Mise à jour économique

Austérité ou rigueur budgétaire ?

L’utilisation du mot « austérité » est devenue un tel irritant pour le gouvernement libéral que le ministre Martin Coiteux a accepté d’accorder une entrevue à La Presse à la condition que sa position soit exposée dans un texte distinct de celui qui qualifierait d’austérité les compressions budgétaires. La Presse a maintenu son intention de présenter les deux côtés de la même médaille dans un seul et même texte ; le président du Conseil du trésor a donc décliné la proposition.

« On ne veut pas encourager cette vision des choses », a expliqué l’attachée de presse du ministre Coiteux, Marie-Ève Pelletier. Vérification faite auprès du bureau du premier ministre, les velléités du président du Conseil du trésor de contrôler l’information ne seraient pas encouragées ; il n’y a aucun mot d’ordre politique à l’équipe ministérielle de refuser les entrevues de journalistes qui utiliseraient le mot austérité.

Selon l’économiste Robert Gagné, directeur du Centre sur la productivité et la prospérité à HEC Montréal, ce n’est qu’un débat sémantique futile. « C’est complètement surréaliste et ça ne mène à rien. Arrêtez donc, vous autres les journalistes, de “gosser” sur les mots. »

« Ce qui compte, c’est le fond des choses. Et le fond des choses est que le gouvernement est cassé ; il essaie de tout faire et de tout payer et il n’est pas capable. »

— Robert Gagné, qui a siégé à la Commission sur la révision permanente des programmes (commission Robillard), le prélude aux changements engagés par le gouvernement.

À l’inverse, l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS), qui regroupe des chercheurs de gauche qui reconnaissent leur parenté idéologique avec les mouvements progressistes et les syndicats, estime que l’étiquette « austérité » sied parfaitement au gouvernement. « L’austérité, c’est le gouvernement, sous le couvert d’équilibrer le budget, qui fait des compressions sur le dos de la population et se lance dans une restructuration de l’État en se rapprochant du privé. Ce n’est pas seulement une question budgétaire, c’est surtout idéologique. C’est une volonté de changer la relation entre le citoyen et l’État », soutient Eve-Lyne Couturier, de l’IRIS.

Pour mener à bien ses vérifications, La Presse a utilisé l’« observatoire des conséquences des mesures d’austérité au Québec » créé par l’IRIS. Le site internet répertorie les décisions et les annonces gouvernementales telles que relatées par les médias nationaux et régionaux. Cette immense revue de presse permet à l’IRIS d’affirmer que les compressions totalisent plus de 4 milliards de dollars.

Cette compilation nécessite toutefois plusieurs nuances. Des annonces de 2014 ne se sont pas avérées ou ont été corrigées en cours de route, alors que certaines autres ne peuvent pas être attribuées au gouvernement du Québec, comme c’est le cas pour l’augmentation du prix des timbres-poste, qui est de compétence fédérale. D’autres exemples peuvent faire tiquer. La décision du ministère des Transports de ne plus financer la hausse d’achalandage du transport adapté à Québec – un manque à gagner de 800 000 $ – a été entièrement compensée par la Ville de Québec. Il n’y a donc aucun impact direct pour les usagers de ce service.

Selon Eve-Lyne Couturier, ces quelques irritants, qui pourront être corrigés dans une deuxième version du répertoire, n’enlèvent rien au portrait d’ensemble. « Le gouvernement a usé de son privilège de présenter ses orientations en laissant aux niveaux décisionnels inférieurs l’odieux de faire des compressions concrètes. »

« Le déficit zéro, c’est une obsession qui nous empêche de regarder la véritable mission de l’État qui est, entre autres, de réduire les inégalités. »

— Eve-Lyne Couturier, de l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques

« On ne veut pas laisser à nos enfants cette vision qui se réduit à la dette, ajoute-t-elle. On veut laisser des valeurs, des institutions fortes, des services et une culture. »

De son côté, Robert Gagné reste ferme sur son constat de la situation : des services que les Québécois n’ont pas les moyens de se payer ainsi qu’une fonction publique et parapublique trop grosse. Pour le professeur d’économie, la voie empruntée par le gouvernement force à faire « les choses autrement et pour le mieux ».

« Si ça ne faisait pas mal, ce serait une blague. On ne peut pas prendre une organisation publique et réduire ses budgets de fonctionnement sans qu’il y ait d’impact. S’il n’y en avait pas, c’est qu’avant, on gaspillait l’argent », lance M. Gagné.

Ce dernier donne l’exemple de l’abaissement des ratios maître-élèves qui n’a pas donné les résultats escomptés, selon lui. « Ça me fait bien rire d’entendre les gens dire qu’on est en train de mettre à mal le système d’éducation. Ils étaient où, ces gens-là, il y a 10 ans, quand on a décidé de baisser les ratios maître-élèves dans les classes ? […] Je ne comprends pas aujourd’hui, quand on veut faire un peu de fine-tuning autour de ça, qu’on dit que c’est la fin du monde et qu’on déchire sa chemise », s’étonne M. Gagné.

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