Québec — Un fonctionnaire sur cinq pourrait continuer de travailler de la maison après la pandémie, a indiqué le ministre Éric Caire à La Presse. Après avoir goûté, à vive allure, aux avantages du numérique, Québec n’a pas envie de retourner en arrière. Mais si la crise a révélé la « beauté » du télétravail, elle a aussi réveillé l’ardeur des pirates informatiques.
L’éclatement de la crise de la COVID-19 a forcé le gouvernement Legault à déployer le télétravail de la fonction publique à vitesse grand V. En trois semaines, 60 % des 65 818 employés de l’État travaillaient à domicile. La proportion atteint désormais 71 %, se réjouit le ministre délégué à la Transformation numérique, Éric Caire.
« Les autres, c’est parce qu’ils ne peuvent pas faire du télétravail, on parle d’un agent de police, d’un ambulancier ou d’une infirmière, par exemple », a-t-il illustré en entrevue avec La Presse.
« On sait désormais que le potentiel en télétravail, c’est 71 %. […] L’enjeu, c’est maintenant de mettre en place des infrastructures pérennes. »
— Éric Caire, ministre délégué à la Transformation numérique
Le président du Conseil du trésor, Christian Dubé, a dans sa ligne de mire que 20 % des fonctionnaires puissent continuer à faire du télétravail à la fin de la crise, affirme M. Caire. « Ça peut être 10, ça peut être 30 %. À 30 % on serait pas mal au [maximum] », croit-il. Évidemment, la proportion actuelle n’est pas réaliste à long terme.
Les gestionnaires seront formés pour apprendre à gérer à distance. Les équipes pourraient effectuer du télétravail sur une base rotative, en étant deux ou trois jours par semaine au bureau. Des cibles pourraient être fixées par ministère.
Le chantier est ouvert.
Ça va dépendre de l’appétit des fonctionnaires et des gestionnaires, mais le télétravail est là pour de bon, selon Éric Caire.
Branle-bas de combat et cyberattaques
Pandémie oblige, il a fallu tripler la capacité de la bande passante (de 20 à 60 gigabits) du gouvernement du Québec et doubler celle de l’intranet pour rehausser la protection de la sécurité et faire exploser le nombre de connexions individuelles possibles. Tout ceci afin de brancher rapidement les dizaines de milliers d’employés de l’État.
« On avait une possibilité de 750 connexions, on a 65 818 fonctionnaires. Pas besoin d’être fort en maths pour savoir que ça n’allait pas, poursuit M. Caire. Seulement avec les secteurs de la sécurité publique et de la santé, qu’il fallait prioriser, on accaparait 94 % de notre bande passante, alors on avait un fichu problème. »
L’opération liée au renforcement de la bande passante a coûté plus de 4 millions. En mars dernier, Québec a aussi dépensé 10 millions pour l’achat de 8682 ordinateurs portables pour permettre le télétravail.
« Ça ne se fait pas en criant ciseau. […] On ne pouvait pas ajouter de la bande passante sans la sécuriser. Sinon, ça allait être bar ouvert pour les individus ou les États malveillants », soutient M. Caire.
« C’est une opportunité qui ne doit pas nous faire oublier ce qui s’est passé chez Desjardins et Capital One. »
— Éric Caire, ministre délégué à la Transformation numérique
Les attaques informatiques ont d’ailleurs augmenté au même rythme que l’augmentation du nombre d’employés en télétravail, dit-il. Impossible cependant d’avoir un aperçu du nombre de tentatives de cyberattaque depuis le début de la pandémie pour des motifs de sécurité. « On n’a pas eu d’incidents à déplorer », assure M. Caire.
Québec a mis le pied sur l’accélérateur pour déployer le centre gouvernemental de cyberdéfense, un chantier amorcé en septembre dernier. Quelque 55 postes d’expert en sécurité sont en voie d’être pourvus. « On est beaucoup mieux équipés qu’il y a 18 mois », ajoute celui qui vient tout juste de déposer sa politique gouvernementale de cybersécurité.
Passé sous silence en raison de la pandémie de COVID-19, le nouveau document était pourtant très attendu dans le contexte des exemples récents de vols de données personnelles. La politique vise notamment à augmenter la résistance de l’État québécois face aux menaces externes et à gérer efficacement une éventuelle intrusion.
« La grande nouveauté », souligne M. Caire, c’est qu’une « unité centrale » coordonne dorénavant tous les centres opérationnels de cyberdéfense (il y en a 27) des ministères et organismes gouvernementaux. À l’époque, ces entités opéraient en vase clos, ce qui limitait la prévention en amont et la réaction.
« Potentiel incroyable »
Difficile pour l’heure de chiffrer les « économies substantielles » qui profiteraient au gouvernement québécois en accroissant le travail à distance de ses fonctionnaires, mais le portrait sera connu sous peu, estime l’élu caquiste de La Peltrie. Celui-ci affirme que les équipes du Conseil du trésor « sont en train d’évaluer ça ».
« Le potentiel d’économie est incroyable », n’hésite-t-il pas à dire, rappelant que le gouvernement loue 75 % des « espaces de travail ». « Si tu réduis les espaces de travail, la nécessité d’avoir des machines performantes et une ligne fixe à chaque bureau, c’est sûr que ça veut dire des économies », fait valoir M. Caire.
Un projet-pilote sur le télétravail mené au Bureau des audiences publiques sur l’environnement (BAPE) a permis de diminuer les coûts de loyer de moitié, dit-il. L’accroissement du télétravail dans la fonction publique aurait aussi des impacts positifs sur la circulation, l’environnement et la qualité de vie des employés, selon lui.
« Il faut respecter nos employés dans le déploiement du télétravail post-pandémie, mais il y a des économies substantielles, un gain d’efficacité, des avantages. Je pense que le gouvernement n’a plus le droit de se priver de ça », dit-il.
Le télétravail permettra aussi de mettre de l’avant le concept de « gestion par résultats », ce qui provoquerait un changement de culture offrant plus « d’autonomie » aux employés et rendrait « la fonction publique beaucoup plus dynamique, innovante et créatrice », rêve à haute voix le ministre Caire.
Il admet que le plus grand obstacle aux visées du gouvernement sera « peut-être la résistance au changement » dans différents secteurs de l’État. « Mais pour moi, ça demeure un incontournable. »
Vers un « portefeuille numérique »
Le ministre délégué à la Transformation numérique explique ne pas perdre de vue ses visées de créer une identité numérique unique pour chaque Québécois. Ce qu’il appelle le « portefeuille numérique » regrouperait en un seul endroit virtuel les données personnelles de l’usager. Ainsi, s’il se rend à l’hôpital, reçoit une contravention ou communique avec Revenu Québec, il pourrait authentifier son identité par l’entremise de la même banque de données. Il n’aurait pas chaque fois à s’identifier ou à fournir ses informations personnelles, explique le ministre Caire. Cela réduirait par ailleurs le nombre d’intermédiaires et limiterait ainsi les fuites ou les vols. « Ça viendrait simplifier la vie des gens d’une façon incroyable, ajoute-t-il. Cette identité numérique, on veut qu’elle soit solide, robuste et sécuritaire, et qu’elle soit conviviale. » Elle pourrait aussi servir à s’identifier chez « les partenaires de confiance du gouvernement » comme les villes et les institutions bancaires. L’usager pourrait lui-même modifier ou mettre à jour ses données, toujours à un seul endroit. Québec prévoit déployer en quatre phases ce chantier numérique pour le terminer autour de 2025.