Un homme détestable Notre polar estival

Chapitre 28 : L’homme qui cherche son âne

Panneton n’en croyait pas ses yeux. Le tatouage de son patron, entrevu à l’urinoir, était le même que celui retrouvé sur l’avant-bras de Meursault. Il en était certain. Ce ne pouvait être une coïncidence.

L’étrange discussion qu’il avait eue avec Lessard, une fois la porte de son bureau refermée, lui confirma ses doutes. Le boss des Homicides interrogeait Panneton comme on interroge un suspect. Plus l’enquête progressait, plus le patron s’énervait. De toute évidence, il n’avait pas intérêt à ce que cette histoire scabreuse soit élucidée.

Lessard et Meursault étaient donc liés, se dit Panneton, stupéfait. Il se sentit comme un homme qui cherche son âne, alors qu’il est dessus.

L’horloge murale indiquait 18h40. Panneton appela à la maison. « Louise, je suis vraiment désolé, je ne pourrai pas être là pour le souper », dit-il, sur un ton crispé. « Il y a eu un meurtre. Un autre. Je dois y aller. »

Il fila vers la scène du crime. En roulant vers le stationnement de la salle de réception de Saint-Léonard, il repensa aux dernières paroles de Lucia Lumaca, prononcées avec ses lèvres trop rouges et son gros accent. « Au revoir, inspecteur ». Elle se savait traquée. Il la sentait traquée. Et voilà qu’il la retrouvait ce soir, une balle dans la tête et deux dans la nuque, gisant derrière un cordon jaune de sécurité.

Bouleversé, il reprit le fil funeste des événements. Tania, la maîtresse de Meursault, avait été tuée peu de temps après avoir rencontré l’inspecteur. Lucia, sa femme, aussi. Entre les deux, il y a eu cette explosion qui a emporté Bob Maheu, l’inspecteur vedette des Homicides qui aurait dû en principe hériter de cette enquête. Qui sera le prochain ? Lui ?

Après avoir scruté à la loupe la scène du crime, Panneton rentra au bureau, l’air abattu. Il était tard. Le QG était presque désert en ce samedi soir. Lessard était parti. À l’abri du regard de son patron tatoué devenu suspect, Panneton se dit qu’il allait mettre de l’ordre dans son enquête. En ouvrant sa boîte de courriels, son regard fut attiré par un titre écrit en majuscules. « ROGER, ON LE SAIT. »

Panneton se raidit. C’était le même message menaçant qu’un homme à la voix râpeuse avait laissé à la maison. Il ouvrit le courriel, le cœur battant. « Une femme sans-abri est morte à cause de toi. Si tu continues, ta carrière dans la police est finie. » Le message n’était pas signé. L’adresse courriel en était une bien étrange : sansabri@blackmail.com.

Si tu continues ? Si tu continues quoi ? Était-ce Lessard qui lui faisait du chantage pour saboter l’enquête ? Impossible, se dit Panneton. Le message avait été envoyé le jour même à 18h04, juste au moment où l’inspecteur-chef discutait avec son patron. Si ce n’est pas Lessard, qui est-ce ?

En repensant à tous les signaux bizarres reçus depuis le début de cette enquête, Panneton glissa dans son ordinateur un des DVD que la réceptionniste lui avait mis de côté. Il s’agissait d’images des caméras de surveillance du QG. Dans le tumulte, il avait complètement oublié de les regarder.

Il cliqua sur « Play » avec empressement. Les premières images montraient un va-et-vient tout ce qu’il y a de plus ordinaire autour de son bureau. Il regarda les images en accéléré jusqu’au moment où il vit à l’écran quelqu’un qui s’approchait une boîte à la main. Il reconnut ce fameux coffret dans lequel il avait trouvé une bouteille contenant du sang de Meursault. Il eut la nausée en pensant qu’il avait été assez bête pour croire que c’était du vin. Et dire qu’il en avait pris une gorgée…

Qui était à l’origine de ce pot-de-vin horrifiant ? Même en regardant la séquence au ralenti, impossible de le savoir. L’image, pourtant claire jusque-là, était soudainement embrouillée, comme si quelqu’un avait tenté de saboter la vidéo.

L’inspecteur-chef ne savait pas qui le faisait chanter. Mais il commençait à comprendre pourquoi on l’avait choisi, lui, Roger Panneton, pour mener cette enquête. Il se mit à trembler en repensant à cette vieille sans-abri dont il n’avait jamais voulu la mort.

Demain

Michèle Ouimet : Saint Antoine, priez pour nous

Résumé du chapitre précédent

Nick Sardano a minutieusement planifié l’assassinat d’Antoine Meursault. Mais l’homme d’affaires a été le premier d’une longue série de meurtres : les commandes se sont multipliées, dernièrement, pour le Dottore.

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