Eastmain, Wemindji, Chisasibi et Radisson. Là-bas, la population risque de se retrouver coupée du reste de la province, elle qui dépend des approvisionnements quotidiens par camion en essence et en nourriture. « Les communautés ont toutes des plans d’urgence », souligne toutefois Jacques Giroux, des Affaires autochtones. « Pour l’instant, elles sont encore toutes accessibles par voie aérienne. Si ça se détériore, on procédera à d’autres évacuations. » Pour éviter que la situation ne dégénère, une centaine de travailleurs de la SOPFEU, assistés de résidants d’Eastmain, travaillaient d’arrache-pied hier pour dresser un coupe-feu autour de la communauté et isoler une ligne électrique. À l’est, Nemaska était encerclée par trois feux.

Évacuation de la Sarcelle

La centaine de travailleurs du chantier de la centrale hydroélectrique de la Sarcelle ont quant à eux été évacués de manière préventive. Des tranchées ont été creusées autour des installations qu’Hydro-Québec a également équipées de gicleurs. Environ 20 pompiers volontaires ont été envoyés sur place pour combattre d’éventuelles flammes. Une tour de télécommunication a aussi été entourée de mousse ignifuge. « La situation est très imprévisible », remarque Marie-Élaine Deveault, porte-parole à la société d’État, qui a dû gérer une panne sans précédent jeudi, quand trois de ses lignes ont été touchées. « Pour réduire le risque de pannes, nous faisons transiter de l’énergie par d’autres lignes. On priorise celles de l’est de la province comme Churchill et Manic-Outardes. On ne peut cependant pas couper le trafic complètement pour des questions d’équilibre du réseau. »

Plus au sud, le maire de la ville de Matagami et président de la Conférence régionale des élus de la Baie-James (CRÉBJ), René Dubé, a demandé une intervention du gouvernement, se disant préoccupé par la situation des communautés isolées par les flammes. René Dubé s’inquiète également pour les installations minières du projet Éléonor de Golcorp, qui est en phase de construction et qui représenterait un investissement d’environ un milliard de dollars. Pas moins de 800 travailleurs ont été évacués, une quarantaine sont restés pour surveiller le site, qui est à 80 kilomètres du brasier.

— Avec La Presse Canadienne

Incendie de forêt

Inquiétudes au nord du 51e parallèle

La vitesse à laquelle l’incendie de forêt au nord du 51e parallèle se propage sème l’inquiétude chez les populations des communautés riveraines de la baie James.

« Tout est correct et sous contrôle au Centre hospitalier régional de Chisasibi. Ils sont préparés à la situation. Les gens de la région sont habitués de vivre avec l’inquiétude des feux de forêt. Et la population évacuée a hâte de revenir », constate la responsable aux communications du Conseil cri de la santé et des services sociaux de la baie James, Katherine Morrow

Via les médias sociaux, certains rappelaient l’impact du feu sur la faune. « Le saviez-vous : ce ne sont pas que 250 0000 hectares qui brûlent à la baie James, ce sont des dizaines de lignes de trappe qui brûlent », souligne Gilbert Hamel via Twitter. 

Une observation partagée par Sylvain Paquin. « De très nombreuses lignes de trappe sont affectées par les incendies. Les gens semblent oublier qu’il n’y a pas que des installations », a-t-il écrit. 

 « Donc, si je comprends bien, le nord du Québec brûle et le gros drame est que certaines personnes ont manqué d’air climatisé hier », ironise pour sa part Yannick Gagné, également via Twitter. 

— Caroline d’Astous

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