le dr Alain Vadeboncoeur

Un « virophobe » qui s’assume

Urgentologue en chef à l’Institut de cardiologie de Montréal, Alain Vadeboncoeur est partout. En vidéo, il nous apprend à porter un masque de façon sécuritaire ; sur les réseaux sociaux, il vulgarise, commente et contredit, quitte à subir la foudre des trolls. Engagé dans d’autres crises par le passé, comme celle du verglas, le chroniqueur pour L’actualité nous raconte ce que la pandémie a changé à son travail et à sa vie.

Comment va l’homme derrière le médecin ?

Le virus a changé ma vie personnelle. Ça fait plusieurs semaines que je n’ai pas vu ma mère, mes frères et sœurs, comme beaucoup d’autres personnes. Je ne suis pas quelqu’un qui court après les événements sociaux. Vivre dans un retrait relatif m’est plutôt confortable. J’ai toujours été un peu « virophobe » : les mesures de distanciation physique, je les pratiquais déjà avant ! L’expertise que j’avais d’éviter les poignées de mains me sert beaucoup. Je me sens un peu plus normal qu’avant. C’est assez particulier comme feeling [rires].

Quel a été votre plus grand défi au travail ?

Transformer le milieu de travail. On appréhendait ce qui s’en venait avec la situation de l’Italie ou de New York en tête. Si on n’est pas un hôpital particulièrement exposé – on a juste quelques cas suspects –, on doit néanmoins se comporter comme si tout le monde était à risque. Cette période n’a pas été facile ; on est sous pression, d’autant plus qu’on s’expose comme soignant.

Craignez-vous de rapporter le virus à la maison ?

Savoir comment protéger ma famille a été essentiel. La dernière chose que je veux, c’est de rapporter ce virus à ma femme et à mes enfants. J’ai tout un cérémonial quand j’arrive à la maison : je me déshabille dans le garage, je vais au sous-sol prendre une douche dans une salle de bain que je suis le seul à utiliser, je lave ma montre et mes lunettes, bref, quand j’émerge à la maison, j’ai fait le maximum pour éviter de transmettre ce virus. Est-ce suffisant ? D’autres en font plus en allant habiter ailleurs. Oui, le risque de ramener quelque chose à la maison est présent et ce n’est pas toujours facile de vivre avec.

Comment ça se passe au travail ?

Tout est différent. Dès l’arrivée des patients, s’il y a des caractéristiques suspectes, on se protège comme si c’était un vrai cas. En 12 heures, je travaille avec un masque, des lunettes, des blouses imperméables et des gants pour chaque patient. Ces routines, on ne les avait que dans des situations de grippe. C’est beaucoup plus long de s’occuper des patients, qui doivent eux-mêmes porter un masque. Essayer de nouer une relation avec deux masques dans la face, dont moi qui dois en porter un de plongée pour mes lunettes, ce n’est pas évident. On travaille dans une espèce d’univers parallèle un peu étrange auquel on a fini par s’habituer.

Vos patients sont-ils plus anxieux qu’avant ?

J’ai vu des cas habituels d’arythmie, de malaises cardiaques, de douleurs thoraciques, mais j’ai aussi vu beaucoup d’anxiété et de stress. On était déjà habitués de travailler avec des personnes anxieuses par rapport à leurs symptômes cardiaques, mais cette anxiété-là s’est accumulée depuis des semaines. Certains malades n’ont pas consulté parce qu’ils avaient peur d’aller dans les hôpitaux et ils ont accumulé beaucoup de craintes liées à la COVID-19. On ne peut pas les rassurer complètement parce qu’on sait très bien que c’est un virus qui se manifeste de bien des façons. L’accumulation des inquiétudes sera le défi des prochains mois, on ne s’en détachera pas facilement. On s’inquiète pour nos patients ; chaque cas devient plus complexe à évaluer, à questionner et à diagnostiquer.

Les soignants sont épuisés. Comment peut-on éviter de les perdre ?

Ça ne sera pas facile. On reste humains, même si nous soignons les autres. Bien qu’on sache comment se défendre, on prend plus de risques. On est vulnérables chaque fois que l’on travaille et notre niveau de stress est plus élevé. Chaque geste qui était simple et quotidien est devenu un peu plus complexe, lourd et difficile. C’est comme si chaque aspect de notre vie et de notre travail venait avec une couche supplémentaire de stress. Ça prendra beaucoup de temps pour soigner la détresse des soignants, sans parler des séquelles possibles de toutes ces personnes qui ont été exposées à des situations auxquelles elles n’étaient pas du tout préparées ou habituées.

Retrouvez l’entrevue complète dans l’édition du 1er juin de L’Itinéraire

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