« Notre organisation doit changer », dit le chef du SPVM
« Montréal change, la société change, notre organisation doit changer », a déclaré mercredi matin le chef de la police de Montréal, à l’occasion du dévoilement d’une nouvelle politique visant à lutter contre les préjugés qui entraînent un nombre disproportionné d’interpellations de membres de certaines communautés, notamment les Noirs, par les forces de l’ordre de la métropole.
« Un changement de culture, ça prend du temps. Et ça prend de nombreux petits gestes, pas un seul geste. On s’inscrit dans un changement de culture important dans l’organisation », a promis Sylvain Caron, directeur du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), en entrevue avec La Presse.
L’automne dernier, un groupe de chercheurs indépendants a produit pour le SPVM un rapport qui démontrait que les Noirs couraient quatre fois plus de risques que les Blancs d’être interpellés par la police à Montréal. Les personnes d’origine arabe ont quant à elles deux fois plus de risques d’être interpellées que les Blancs. Dans les deux cas, cette surreprésentation n’est pas justifiée par la contribution de ces groupes aux crimes ou aux incivilités, a révélé le rapport.
Les chercheurs avaient uniquement compilé les données sur les interpellations, soit des interventions où les policiers demandent à une personne de se nommer et ont pris note de ses informations personnelles, sans que l’interaction se soit soldée par une sanction comme une amende ou une accusation criminelle.
Les chercheurs avaient refusé d’utiliser l’expression « profilage racial », faute de données suffisantes sur les motifs des interventions. Mais ils constataient à tout le moins un « biais systémique très apparent » dans les données.
Le SPVM s’était donc engagé à produire une politique pour encadrer les interpellations. La procédure présentée mercredi dit vouloir contribuer à « la lutte contre les disparités dans les interpellations policières ».
Dorénavant, les policiers devront justifier chaque interpellation par des « faits observables ». Pas par une intuition. Pas par un choix au hasard. Pas par un contrôle « de routine ».
Une fiche devra être remplie pour expliquer la justification et noter l’identité ethnoculturelle perçue de la personne interpellée. Ces données seront rendues accessibles aux chercheurs qui étudient les disparités dans les interpellations (le groupe de chercheurs qui a produit le rapport de 2019 vient d’ailleurs de voir son mandat renouvelé).
La fiche devra aussi préciser si le contact a été engagé par le policier ou s’il découle d’un appel au 911 ou d’un signalement fait en personne par un citoyen. Car les chercheurs s’intéressent notamment à la possibilité qu’un préjugé systémique existe dans les appels au 911. Par exemple, si des résidants d’un quartier appellent sans justification au 9-1-1 lorsqu’ils voient un attroupement de personnes appartenant à un groupe ethnoculturel en particulier, le nombre d’interpellations visant ce groupe risque d’augmenter.
La direction du SPVM affirme que le rapport publié l’automne dernier lui a fait prendre conscience qu’il ne fallait pas seulement se préoccuper des cas où un policier ferait « ouvertement » du profilage racial en ciblant un groupe dans le cadre de son travail, mais qu’il fallait aussi s’attarder à ceux qui reproduisent des « biais systémiques » inconsciemment.
« Souvent, nos policiers peuvent avoir des biais inconscients. Ce sont des humains, on a tous été formés, élevés dans un contexte, et parfois on fait des choses machinalement, sans se rendre compte qu’il y a un biais. »
— Sylvain Caron, directeur du SPVM
Un consultant externe a été recruté pour travailler sur ces enjeux et proposer des améliorations au SPVM : il s’agit du sociologue québécois d’origine haïtienne Frédéric Boisrond. « M. Caron m’a demandé de “challenger” son organisation, de pousser son équipe à sortir de sa zone de confort. C’est le défi que je m’apprête à relever », a-t-il indiqué en conférence de presse mercredi.
Victor Armony, coauteur du rapport sur le profilage racial et professeur de sociologie à l’UQAM, croit que cette politique est un « bon pas dans la bonne direction ».
« Elle répond à beaucoup de points que nous avions soulevés. Et une bonne politique est meilleure que pas de politique. Ensuite, est-ce que cette politique est parfaite ? Pas du tout. Il y a quelques éléments à améliorer », explique le chercheur, qui continuera à travailler sur le deuxième rapport, qui devrait être dévoilé partiellement au début de la prochaine année.
Parmi ceux qui n’ont pas caché leur déception lors du dévoilement de cette nouvelle politique, il y a le chef de l’opposition officielle à l’hôtel de ville de Montréal, Lionel Perez. Il dénonce le fait qu’aucune sanction n’est prévue pour les policiers qui ne respecteront pas la politique. De plus, ils n’ont pas l’obligation de remplir une fiche lors d’interpellations, si bien qu’un policier qui interpellerait quelqu’un sous un motif discriminatoire pourrait le faire sans laisser de traces en ne prenant rien en note.
« Mais le pire est que cette politique ne s’adresse pas aux conducteurs d’automobile ! Un policier a le droit de demander l’identification d’un conducteur même si celui-ci n’a pas commis une violation du Code [de la sécurité routière]. C’est une défaillance majeure de cette politique ! À Vancouver et en Ontario, ce n’est pas possible de faire ça », a exprimé avec vigueur M. Perez, à la sortie de la conférence de presse devant le quartier général du SPVM.
Rosannie Filato, membre du comité exécutif de la Ville de Montréal et responsable de la sécurité publique, a rappelé en entrevue à La Presse que cette politique n’était pas une finalité. « C’est une bonne première étape », a-t-elle affirmé. Mais elle confie qu’elle pourrait aller plus loin en rendant obligatoire la création d’une fiche par le policier lors d’une interpellation, par exemple. Projet Montréal se dit ainsi « prêt à évaluer » cette piste.
C’est « super important », selon Mme Filato, que la communauté collabore avec le SPVM pour améliorer cette politique. Elle espère que les citoyens seront nombreux à participer à la consultation publique que la Commission de la sécurité publique tiendra en septembre à ce sujet.
La politique décortiquée
De nouvelles informations sont ajoutées dans la fiche pour mieux comprendre le contexte de l’interpellation. En plus des informations sur la personne, son « identité ethnoculturelle », la date, l’heure et l’endroit, les policiers doivent maintenant expliquer l’objectif, le contexte et la raison de l’interpellation. De plus, ils doivent indiquer les « faits observables » qui les ont poussés à intervenir.
En plus d’un atelier de quelques heures sur la nouvelle politique, les policiers et les enquêteurs seront accompagnés sur le terrain par un groupe de coachs qui les aideront à s’approprier la nouvelle politique.
Dans la politique, il est aussi mentionné que « la personne interpellée n’a aucune obligation légale de s’identifier ou de répondre aux questions du policier ». Puisque le citoyen n’est pas détenu, il peut « quitter les lieux en tout temps ».
Les chercheurs qui avaient produit un rapport indépendant pour le SPVM et qui faisaient état d’un nombre disproportionné d’interpellations policières à l’endroit de certaines minorités ont reçu un nouveau mandat. Ils poursuivront leur travail auprès du SPVM pour que ce dernier mette à jour « la politique en 2021 » et qu'ils proposent à nouveau des pistes de solutions pour améliorer la situation.