Chronique  Fermeture de magasins Rona

Se questionner sans capoter

La fermeture de neuf magasins du réseau québécois de la chaîne de quincailleries Rona, annoncée lundi, à quelques semaines de Noël seulement, est un évènement à la fois triste et navrant. Toutefois, le tollé de réactions que cette annonce a soulevé tout au long de la journée de lundi m’a semblé quelque peu disproportionné par rapport à la réalité propre à l’industrie du commerce du détail.

Lundi, j’étais justement occupé à rédiger la grande entrevue de la semaine que j’avais réalisée avec Éric Lefebvre, nouveau PDG du Groupe MTY, qui exploite un réseau de plus de 6000 restaurants en Amérique du Nord regroupés sous pas moins de 75 enseignes, notamment Sushi Shop, Thaï Express, Madisons, Bâton Rouge, Mikes, Taco Shop, La Salsa…

Tout au long de l’après-midi, pendant que je travaillais à mon texte, je voyais défiler sur l’écran de télévision muet, installé au mur en face de mon bureau, des politiciens, des analystes, de simples consommateurs et même l’ex-PDG de Rona Robert Dutton commenter la triste nouvelle.

L’ampleur de la couverture médiatique pouvait laisser penser que Rona venait d’être revendue à un nouveau groupe ou, pire, que l’entreprise flirtait dangereusement avec la faillite.

Mais non, pour répondre aux objectifs de profitabilité souhaités par la maison-mère américaine Lowe’s, Rona a décidé de fermer neuf magasins non rentables au Québec, 27 dans l’ensemble du Canada.

Dans l’entrevue avec le PDG du Groupe MTY que j’étais en train d’écrire, Éric Lefebvre m’expliquait justement que lui aussi aurait fort probablement à fermer, au cours de la prochaine année, 120 restaurants non performants sur les 6000 que le groupe exploite, ce qui représente un pourcentage d’échec de 2 %.

« Ça ne paraît pas gros, 2 %, mais quand tu exploites 6000 restaurants, c’est 120 établissements. Ça devient considérable autant pour les opérateurs qui ont investi dans leur entreprise que pour les employés que ça touche », déplorait Éric Lefebvre, tout en convenant que c’était toutefois la réalité de l’industrie.

La fermeture de neuf magasins de la chaîne Rona, qui compte sur un réseau de plus de 250 établissements au Québec, représente un peu plus de 3 % du nombre total de ses magasins québécois. Les magasins fermés représentent 1,6 % de la superficie de vente du réseau au Québec.

La direction de Rona à Boucherville s’est contentée de déclarer que les neuf magasins de petite surface n’étaient pas rentables.

Ironiquement, quatre de ces neuf magasins non performants avaient été rachetés en 2014 par Robert Sawyer, le PDG qui a succédé à Robert Dutton, dans la foulée du rachat d’une quinzaine de magasins Marcil, dans le but fort probable de rendre Rona plus attrayante encore aux yeux de Lowe’s.

Selon Rona, la fermeture des neuf magasins devrait se traduire par la perte d’une soixantaine d’emplois.

Il y a trois ans, Loblaw avait annoncé la fermeture de six magasins Loblaws et d’un magasin Maxi au Québec sur les 95 qu’elle exploitait sur le sol québécois, ce qui représentait plus de 6 % de ses enseignes. Mille personnes avaient perdu leur emploi.

Cette rationalisation, elle aussi annoncée à deux mois de Noël, n’avait pas semé l’émoi qu’a suscité l’annonce de Rona en début de semaine.

Le facteur « fleuron flétri »

C’est bien évidemment le facteur « fleuron flétri » qui a induit la charge de réactions émotives de lundi.

Le fait que Rona a été vendue il y a deux ans à l’américaine Lowe’s, il fallait nécessairement s’attendre à ce que la perte de contrôle du fleuron d’hier se traduise par la prise de décisions brutales d’aujourd’hui sur lesquelles nous n’aurions plus aucun contrôle.

Malheureusement, c’est effectivement un peu ce qui se passe.

Bien sûr, si les neuf magasins qui vont fermer étaient aussi contre-performants que Rona l’assure, l’ancienne direction québécoise aurait probablement pris la même décision.

Robert Dutton ne s’en cache pas, dans le livre qu’il vient de publier, il a lui aussi dû prendre des décisions difficiles, comme en 2007 à cause du ralentissement marqué des ventes dans le secteur de la rénovation.

« Nous redresserons ceux [les magasins] qui peuvent l’être et nous fermerons ceux dont le potentiel ne justifie pas leur pérennité », écrit Robert Dutton à la page 264.

Or, le contexte dans lequel la direction de Rona vient de prendre la décision de fermer neuf magasins est tout autre. Il y a quelques mois, Sylvain Prud’homme affirmait que Rona venait de connaître sa meilleure année de ventes en 13 ans.

De plus, depuis l’acquisition de Lowe’s en 2016, Rona a créé 1000 emplois au Québec, dont 200 à son siège social de Boucherville.

Pourquoi, six mois plus tard, fermer neuf magasins si les choses vont si bien ? Pourquoi ne pas avoir plutôt tenté de relancer les magasins en difficulté ?

Parce que Rona doit répondre aux exigences du siège social de Lowe’s à Mooresville, en Caroline du Nord, et que sa direction n’est plus totalement maître de sa destinée.

Parce que Lowe’s est incapable d’afficher la même rentabilité que son concurrent Home Depot et qu’elle doit démontrer au marché qu’elle cherche à apporter les correctifs nécessaires. Parce que Rona, au Québec, doit participer au show de boucane de la maison-mère américaine.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.