Rangers–Canadien

Les yeux de Martin St-Louis

NEW YORK — Quand Martin St-Louis vous regarde ou quand ses yeux regardent le vide pendant qu’il cherche ses mots, on y voit toujours la même intensité. La détente est aussi rare dans son regard que dans son effort physique.

Sur la glace, ses yeux s’écarquillent souvent, ronds et perçants, remplis de concentration et de volonté.

Si un joueur de hockey a déjà eu les yeux de Maurice Richard, c’est Martin St-Louis.

« Oui, je sais, j’ai déjà entendu ça », confie son père Normand, qui tente présentement de se distraire du deuil de son épouse France en assistant à tous les matchs des Rangers de New York.

« J’avais 9 ans quand le Rocket a pris sa retraite, se souvient M. St-Louis. J’avais pleuré ce jour-là, ç’avait été ma première vedette… »

Normand St-Louis a toujours eu de l’attachement pour la famille Richard, « une famille de travaillants comme la nôtre ». De comparer son fils au Rocket, fût-ce par un trait physionomique, est un exercice que l’humilité défend.

« C’est toujours difficile de comparer qui que ce soit au Rocket, convient l’attaquant Derick Brassard, mais Martin a un regard compétitif et rempli de détermination. »

« C’est l’une des raisons pour lesquelles il a connu autant de succès dans sa carrière : son ardeur au travail, sa détermination, sa persévérance… Il y a tout ça dans son regard. »

DÉTERMINATION ET COLÈRE

Le professeur Benoît Melançon, auteur du livre Les yeux de Maurice Richard. Une histoire culturelle, s’est penché sur la valeur symbolique des yeux du Rocket.

« L’interprétation la plus répandue est de dire que les yeux de Maurice Richard traduisaient la détermination. C’était quelqu’un qui ne parlait pas beaucoup et c’est avec ses yeux qu’il s’exprimait. Qu’il exprimait la volonté de réussir.

« Les Québécois ont vu ces yeux-là et dit que c’étaient les yeux de la détermination, mais des textes américains des années 50 disent exactement la même chose. Donc, ce n’est pas uniquement une idée nationaliste dans la façon de décrire notre héros. »

À l’occasion, note Benoît Melançon, on lit aussi que les yeux du Rocket trahissaient la folie. Des citations, observe-t-il, qu’on trouve plutôt chez les anglophones.

Chez Martin St-Louis, le regard ne traduit pas la folie, mais certainement la colère.

« C’est surtout quand il n’est pas content que ses yeux deviennent grands, note son père. Si l’équipe perd ou quelque chose se produit et que ça ne fait pas son affaire, ça se voit très bien. »

DES DUELS QUI N’EXISTENT PLUS

Le regard de Maurice Richard a frappé les joueurs des autres équipes dès son arrivée dans la Ligue nationale.

« Ses yeux étaient comme des projecteurs », a déjà décrit l’ancien gardien de but Glenn Hall, qui a souvent affronté le Rocket dans les années 50.

Or, les gardiens d’aujourd’hui ne sauraient faire la même comparaison. Si, dans le temps du Rocket, un joueur et un gardien pouvaient croiser leurs regards et se défier, c’est tout simplement impossible de nos jours.

« Je ne vois jamais les yeux de l’adversaire parce que je me concentre sur le bâton, la rondelle et l’orientation du corps pour savoir s’il se place en position de tirer ou bien de passer », explique Cam Talbot, le jeune auxiliaire de Henrik Lundqvist chez les Rangers.

« Regarder les yeux, ce serait drôlement s’éloigner de la rondelle. Or, il faut toujours être prêt à réagir parce que les joueurs dégainent très vite de nos jours ! »

UN REGARD SUR SON SPORT

Il y a ce que le regard dit, mais aussi ce que le regard capte.

Non seulement Martin St-Louis a-t-il une excellente vision du jeu sur la patinoire, mais encore le regard qu’il porte sur son sport en fait, selon l’expression consacrée, « un étudiant de la game ».

On a déjà entendu que le partage constant de cette vision avec ses entraîneurs l’avait parfois rendu difficile à diriger. Mais selon Alain Vigneault, qui travaille avec lui depuis le mois de mars, il s’agit d’un exercice intéressant.

« Martin a toujours cette phrase, raconte Vigneault. Il me dit : “J’aimerais ça que tu puisses voir les choses avec mes yeux.” C’est qu’il a une façon bien à lui de lire les situations. Il veut toujours avoir de l’information et savoir ce qui se passe.

« On lui dit telle ou telle chose, et il nous répond : “De mon point de vue, je vois ceci et cela…”

« C’est un échange plaisant entre les entraîneurs et lui. »

Oui, il y a beaucoup de choses dans les yeux de Martin St-Louis…

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