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Le petit scandale de la taille forte

Au début du mois, l’article du magazine Elle sur le mannequin Leah Kelley a suscité un tsunami de réactions sur Twitter. Les usagers – et surtout les usagères – des réseaux sociaux étaient en état de choc : comment cette fille magnifique aux formes parfaitement normales pouvait-elle être classée « taille forte » dans le monde des mannequins ? À une époque de l’année où tout le monde se préoccupe de son tour de taille, voici une petite incursion dans le monde sélect du mannequinat.

Des mannequins de plus en plus minces

En 2012, Kirstie Clements, congédiée de son poste de directrice de Vogue Australie, a révélé dans un livre-choc les méthodes drastiques employées par les mannequins pour atteindre le poids désiré afin de défiler à Paris – taille zéro à deux.

Les mannequins ingurgitent des mouchoirs pour se remplir l’estomac, fument des cigarettes et se nourrissent exclusivement de Coke Diète, dénonçait Mme Clements. La gourou de mode australienne disait que de plus en plus de mannequins développent un léger duvet sur les membres, symptôme d’une anorexie avancée. « Je n’ai jamais vu un mannequin avoir chaud, même sous un manteau de fourrure au milieu du désert. »

La même année, en pleine semaine de la mode à New York, la mannequin russe Kira Dikhtyar y est allée de confessions semblables : pour atteindre la taille zéro, les mannequins procèdent à des lavements quotidiens, consomment des laxatifs et des amphétamines ou ingurgitent des boules de coton imprégnées de jus d’orange pour combattre la faim.

Le fait est que l’idéal de beauté a fondu depuis 60 ans. À preuve, cette galerie photo, qui compare quatre égéries de la mode à travers les six dernières décennies.

ANNÉES 50 : Marilyn Monroe

1,52 m (5 pi)

Poids : 53,5 kg (118 lb)

Buste :  91 cm (36 po)

Taille : 58 cm (23 po)

Hanches : 91 cm (36 po)

Taille de vêtements : 8 à 10

ANNÉES 80 : Cindy Crawford

1,76 m (5 pi 9,5 po)

Buste : 86 cm (34 po)

Taille : 66 cm (26 po)

Hanches : 89 (35 po)

Taille de vêtements : 6

ANNÉES 90 : Kate Moss

1,73 m (5 pi 8 po)

Buste : 86 cm (34 po)

Taille : 58 cm (23 po)

Hanches : 89 cm (35 po)

Taille de vêtements : 4

2012 : Coco Rocha

1,78 m (5 pi 10 po)

Buste : 84 cm (33 po)

Taille : 56 cm (22 po)

Hanches : 86 cm (34 po)

Taille de vêtements : 2

Des consommatrices de plus en plus rondes

Parallèlement, les acheteuses de vêtements – vous, moi, la voisine- sont de plus en plus rondes. « On a une population qui grossit et des entreprises qui font des tailles de plus en plus petites. Les fabricants en sont rendus à produire de la taille 00. On a senti d’aller encore plus loin que la taille zéro », observe Marie-Josée Trempe, directrice de l’agence Specs, à Montréal.

Pourtant, la Canadienne moyenne, elle, s’habille avec des vêtements de tailles 12 à 14. Et depuis 30 ans, les femmes occidentales ont clairement pris du volume. L’Union française des industries de l’habillement l’a mesuré très objectivement en 2006 en prenant les mesures de 12 000 Français. Résultat : en 1970, la Française moyenne mesurait 160,4 cm et pesait 60,6 kg. Elle portait des vêtements de taille 38.

En 2006, la Française moyenne mesurait 162,5 cm, pesait 62,4 kg et mettait du 40.

« Je mesure 5 pi 2 po, je fais du 10. Pour ma propre industrie, je serais considérée comme obèse. Or, objectivement, je ne suis pas grosse, ni même de taille forte ! », dit Mme Trempe.

Mannequin de défilé

1,78 m au minimum (5 pi 10 po)

Buste : 86 cm (34 po) de buste

Taille : 61 cm (24 po) de taille

Hanches : 86 cm (34 po) de hanches

Taille de vêtements : 0

Mannequin « taille forte »

1,78 m (5 pi 10 po)

Buste : 91,5 cm (36 po) de buste

Taille : 71 cm (28 po) de taille

Hanches : 96,5 cm (38 po) de hanches

Taille de vêtements : 10

Canadienne moyenne de 20 à 39 ans

1,63 m (5 pi 3 po)

Buste : 96 cm (38 po) de tour de buste

Taille : 85 cm (33,5 po) de tour de taille

Hanches : 102,3 cm (40 po) de tour de hanches

Poids : 68,7 kg (151 lb)

Taille de vêtements : entre 12 et 14

Du changement à l’horizon ?

La décision du magazine Vogue, et de sa non moins célèbre directrice Anna Wintour, de choisir la mannequin Kate Upton – taille 8-pour faire la couverture du numéro de juin dernier montre que l’industrie est en train de changer, estime Mme Trempe, qui dirige l’une des plus grosses agences de mannequins au Québec. « En voyant ça, on s’est dit wow, enfin ! Un corps de femme et non plus un corps de garçon ! », dit-elle. Mais est-ce vraiment la fin du look « héroïne chic » qui sévit dans les défilés depuis les années 90 ? La décision de la grande agence new-yorkaise IMG de promouvoir la « diversité » chez ses mannequins est un autre signe certain d’évolution, croit Marie-Josée Trempe. 

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