Extrait de Pierre Gervais – Au cœur du vestiaire

Un mauvais capitaine

Le livre Pierre Gervais – Au cœur du vestiaire, écrit par le collègue Mathias Brunet, paraîtra lundi en librairie. Il relate le parcours, les anecdotes et les analyses de celui qui a été gérant de l’équipement du Canadien de Montréal pendant 35 ans. Pierre Gervais a tout vu, tout entendu. Voici trois extraits marquants de son livre, en primeur.

J’ai été étonné d’apprendre, en septembre 2015, que Max Pacioretty avait été élu le capitaine de l’équipe à la suite d’un vote secret des joueurs. Max venait de connaître une saison de 37 buts et c’était notre meilleur attaquant, mais il n’avait pas le profil de l’emploi. C’était un gars très égocentrique. Il souriait rarement et ne se mêlait pas aux autres. Tout le contraire d’un rassembleur. On pouvait gagner 10-1 et il boudait s’il n’avait pas marqué. Il a probablement été élevé dans la ouate.

Il n’y avait pas beaucoup de candidats à l’époque, je le comprends, mais, selon moi, il aurait mieux valu ne pas avoir de capitaine que d’en nommer un mauvais. Avec le recul, je crois que Marc [Bergevin] et Michel [Therrien] n’auraient pas laissé les joueurs choisir s’ils s’étaient doutés du résultat du vote. Pacioretty avait beaucoup de misère avec P. K. [Subban]. Les deux s’engueulaient souvent. Avec les autres joueurs, c’était juste correct, mais tout le monde savait quel genre d’individu il était. Personne n’était plus important que lui.

Il n’avait pas beaucoup de respect de la part des gars. Je lui cherche des amis dans le vestiaire et il m’est difficile de lui en trouver…

Max avait fait livrer un appareil d’étirement à Montréal, un truc très volumineux qui se rangeait dans une grande caisse. Il était l’un des seuls à l’utiliser au sein de l’équipe. À un moment donné, il a voulu qu’on transporte l’appareil en voyage lors de nos matchs à l’extérieur. Je lui ai répondu qu’on n’avait malheureusement pas de place pour son appareil, appelé Desmotec. C’est à peine si on pouvait refermer la porte du camion quand on transportait tout le matériel du Complexe Bell à l’aéroport. Il a utilisé tous les moyens pour tenter de parvenir à ses fins, il a même tenté de convaincre notre thérapeute athlétique et Marc Bergevin. J’ai dû leur expliquer la situation à tour de rôle.

— Marc, ça n’a rien de personnel, mais si tu me dis qu’il faut absolument l’apporter, on va retirer un coffre du personnel médical pour mettre cette caisse-là, parce qu’on n’a vraiment pas de place.

J’ai même montré une photo de notre camion à Marc pour qu’il comprenne qu’il n’y avait pas un pouce de libre dans le coffre ! J’ai trouvé ça cheap qu’il aille voir tout le monde dans mon dos pour ça. J’ai l’impression que de se faire dire non, ça ne marchait pas avec lui… On l’a recroisé quelques mois plus tard, alors qu’il jouait à Vegas. Il ne nous a même pas salués, mon adjoint Pat et moi. On s’était pourtant côtoyés au quotidien pendant une dizaine d’années. Même que pendant le réchauffement, il m’a fixé pendant quelques instants sans rien me dire alors que j’étais sur le banc. Peut-être qu’il m’en voulait encore pour son appareil, mais je ne lui avais pas dit non par orgueil, seulement par manque d’espace.

C’est un gars comme ça, une mauvaise personne. Tout le staff était content de le voir quitter. D’ailleurs, j’ai réalisé en jasant avec le staff des Golden Knights, lors de notre visite, qu’il n’avait pas changé. Ils avaient l’impression qu’il se foutait d’eux.

Il décidait d’apporter dix bâtons en voyage alors que la plupart des joueurs en traînaient quatre ou cinq au maximum. Il n’y a pas un gars sensé qui fait ça. Lui, il s’en fichait. Moi, quand ça arrivait, je disais aux gars que si chaque joueur apportait dix bâtons, ça faisait 200 bâtons pour un match de hockey. Les gars comprenaient et prenaient deux minutes de plus pour en choisir des bons.

Extrait de Pierre Gervais – Au cœur du vestiaire

Un joyau venu de Finlande

Après la confirmation, quelques jours plus tard, du diagnostic d’un lymphome intra-abdominal non hodgkinien, Saku a commencé ses traitements de chimiothérapie. Il a autorisé seulement quatre personnes à le visiter à l’hôpital : ses parents, mon adjoint Bobby Boulanger et moi. Ça nous avait touchés. On était très proches de lui, on l’avait toujours dorloté. Pas plus que les autres joueurs, mais il n’était pas habitué à ça en Finlande. On l’a vraiment pris sous notre aile à son arrivée.

Je suis allé seulement une fois parce que je ne me sentais pas à ma place. C’était après un traitement, il était à moitié endormi, ses parents étaient là, je n’avais vraiment pas l’impression que c’était à moi d’y être. Ça m’avait marqué de voir un athlète de pointe ainsi diminué par la maladie. Tu penses qu’ils sont invincibles. Les traitements ont duré plusieurs mois. On l’a ensuite revu dans le vestiaire au cours de l’hiver. Il voulait revenir au jeu la saison même, mais j’avais de gros doutes. J’espérais juste qu’il puisse recouvrer la santé. Au fil des semaines suivantes, il a recommencé à s’entraîner en gymnase. Ses cheveux ont repoussé. Il a repris du poids. J’ai commencé à y croire.

Son retour au jeu, le 9 avril 2002 au Centre Bell (l’amphithéâtre avait changé de nom quelques mois plus tôt), contre les Sénateurs d’Ottawa, après une absence de 79 matchs, demeurera à jamais l’un des moments les plus émotifs de ma carrière.

J’avais les larmes aux yeux pendant l’ovation de la foule. Il venait presque de réaliser l’impossible. Il fallait ressentir sa fébrilité dans le vestiaire avant ce match. C’était contagieux. Tout le monde avait la chair de poule. Il était anxieux, mais tellement heureux. Il avait réussi ! C’était beau et touchant à voir ! Non seulement on a gagné ce match 4-3, mais la victoire nous a permis de nous assurer une participation aux séries éliminatoires pour la première fois en quatre ans !

Cette relation particulière entre Saku et moi s’est nouée dès ses premiers pas en Amérique du Nord, en 1995. Il a été important à des étapes cruciales de ma vie. Quand je me suis séparé, en 1998, il a eu vent que je venais de quitter la maison. La saison tirait à sa fin. Il possédait un loft sur trois étages dans le Vieux-Montréal et repartait en Finlande pour l’été. Il est venu me voir à mon bureau et a pris soin de refermer délicatement la porte derrière lui.

– Gerv, j’ai entendu ce qui t’arrive. Voici les clefs de mon condo. Je te laisse vingt chèques pour payer les comptes au fil des mois. C’est chez vous jusqu’en septembre. Et tu prends le vin que tu veux dans le cellier !

J’ai passé cet été-là dans le Vieux. Les enfants aimaient beaucoup y passer du temps. C’était immense chez Saku et ils y avaient leur chambre. J’emmenais les enfants en calèche, il y avait beaucoup d’action tous les soirs. Une vingtaine d’années plus tard, j’en ai encore les larmes aux yeux juste à raconter son geste d’une immense bonté à mon endroit. J’ai tout essayé pour le remercier par la suite. Il n’a jamais rien accepté, même pas que je lui paie un resto. Il était comme ça, Saku…

Extrait de Pierre Gervais – Au cœur du vestiaire

La nouvelle génération

Un rare regret, avec ma retraite, sera de ne pas suivre la nouvelle génération de joueurs du Canadien : les Suzuki, Caufield et compagnie. Dans l’ensemble, cette nouvelle vague a fréquenté l’école longtemps, ils sont éduqués, intelligents, curieux et bien renseignés. Je ne dis pas que les joueurs ne l’étaient pas avant, mais ceux-là ont une coche supplémentaire par rapport à la moyenne des époques précédentes. C’est rafraîchissant. Caufield a toujours le sourire et une joie de vivre contagieuse. Suzuki est un peu plus réservé, mais de commerce très agréable. Ils ont déjà des notions de nutrition, d’entraînement, de récupération. Tu ne pars pas de zéro avec eux.

Si j’avais à identifier les plus travaillants, j’opterais pour Suzuki, Caufield et Cayden Primeau. Ils faisaient souvent du temps supplémentaire. Jesperi Kotkaniemi restait aussi plus longtemps sur la glace après les entraînements, mais peut-être pas aussi souvent qu’il aurait dû.

Celui que je prendrais comme pensionnaire si je devais en choisir un seul ? Sans aucun doute Nick Suzuki. Il est agréable à côtoyer, calme, humble.

Il était très intrigué par ma carrière. Il venait souvent à mon bureau, regardait les photos au mur et me posait mille questions. Il s’intéressait à l’histoire de l’équipe. Il n’était même pas au monde quand on a gagné nos deux dernières Coupes Stanley… Il est né en 1999 ! Il se demandait même, à la blague, si son père était né quand j’ai commencé avec le Canadien ! Il exagérait, bien sûr ! Il était fasciné par les Jeux olympiques de Salt Lake City en 2002 et le fameux but de Sidney Crosby. Il avait à peine 2 ans ! Avant de quitter pour le match des Étoiles à Las Vegas, en février 2022, il était passé par le bureau.

— Gerv, si je te rapporte un chandail du match des Étoiles, vas-tu le prendre ?

— Bien sûr que je vais le prendre ! Je vais le placer sur le mur dans mon gym avec mes autres chandails. Avec plaisir !

Quand il me l’a apporté, je lui ai demandé de me le signer. Il était comme mal à l’aise. Ça montre toute son humilité. J’ai trouvé ça beau. Nick me rappelait Vincent Damphousse. Ils ont le même tempérament. Vincent n’était pas le plus excité dans le vestiaire. Il était toujours d’humeur agréable, mais on le voyait rarement éclater de rire. C’était un gars posé, intelligent, réfléchi et curieux. Guy Carbonneau était un peu comme ça, lui aussi. Sans surprise, Nick est désormais capitaine du Canadien de Montréal, comme l’ont été Vincent et Carbo. Nick Suzuki, c’est un bel héritage de Marc Bergevin.

Pierre Gervais – Au cœur du vestiaire

Mathias Brunet

Ovation Médias 292 pages

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