vaccination
Plus de flexibilité, mais des défis demeurent

Les vaccins de Pfizer pourront maintenant être déplacés d’un endroit à l’autre. Mais une question demeure : jusqu’à quand peut-on étirer la seconde dose ?

Le vaccin Pfizer pourra être déplacé

Québec et Ottawa —  — Changement majeur dans la distribution du vaccin Pfizer-BioNTech contre la COVID-19 : le fabricant américain autorise les autorités sanitaires à déplacer le vaccin d’un endroit à l’autre. Ce nouveau développement vient changer la donne au Québec en offrant un accès accru au vaccin.

Pfizer a confirmé qu’il sera désormais possible de diviser le fameux plateau de 975 doses en « unités portatives plus petites à des fins de redistribution » vers d’autres lieux. Pour l’heure, on le sait, le vaccin Pfizer-BioNTech est plutôt capricieux.

En plus de devoir être gardés à une température de - 80 °C, les vaccins (chaque boîte contient 975 doses) ne devaient pas être déplacés une fois arrivés à destination, ce qui compliquait la distribution à travers la province. En d’autres mots, une fois la boîte ouverte, il fallait distribuer les 975 doses au même endroit.

En décembre, Québec avait dû user de stratégies en établissant des sites de vaccination à proximité de CHSLD pour vacciner les clientèles prioritaires. Les travailleurs de la santé pouvaient se rendre sur place, mais il était plus complexe de déplacer les usagers. Selon nos informations, le gouvernement Legault discutait étroitement avec Pfizer pour qu’il assouplisse ses directives liées à la distribution.

La nouvelle autorisation offre donc plus de flexibilité aux autorités québécoises pour vacciner plus rapidement les clientèles vulnérables d’un établissement à l’autre.

« Je pense que ça va faciliter le déploiement, parce qu’au lieu de dire à tout le monde de se déplacer vers un point central qui parfois est vraiment excentré […], on va être capables d’avoir des équipes de vaccination dans différents milieux, surtout dans des régions où il y a 500 km entre deux hôpitaux. Il va y avoir une capacité à vacciner plus de gens plus près d’où ils travaillent », a commenté la Dre Caroline Quach, pédiatre, microbiologiste-infectiologue et épidémiologiste au CHU Sainte-Justine.

« Est-ce que c’est un game changer en termes de vitesse ? Pas nécessairement, mais en termes d’accessibilité, de capacité à aller rejoindre des gens qui hésiteraient face à la vaccination ou qui refuseraient parce que c’est juste trop compliqué d’aller le chercher, on s’assure quand même que la dose finisse dans le bras », a ajouté celle qui préside le Comité consultatif national de l’immunisation (CCNI).

Des déplacements stricts

Il reste que le déplacement du vaccin doit quand même se faire selon des consignes strictes. Pfizer a expliqué à La Presse avoir fourni aux autorités sanitaires des directives « afin de diminuer les risques auxquels le vaccin pourrait être exposé durant la redistribution ». Le fabricant recommande toujours de ne pas redistribuer le vaccin, faut-il le préciser.

« Notre modèle reste l’expédition directe vers les points de vaccination utilisés dans tout le Canada. Toutefois, nous comprenons que dans des circonstances particulières, comme la vaccination de personnes en CHSLD ou en régions éloignées, les autorités sanitaires peuvent envisager de transporter le vaccin vers un autre site. »

— Pfizer Canada dans un courriel

Ainsi, les centres de vaccination seront responsables de la « déconsolidation du conteneur d’expédition isotherme (lorsque le vaccin est livré) et des plateaux portatifs » de doses qui seront déplacées.

Ils doivent aussi se procurer leurs propres conteneurs d’expédition et les dispositifs de surveillance de la température, conformes aux exigences de stockage réfrigéré, ainsi que choisir leur propre transporteur pour la redistribution, écrit Pfizer.

20 millions de doses additionnelles

À Ottawa, mardi, le gouvernement fédéral a annoncé l’ajout de 20 millions de doses du vaccin Pfizer-BioNTech à son panier d’immunisation. Ces millions de doses du vaccin devraient être expédiés en avril ou en mai. Leur arrivage ne modifie pas l’échéancier à moyen terme, qui demeure de faire vacciner environ trois millions de personnes d’ici la fin du mois de mars, a indiqué le premier ministre, Justin Trudeau.

Dans l’intervalle, à compter de cette semaine et d’ici la fin du mois de février, le Québec doit recevoir 398 025 doses du vaccin de Pfizer-BioNTech et 133 200 de celui produit par Moderna, selon les projections du fédéral.

Ensuite, au milieu du printemps, la cadence s’accélérera considérablement : le Canada aura alors entre les mains suffisamment de doses de ces deux vaccins – les seuls approuvés jusqu’à présent – pour vacciner jusqu’à 20 millions de personnes entre avril et juin, a soutenu Justin Trudeau.

Et à plus long terme, les ententes d’approvisionnement avec les deux compagnies pharmaceutiques se traduiront à elles seules par un accès à quelque 80 millions de doses pour 2021. À raison de deux doses par vaccin, c’est donc dire que 40 millions de personnes – le Canada compte 38 millions d’habitants – pourraient être immunisées.

Six semaines avant une deuxième dose

Dans un rapport du CCNI publié mardi soir, on formule la recommandation que la seconde dose de ces deux vaccins ayant jusqu’à présent obtenu le feu vert de Santé Canada soit injectée au plus tard six semaines après la première, vu l’ampleur de la pandémie et la disponibilité limitée des vaccins.

« Certaines provinces et certains territoires peuvent maximiser le nombre de personnes bénéficiant d’une première dose de vaccin en retardant l’administration de la deuxième dose jusqu’à ce que d’autres approvisionnements en vaccins soient disponibles, de préférence sans dépasser les 42 jours après l’administration de la première dose. »

— Rapport du Comité consultatif national de l’immunisation

Ce faisant, le CCNI se range derrière l’avis actuel de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) plutôt que de suivre l’exemple du Royaume-Uni, où les autorités de santé publique ont déterminé que la deuxième dose pouvait attendre jusqu’à trois mois.

Le gouvernement Legault, qui avait annoncé le 31 décembre qu’il ne conserverait pas la deuxième dose en réserve, souhaite se pencher sur ces nouvelles informations avant de statuer, a-t-on signalé au cabinet du ministre québécois de la Santé, Christian Dubé, dans un courriel transmis à La Presse, mardi.

« La Santé publique continue d’avoir des échanges avec les instances scientifiques concernées afin d’évaluer le meilleur délai pour offrir la deuxième dose aux Québécois. La décision de la Santé publique sera communiquée rapidement », a écrit l’attachée de presse du ministre, Marjaurie Côté-Boileau.

La Dre Caroline Quach insiste sur le fait que rien n’oblige Québec à embrasser les recommandations du comité. En revanche, si le gouvernement Legault choisit d’aller au-delà des six semaines, il lui faudra suivre étroitement l’évolution des choses, croit-elle.

CHSLD Maimonides

Sept résidants infectés après avoir reçu leur première dose

Même s’ils ont eu une première dose du vaccin contre la COVID-19 en décembre, sept résidants du CHSLD Maimonides ont reçu un diagnostic positif à l’infection dans le dernier mois. Une situation qui, tout en étant malheureuse, est aussi « prévisible », préviennent les experts en vaccination, qui appellent à user de prudence dans l’interprétation de ces infections.

Dans une note envoyée mardi aux familles des résidants du Centre gériatrique Maimonides Donald Berman, la direction indique que sept résidants actuellement infectés « ont tous reçu la première dose du vaccin contre la COVID-19 et ils ont été infectés au cours des 28 premiers jours suivant l’administration de cette dose ».

La direction ne précise pas combien de jours après la vaccination chacun de ces résidants a été infecté. Il s’agit là d’une information importante pour comprendre l’effet de la vaccination, rappelle le DGaston De Serres, épidémiologiste à l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ). « Le vaccin a besoin de deux semaines pour stimuler la réponse immunitaire pour nous protéger. C’est comme ça pour tous les vaccins », dit le DDe Serres.

Les études cliniques menées par les sociétés pharmaceutiques Pfizer-BioNTech et Moderna montrent que pendant les 14 jours ayant suivi l’administration de la première dose, les deux groupes étudiés (celui qui a reçu le vaccin et celui qui a reçu le placebo) affichaient des taux d’infection comparables.

Après 14 jours, par contre, la différence était claire : ceux qui avaient été vaccinés ont été protégés à plus de 90 %. Encore là, rappelle l’épidémiologiste, « aucun vaccin n’est efficace à 100 %, et on sait qu’une partie des gens vaccinés tombera malade ».

« Si on est déjà infecté au moment de recevoir le vaccin, on peut faire la maladie. Si on est infecté rapidement après avoir reçu le vaccin, on peut avoir la maladie », précise le DDe Serres. L’infection de résidants vaccinés est donc « prévisible, même si c’est évidemment très triste, puisqu’on peut penser que s’ils avaient été vaccinés deux semaines plus tôt, ils n’auraient pas été malades ».

Des analyses à faire

La direction du CHSLD – qui n’a pas rappelé La Presse mardi – dit collaborer « avec les équipes de Prévention et contrôle des infections et de Santé publique pour analyser la situation ». On compte actuellement 327 résidants dans ce CHSLD de l'ouest de l'île de Montréal.

Parmi les parties impliquées dans l’enquête se trouvera notamment l'équipe du Laboratoire de santé publique du Québec, chargée de la surveillance des souches du coronavirus qui circulent sur son territoire. Le séquençage d’échantillons aléatoires et ciblés doit permettre de repérer si un variant résistant aux vaccins est en train d’apparaître. « C’est typiquement le genre de situation pour laquelle on a un programme en place », explique Sandrine Moreira, responsable de la génomique et de la bio-informatique à l’INSPQ.

Spécialiste en médecine sociale et préventive à l’École de santé publique de l'Université de Montréal (ESPUM), la professeure Marie-France Raynault rappelle que plusieurs nuances s’imposent dans l’interprétation de ces sept cas positifs, qui ne doivent en rien être généralisés, selon elle.

« À Montréal comme à Québec [au CHSLD Saint-Antoine], il y a eu des cas d’infection après le vaccin, sauf que l’analyse est toujours en cours. Il faut surtout qu’on regarde la temporalité par rapport au moment où ç'a été reçu », dit-elle.

« Le vaccin de Pfizer est efficace à 90 % après 12 jours, mais seulement à 50 % dans les sept premiers jours. Évidemment, si l’infection se produit dans les deux premiers jours, l’efficacité de protection est quasiment nulle.  »

— Marie-France Raynault, professeure à l’École de santé publique de l'Université de Montréal

La spécialiste rappelle par ailleurs que les vaccins préviennent souvent des complications plus graves, même en cas d’infection contractée à la suite de l’administration d’une dose. « C’est le cas de l’influenza. La maladie est alors moins forte, et ça empêche les risques plus importants », affirme l’experte, soulignant par ailleurs qu’il faudra aussi s’attarder à l’âge des sept patients déclarés positifs.

« On veut que la science soit suivie »

Selon les sociétés pharmaceutiques qui les ont développés, les vaccins actuellement homologués doivent être administrés en deux doses, avec la seconde dose administrée après 21 jours (vaccin Pfizer) ou 28 jours (vaccin Moderna), pour atteindre une efficacité de 95 %.

La semaine dernière, des familles du CHSLD Maimonides ont mis en demeure le gouvernement Legault de donner aux résidants la seconde dose du vaccin Pfizer. Son administration avait été suspendue quelques jours auparavant, Québec ayant choisi d’étirer l’intervalle entre les deux doses et d’utiliser tous ses vaccins pour immuniser un maximum de personnes.

Pour le Dr De Serres, l’administration d’une seconde dose à 21 jours n’aurait rien changé au bilan annoncé mardi par la direction du CHSLD. Les études cliniques de Pfizer, par exemple, ont montré une protection de 95 % après le septième jour suivant l’administration de la seconde dose.

Mais pour Joyce Shanks, membre du Comité de défense des familles de Maimonides, dont le père vit dans ce CHSLD depuis cinq ans, « ce qui arrive aujourd’hui démontre qu’on n’est pas protégés après une dose. Il y a sept cas déjà. Pour nous, c’est une preuve additionnelle », a-t-elle martelé mardi. Selon elle, Québec doit respecter sa parole. « On a donné notre consentement sur la base des deux doses. Et on veut que la science soit suivie, pas seulement pour nous, mais pour tout le monde », ajoute Mme Shanks. « On a échappé et gaspillé des doses, c’est ça, la réalité », ajoute-t-elle.

La décision de Québec de reporter l’administration de la seconde dose du vaccin divise certains experts et le milieu politique. Si certains approuvent entièrement l’idée, d’autres se questionnent sur le manque d’études cliniques qui la soutiennent. Mardi, le Comité consultatif national de l’immunisation (CCNI) a formulé la recommandation que la seconde dose des deux vaccins qui ont jusqu’à présent obtenu le feu vert de Santé Canada soit injectée au maximum six semaines après la première.

Marie-France Raynault, pour sa part, soutient la démarche du report de la seconde dose « à 500 % ». « On est dans une période de transmission accrue, il y a des dizaines de personnes qui meurent par jour, et on sait que la première dose protège. Pour moi, c’est clair : il faut vacciner le plus de personnes », affirme-t-elle.

Tests de dépistage

« La salive, c’est plus simple »

Les tests de salive pour dépister la COVID-19 sont au moins aussi précis que ceux utilisant les écouvillons et sont beaucoup moins chers, selon une étude montréalaise. Ses auteurs suggèrent que les laboratoires québécois adoptent cette stratégie.

Faux négatifs

La méta-analyse de 37 études totalisant 7000 échantillons de salive et d’écouvillons nasopharyngés, pour la détection du SARS-CoV-2, le coronavirus responsable de la COVID-19, est claire : les deux méthodes sont équivalentes en ce qui concerne le risque de faux négatifs. « En fait, il y a plus de variabilité avec les écouvillons nasopharyngés parce qu’il faut que l’échantillon soit pris d’une certaine manière, alors qu’avec la salive, c’est plus simple », explique Jonathon Campbell, du Centre universitaire de santé McGill (CUSM), auteur principal de l’étude publiée dans la revue Annals of Internal Medicine. Pour des raisons méthodologiques, l’étude a fait l’hypothèse qu’il n’y avait pas de faux positifs – ceux-ci sont de toute façon moins problématiques sur le plan du contrôle de la pandémie.

Infirmières et attente

La méta-analyse montréalaise conclut que seulement en tenant compte du temps de travail des infirmières et du coût du matériel de protection individuelle et de prélèvement, le test de salive coûte 6,36 $ US de moins que le test par écouvillons. Et cela ne tient pas compte du temps de déplacement et d’attente des patients — qui, avec le test salivaire, peuvent en théorie faire le prélèvement chez eux et le déposer dans un point de chute. La prochaine étape est donc de déterminer pourquoi la plupart des laboratoires québécois n’utilisent pas beaucoup les tests de salive. « Il faut mettre un peu de temps pour la transition, et en ce moment, les microbiologistes ont très peu de temps », dit M. Campbell, qui est épidémiologiste et économiste de la santé. « Les laboratoires sont aussi souvent dans les hôpitaux, où un test est souvent une question très importante, alors les microbiologistes sont réticents à abandonner un test qu’ils considèrent comme plus fiable [gold standard]. »

Gargarisme

La salive a aussi l’avantage d’être très stable, pouvant rester longtemps hors du frigo. Une autre approche est de recueillir le gargarisme du patient avec une solution de sel, ce qui diminue le problème de viscosité de la salive pour les tests de laboratoire. Mais le gargarisme n’a pas été évalué par la méta-analyse de M. Campbell. La Colombie-Britannique, qui est l’une des provinces qui utilisent le plus les tests de salive, se sert du gargarisme, et l’Ontario le teste dans des projets-pilotes, selon M. Campbell.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.