Les marchés s’enlisent, la récession pointe

On dit souvent que les marchés boursiers sont un indicateur économique avancé, capable de prédire la direction que prendra l’activité économique au cours des prochains mois. Si tel est le cas, la morosité persistante des marchés pourrait présager un avenir économique loin d’être radieux, et même plutôt orageux.

C’est que, décidément, les marchés boursiers ne donnent aucun signe de répit aux investisseurs et entreprennent la deuxième moitié de l’année comme ils ont terminé le premier semestre de 2022.

Ceux qui espéraient que les maigres gains enregistrés lundi à la Bourse de Toronto marquent le début d’un possible renversement de tendance ont eu droit à un brusque retour à la réalité mardi lorsque les points gagnés la veille ont été brutalement effacés. La chute de 8 % du prix du pétrole a ébranlé l’indice canadien, les titres du secteur de l’énergie ayant écopé.

On le sait, la Bourse américaine a enregistré ses pires rendements de première moitié d’année depuis le début des années 1970. L’indice S&P 500 accuse un recul de plus de 24 % depuis l’atteinte de son sommet, il y a six mois.

Pour sa part, l’indice S&P/TSX poursuit sa dégringolade amorcée il y a trois mois. Il avait enregistré, en date de mardi, une baisse de près de 15 % de sa valeur. Et rien ne semble vouloir enrayer ce mouvement baissier alors que les craintes grandissantes d’une récession ne font que nourrir depuis quelques jours l’élan des investisseurs désireux de brader leurs titres.

Devant pareil contexte, on peut donc se demander si le comportement baissier des marchés est à l’heure actuelle un indicateur précurseur de l’activité économique ou s’il est le reflet de la détérioration anticipée de la situation économique globale pour les raisons que l’on connaît, soit la forte inflation et la hausse des taux d’intérêt qu’elle entraîne.

Un petit rappel pour commencer. Depuis 1900, les dizaines de marchés baissiers qu’ont connus les États-Unis ont culminé dans 70 % des cas par une récession.

Matthieu Arseneau, chef économiste adjoint à la Banque Nationale, m’a rappelé cette boutade de l’économiste américain Paul Samuelson qui avait souligné en 1966 que les marchés baissiers avaient prédit neuf des cinq dernières récessions…

« Aujourd’hui, on peut observer que les marchés boursiers ont prédit 11 des 8 dernières récessions aux États-Unis depuis le début des années 1950 », observe Matthieu Arseneau.

Le marché baissier de 1962, avec un recul de 28 %, celui de 1966, avec une baisse de 22 %, et enfin le célèbre krach de 1987, qui a donné lieu à une dévalorisation de 33,5 %, n’ont pas été suivis d’un repli marqué de l’activité économique, ils n’ont donc pas été précurseurs de récession.

Les profits à surveiller

La situation de 2022 est particulière. La forte correction du premier semestre a été essentiellement le résultat d’une réévaluation d’une valorisation extrêmement élevée de nombreux titres. On n’a qu’à penser aux titres de Tesla, Apple ou Amazon, qui ont fortement reculé parce qu’ils étaient tout aussi fortement surévalués.

« Il va falloir attendre la prochaine série de résultats financiers au cours du prochain trimestre pour voir si la situation financière des entreprises s’est vraiment détériorée et si cela confirme la thèse d’un fort ralentissement économique », souligne l’économiste de la Banque Nationale.

D’ici là, il y a plusieurs autres indicateurs précurseurs de l’activité économique qui vont nous donner une bonne mesure des risques ou non d’une récession aux États-Unis et d’une possible contagion au Canada.

Actuellement, sur 17 grands indicateurs, il y en a quatre qui sonnent l’alarme d’une possible récession. Outre les marchés boursiers, il y a le prix du cuivre, l’indice de confiance des consommateurs de l’Université du Michigan et l’indice de confiance des PME.

Les autres indicateurs sont au neutre ou témoignent d’un climat économique favorable.

« Il faudra regarder les prochaines données concernant le marché du travail et voir par exemple si les entreprises font moins appel aux agences de placement », observe Matthieu Arseneau.

Un nombre grandissant d’observateurs pensent même que la Réserve fédérale américaine pourrait réduire la cadence des hausses de taux pour assurer un atterrissage en douceur de l’activité économique, ce qui favoriserait un redressement des marchés boursiers.

Bref, les risques de récession sont davantage liés à la progression de l’inflation qu’au comportement des marchés boursiers, et ce sont les façons dont on réussira à réduire la progression du coût de la vie qui seront déterminantes pour la suite.

Ironiquement, les marchés boursiers, qui sont censés être les indicateurs d’une possible récession, reculent depuis quelque temps déjà sur l’appréhension qu’une telle éventualité se produise.

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