COP26

« Un déficit d’ambition »

Les attentes étaient immenses, le défi presque impossible : 200 pays aux intérêts divergents et aux moyens parfois diamétralement opposés devaient convenir d’un accord plus contraignant sur le climat. Résultat ? La COP26 a accouché d’une entente historique et imparfaite. Le texte reconnaît pour la première fois le rôle des énergies fossiles dans le réchauffement planétaire, mais a été édulcoré au dernier moment par un compromis sur le charbon.

Le président de la COP26, le Britannique Alok Sharma, s’était engagé à livrer un accord samedi. M. Sharma aura mis tout son poids dans la balance pour faire adopter le texte qui a été amendé à la dernière minute par l’Inde afin qu’il soit question de « réduire » l’utilisation du charbon plutôt que de l’« éliminer progressivement ».

Les réactions n’ont pas tardé après l’adoption du pacte sur le climat de Glasgow : pour beaucoup, la conférence est un échec malgré quelques annonces prometteuses. Et ce nouvel accord sera considéré comme un succès seulement s’il se traduit par une réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) au cours des prochaines années, reconnaît Hugo Séguin, spécialiste des négociations climatiques et fellow au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CÉRIUM).

Or, selon la plus récente analyse du Climate Action Tracker, les engagements annoncés à ce jour permettraient de limiter le réchauffement à 2,4 °C d’ici 2100, nettement au-dessus de la cible de 1,5 °C. Le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a d’ailleurs qualifié l’entente de « pas important, mais insuffisant ».

« Nous savons toutefois que nous devons en faire plus et que le monde entier doit également en faire plus. Les Canadiens nous ont confié le mandat d’aller plus loin et plus vite dans notre lutte contre les changements climatiques et il ne fait aucun doute que nous avons du pain sur la planche », a déclaré le nouveau ministre de l’Environnement et du Changement climatique du Canada, Steven Guilbeault, sur Twitter en fin de soirée.

Déception

La déception était d’ailleurs palpable samedi alors que la majorité des nations avaient accordé leur appui au texte proposé par la présidence, malgré de nombreux désaccords. Alok Sharma a d’ailleurs insisté sur le fait que, bien qu’imparfait, le texte permet de préserver l’objectif de limiter le réchauffement à 1,5 °C par rapport à l’ère préindustrielle.

« On a tout fait pour garder en vie la cible de 1,5 °C, mais c’est comme si on n’avait pas mis les moyens pour y arriver. On n’a pas encore pris de décisions réelles », note la présidente de l’Association québécoise des médecins pour l’environnement, Claudel Pétrin-Desrosiers.

Si le pacte reconnaît l’importance de réduire les émissions de CO2 de 45 % d’ici 2030, les pays devront mettre les bouchées doubles au cours des prochaines années pour y arriver. Le dernier relevé des concentrations de carbone dans l’atmosphère, en date du 12 novembre, pointe à 415,72 parties par million, largement au-dessus de la limite nécessaire pour contenir le réchauffement planétaire à 1,5 °C.

« On continue de remettre nos décisions à demain. »

— La Dre Claudel Pétrin-Desrosiers, présidente de l’Association québécoise des médecins pour l’environnement

La Dre Pétrin-Desrosiers critique aussi l’important contingent du lobby des énergies fossiles à la COP26. Selon une compilation réalisée par l’ONG Global Witness, l’industrie comptait plus de représentants à Glasgow que toute la délégation du Brésil, la plus importante parmi toutes les nations présentes.

« Ça n’a pas été une bonne semaine pour l’industrie fossile, croit néanmoins Hugo Séguin. Il y a eu plusieurs engagements durant cette COP [au sujet des énergies fossiles]. »

« C’est quand même révélateur : malgré leur présence, [les acteurs de l’industrie fossile] n’ont pas été capables d’empêcher ça. Et ça ne va pas s’améliorer pour eux dans les prochaines années. »

— Hugo Séguin, spécialiste des négociations climatiques et fellow au CÉRIUM

Si l’amendement de dernière minute de l’Inde en a choqué beaucoup, M. Séguin ne se dit pas surpris de cette position. « L’Inde a toujours tenu le même discours. C’est un pays en développement qui va avoir besoin de beaucoup d’énergie au cours des prochaines années. Là ils disent aux pays industrialisés : vous vous êtes servis du bar ouvert pendant des années, on y a droit un peu. »

« La COP des efforts inadéquats »

« Alors peu importe le vocabulaire utilisé [dans l’entente], c’est quand même un gain », ajoute Hugo Séguin. Mais personne ne déborde d’enthousiasme au sujet des conclusions de la COP26. « Il y a eu des annonces qui ont été intéressantes. Mais si on n’arrive pas à atteindre l’objectif global, on ne peut pas crier victoire », lance Émile Boisseau-Bouvier, analyste des politiques climatiques chez Équiterre.

« C’est vrai qu’il y a eu certains progrès sur certains sujets, mais le progrès demeure fragile. Pour moi, la COP26, c’est la COP des efforts inadéquats », rétorque Eddy Pérez, directeur de la diplomatie climatique internationale pour Réseau action-climat Canada.

Plusieurs experts signalent en effet que le temps pourrait manquer alors que la planète s’est déjà réchauffée de 1,1 °C depuis l’ère préindustrielle.

Et malgré un recul en 2020 en raison de la pandémie, les émissions mondiales de GES sont reparties à la hausse en 2021 avec la reprise économique.

Des questions sont également demeurées en suspens à l’issue de cette conférence internationale. La déception était vive pour de nombreux représentants de pays en développement qui ont pris la parole samedi avant l’adoption finale de l’accord. Pour eux, la différence entre un réchauffement de 1,5 °C et de 2 °C va se compter en morts et en territoires engloutis par la hausse des océans.

De plus, les pays industrialisés n’ont toujours pas tenu leur promesse de livrer 100 milliards de dollars par année aux pays les plus pauvres qui seront aussi les plus durement touchés par la crise climatique.

« C’est un accord qui est insuffisant, incomplet, tant au niveau des cibles [de réduction] des États que du financement pour les pays en développement, conclut Hugo Séguin. Mais ce n’est que la photo du niveau d’engagement des pays à cette COP. C’est un accord qui reflète le déficit d’ambition. »

— Avec la collaboration de Lila Dussault, La Presse

Changements climatiques

2,7 °C

Réchauffement prévu d’ici 2100 avant la tenue de la COP26

2,4 °C

Réchauffement prévu si tous les engagements de COP26 sont tenus

1,5 °C

Limite du réchauffement par rapport à l’ère préindustrielle au-delà de laquelle les effets pourraient être irréversibles

1,1 °C

La planète s’est déjà réchauffée de 1,1 °C depuis l’ère préindustrielle.

Ils ont dit

« La COP26 est terminée. Voici un bref résumé : Bla, bla, bla. »

— La militante climatique Greta Thunberg, sur Twitter

« Les COP viennent mettre la barre minimum et il y a des pays qui la descendent encore plus. C’est clair que plus le langage est faible, évasif, flou, plus ça permet à certains pays, à certaines compagnies de poursuivre leurs activités sans être dérangés. Ça aura certainement des conséquences en degrés Celsius sur le climat, sur notre planète. »

— Émile Boisseau-Bouvier, analyste des politiques climatiques chez Équiterre

« Somme toute, ce n’est pas l’entente à laquelle l’humanité est en droit de s’attendre, dans un contexte où on est déjà frappé par les évènements climatiques extrêmes. »

— Patrick Bonin, porte-parole et responsable de la campagne Climat-Énergie pour Greenpeace Canada

« C’est une grosse occasion manquée. C’était une étape très importante, Glasgow, il y a des choses qui ont avancé sur certains points, mais vu l’urgence actuelle, ce n’est pas suffisant. »

— Thomas Burelli, professeur en droit à l’Université d’Ottawa et observateur pour le Centre québécois du droit de l’environnement à Glasgow

« À mon avis, l’entente d’aujourd’hui reflète d’abord et avant tout une déconnexion entre ce que la science, les gens et les pays les plus vulnérables vivent, exigent et demandent, et la lenteur à laquelle le milieu politique comprend l’urgence climatique actuelle. »

— Eddy Pérez, directeur de la diplomatie climatique internationale pour le Réseau action climat Canada

la boga, Un « bon coup » du Québec

À Glasgow, le Québec est devenu le troisième État à se joindre à la Beyond Oil and Gas Alliance (BOGA), menée par le Costa Rica et le Danemark. Un « bon coup » pour le Québec, note Émile Boisseau-Bouvier, analyste des politiques climatiques chez Équiterre, qui explique qu’il s’agit d’une « alliance de pays qui s’engagent à mettre fin à l’exploration et l’exploitation des énergies fossiles sur leur territoire ». La France, le Groenland, l’Irlande, la Suisse, le pays de Galles ont emboîté le pas. La Californie, le Portugal et la Nouvelle-Zélande sont devenus des membres associés, tandis que l’Italie a été désignée « amie » de la BOGA. « Avoir ces alliances-là permet d’envoyer un message qui est fort, d’attirer d’autres joueurs, et de se fédérer dans cet objectif-là », estime Émile Boisseau-Bouvier.

COP26

Les points clés du pacte climatique de Glasgow

Énergies fossiles

L’accord de Paris de 2015, qui vise à limiter le réchauffement de la planète « bien en deçà » de 2 °C par rapport à l’ère industrielle, si possible 1,5 °C, ne contient pas les mots « charbon », « pétrole », « gaz », ni même « énergies fossiles », pourtant principales responsables de changement climatique. Alors la première mention de ces énergies polluantes dans une décision des quelque 200 pays signataires a été saluée comme « historique ». Mais sous la pression de l’Inde, de la Chine et de l’Arabie saoudite, la portée du texte a été progressivement affaiblie. Le texte adopté appelle finalement à « intensifier les efforts vers la réduction du charbon sans systèmes de capture (de CO2) et à la sortie des subventions inefficaces aux énergies fossiles ».

Pertes et préjudices

La Convention des Nations unies sur les changements climatiques de 1992 repose sur deux piliers : la réduction des émissions de gaz à effet de serre et l’adaptation notamment des plus vulnérables aux impacts à venir. Mais depuis cette date, les conséquences dévastatrices du réchauffement sont devenues une réalité dans le présent et les dégâts se comptent en milliards de dollars. C’est ainsi que le concept de « pertes et préjudices » a émergé, en référence aux catastrophes qui ne peuvent plus être évitées. Mais le mécanisme mis en place en 2013 pour prendre en compte cette question est resté flou. Alors, à Glasgow, les pays en développement ont tenté de faire entendre leurs revendications. En vain. Leur proposition de créer un nouveau système opérationnel de financement a été bloquée, notamment par les États-Unis qui craignent les implications juridiques d’un tel engagement.

mises à jour attendues

L’accord de Paris prévoit que les pays signataires révisent à la hausse leur ambition de réduction d’émissions de CO2 tous les cinq ans. Le premier cycle de révision devait s’achever fin 2020, mais a été repoussé en raison de la pandémie de COVID-19, qui a reporté la COP26 d’un an. Mais les émissions continuent d’augmenter et les scientifiques avertissent qu’il reste moins de dix ans pour limiter le réchauffement à 1,5 °C. Les appels se sont alors multipliés pour accélérer le rythme de ces mises à jour, avant le prochain cycle prévu en 2025. Le pacte de Glasgow adopté samedi « demande aux parties de revisiter et renforcer leurs objectifs 2030 […] autant que nécessaire pour les aligner avec les objectifs de température de l’accord de Paris, d’ici la fin de 2022 ».

Marchés carbone

L’« article 6 » de l’accord de Paris, qui concerne le fonctionnement des marchés carbone, empoisonnait depuis trois ans les négociations sur le climat, empêchant de conclure le « manuel d’utilisation » de l’accord de Paris. Après un échec à la COP24 en 2018, puis à la COP25 en 2019, un accord a finalement été trouvé à Glasgow sur ces règles des marchés carbone destinés à aider à la réduction des émissions de CO2. Mais de nombreuses ONG soulignaient qu’il valait mieux pas d’accord qu’un accord qui remettrait en cause l’intégrité environnementale de l’accord de Paris. Le texte adopté permet de « combler certaines des failles scandaleuses, comme le double comptage », qui permettrait à une tonne de CO2 d’être comptabilisée à la fois par l’acheteur et par le vendeur, a commenté Laurence Tubiana, architecte de l’accord de Paris, qui réclame toutefois un organe de surveillance de la mise en œuvre de ces marchés.

— D’après l’Agence France-Presse

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