Révolution en 3D
Québec — « Le premier patient qu’on va traiter ne sait pas encore qu’il a le cancer. Probablement qu’il est chez lui, qu’il ressent de la douleur et se dit que ça va passer… »
Le Dr Benoît Guay répare depuis des années les dégâts causés par les tumeurs de la bouche. Le chirurgien maxillo-facial, qui œuvre au CHU de Québec-Université Laval (CHU), sait trop bien comment elles peuvent sournoisement éroder la mâchoire et la scier en deux.
En février, une nouvelle arme lui permettra d’atténuer les souffrances de certains patients : le tout premier implant médical fabriqué au Canada avec une imprimante 3D.
Cette technologie – aussi appelée fabrication additive – révolutionne la médecine en permettant de produire – une à la fois – des prothèses sur mesure, parfaitement adaptées à l’anatomie de chaque patient.
Les nouveaux implants de mâchoire seront modélisés au CHU à partir de radiographies. Ils seront ensuite imprimés au Laboratoire de reconstruction anatomique 3D d’Investissement Québec – Centre de recherche industrielle du Québec (CRIQ), une société d’État qui aide les entreprises québécoises à adopter les nouvelles technologies.
C’est la première fois que Santé Canada autorise une organisation canadienne à commercialiser un implant médical imprimé en 3D.
Le CHU et le CRIQ ont réalisé cette première après quatre ans d’efforts.
Santé Canada leur permet d’approvisionner tous les hôpitaux canadiens qui en feront la demande, à condition de respecter certains standards de livraison.
L’autorisation obtenue concerne une mince barre de titane, conçue pour reconstruire la mâchoire inférieure en y fixant un nouveau segment d’os.
Et ce n’est qu’un début, prédit la vice-présidente du CRIQ, Lyne Dubois, qui envisage d’autres collaborations et la fabrication d’autres implants. « On vient d’ouvrir aux entrepreneurs québécois une voie qui n’existait pas », se réjouit-elle (voir onglet suivant).
L’ingénieur mécanique Olivier Marcotte, qui travaille aussi au CRIQ, abonde dans le même sens. « Peu importe la forme à produire, on peut utiliser le même appareil. C’est un gros avantage », précise-t-il.
Le Dr Gaston Bernier, chef médical du Service de médecine dentaire en oncologie au CHU, compte déjà concevoir d’autres types d’implants. « On pourra fabriquer des solutions inédites en quelques jours. Une radiographie et un logiciel de transformation suffisent », dit-il.
« Inutile de passer par des multinationales ! On a tous les experts et toute la matière première au Québec. On peut très bien développer une capacité de production autonome à coût raisonnable. »
— Le Dr Gaston Bernier, chef médical du Service de médecine dentaire en oncologie au CHU de Québec-Université Laval
Le dentiste-oncologue a bon espoir de pouvoir obtenir – au cas par cas – la permission spéciale d’implanter des prothèses destinées à la mâchoire supérieure, au crâne, à la colonne vertébrale, etc.
Reconstruire une mâchoire inférieure requiert actuellement une dizaine d’heures. Les chirurgiens doivent prélever un morceau d’os de jambe et le sculpter soigneusement pour remplacer la zone grugée par le cancer.
Les barres métalliques utilisées pour relier le tout doivent être courbées avec minutie, puis stérilisées, en pleine intervention. Ce qui peut prendre une heure.
Les nouveaux implants du CRIQ arriveront déjà parfaitement moulés et stérilisés.
« En épargnant une heure de chirurgie, on épargnera une heure de saignements et on réduira la souffrance, les risques d’infections et les complications. On aura moins besoin de ramener des patients au bloc opératoire, d’occuper des lits et des ressources. »
— Le Dr Benoît Guay, chirurgien maxillo-facial au CHU de Québec-Université Laval
À l’heure actuelle, plus de 10 % des patients doivent être réopérés dès la première année.
« Dans certains cas, les plaques actuelles fracturaient et pouvaient même transpercer la peau, expose le Dr Guay. Tout se mettait à bouger, le patient ne pouvait plus manger. »
N’ayant plus à être pliés, les nouveaux implants sont faits d’un alliage plus résistant. En plus d’épouser le contour de l’os à la perfection, ils sont donc plus petits. « Le résultat s’avérera beaucoup plus esthétique », affirme le chirurgien.
Les implants du CRIQ sont accompagnés de guides de coupe et de vissage, eux aussi adaptés à l’anatomie de chaque patient, précise-t-il. « Parce que si la barre ne se trouve pas placée exactement à la bonne place, les dents fermeront mal et manger sera difficile. »
Si tout va bien, une douzaine de patients québécois bénéficieront de cette innovation en 2022, et par la suite, plusieurs dizaines.
Des couches aussi minces que du papier
Les imprimantes médicales du CRIQ sont plus hautes qu’un humain, mais la chambre interne qui abrite leurs créations fait moins d’un mètre carré. Y imprimer une barre mandibulaire requiert une dizaine d’heures. Des couches de poudre métallique aussi fines qu’une feuille de papier s’additionnent, déposées une à une par la tête de l’imprimante. Derrière une vitre verte, qui coupe les longueurs d’onde, des traits lumineux apparaissent par intermittence. Ils sont provoqués par un faisceau laser guidé par un logiciel. Le laser fait fondre les strates de poudre aux endroits souhaités afin de les fusionner.
Le cancer de la bouche
On diagnostique environ 450 nouveaux cancers de la bouche chaque année au Québec. Environ 70 d’entre eux érodent la mâchoire inférieure et sont guérissables (donc admissibles à recevoir un implant chirurgical). « Souvent, quand les patients arrivent dans notre bureau, ils sont au bout. Ça fait longtemps qu’ils ont de la douleur, qu’ils ont du mal à manger, qu’ils ne dorment pas », constate le chirurgien Benoît Guay, qui presse donc les gens de consulter sans tarder si des symptômes inhabituels perdurent, quels qu’ils soient. L’alcool, le tabac et le virus du papillome humain (VPH) – qui touche surtout des gens plus fortunés, contrairement aux deux premiers facteurs – augmentent le risque.
8 millions
Somme investie pour mettre au point et faire homologuer le nouvel implant mandibulaire du CHU et du CRIQ
0,5 à 1 million
Coût des imprimantes 3D du CRIQ
15 000 à 20 000 $
Prix approximatif des barres de reconstruction imprimées la première année (le prix unitaire devrait chuter en fonction du volume)