Normaliser la diversité
La série britannique Heartstopper raconte une histoire d’amour d’adolescence. Les premiers papillons. Le fol espoir que ce soit réciproque. Le premier baiser. Présentée depuis avril sur Netflix, cette comédie romantique est à la fois adorable et classique. Sauf que… Sauf que les deux protagonistes sont deux garçons. Et, fait à noter : l’histoire finit bien, sans souffrance épouvantable ni drame familial.
Titulaire de la Chaire de recherche sur la diversité sexuelle et la pluralité des genres, Martin Blais a vu la série. Et elle est loin, bien loin du premier souvenir qu’il garde des représentations LGBTQ+ au petit écran lorsqu’il était adolescent. Une image lui vient en tête : celle du personnage d’Éloi Richard dans Jamais deux sans toi, au début des années 1990. C’était le petit ami de Bernie (Serge Thériault). Le visage pâle, le souffle court, Éloi était atteint du sida.
« Il était à l’article de la mort, se souvient Martin Blais. Évidemment, c’est ce qui se passait et c’était important. Mais c’est l’image que les parents avaient des hommes gais. C’est sûr que ça marque ! Là, on voit autre chose. Et c’est fantastique. »
Les intervenants à qui nous avons parlé sont unanimes : la présence de modèles positifs dans l’espace médiatique a un impact significatif.
« Ça encourage les jeunes à se dire : “Moi aussi, je peux être authentique avec ce que je ressens et je vais quand même avoir une vie satisfaisante” », résume Marie Houzeau, directrice générale de GRIS-Montréal, un organisme qui démystifie la diversité sexuelle et de genre dans les écoles. Un cercle vertueux s’ensuit, dit-elle. Plus il y a de modèles positifs aujourd’hui, plus il y en aura demain.
Marie Houzeau pense aussi à la série Sex Education, également sur Netflix. La série américaine Euphoria, très populaire auprès des adolescents, présente aussi des personnages queers nuancés et complexes. Au Québec, la série Nomades (Tou.tv) raconte la quête de liberté de Sam, interprétée par la comédienne Romane Denis. Sam est bisexuelle, mais là n’est pas le point central de sa quête.
« Ce que j’aimais du personnage de Sam, c’est que sa bisexualité, ce n’était pas ça qui la définissait. Ça permet de normaliser, de banaliser. »
— Romane Denis, qui incarne Sam dans la série Nomades
Romane se souvient des personnages gais, à la télé, quand elle était enfant. « C’était : “Oh mon Dieu, suis-je gai ? Ah ! Je vais tenter de me suicider !”, illustre-t-elle. Je ne comprenais pas pourquoi on en faisait tout un plat. »
Une génération plus assumée
Des histoires comme celle présentée par Heartstopper, ça existe aussi dans la vraie vie. Il y a des jeunes, donc, pour qui c’est possible de vivre en concordance avec leurs sentiments et leurs besoins sans avoir à passer par des parcours remplis d’adversité.
Chez la plus jeune génération, quelque chose change rapidement dans les attitudes à l’égard de la diversité sexuelle, constate le professeur à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) Martin Blais. Une tendance vers une certaine normalisation, une plus grande inclusion.
« Je ne veux pas généraliser, parce qu’il y a quand même des milieux où c’est plus difficile pour les jeunes, mais je pense qu’il y a un mouvement d’ascenseur. On a changé d’étage. Et je pense que les représentations dans les médias en témoignent. »
— Martin Blais, professeur à l'UQAM
C’est aussi la première génération ayant grandi dans un contexte où il était légal de s’unir légalement avec une personne du même sexe, souligne Martin Blais.
La créatrice de contenu LGBTQ+ Marie Gagné observe un fossé entre la génération Y et la génération Z, elle qui, à 26 ans, est à cheval entre les deux.
« Les gens de la Gen Z, ils s’assument tellement plus, ils sont tellement plus fiers », dit celle que le grand public a pu voir, en 2020, dans la série Célibataires à boutte. C’est d’ailleurs pour contribuer à normaliser le fait d’être lesbienne que Marie Gagné a accepté de participer à l’émission. « Scoop : je n’étais pas vraiment à boutte ! », dit-elle en riant.
Marie Houzeau constate que, depuis quelques années, des coming out surviennent plus tôt dans l’adolescence et se passent plutôt bien, « tant auprès de l’entourage que du groupe d’amis proches ». Quand la culture familiale normalise la possibilité que l’enfant fréquente un jour un partenaire du même sexe, c’est évidemment moins anxiogène pour le jeune, dit-elle.
« Les jeunes ne vivent pas en vase clos non plus », nuance Marie Houzeau, qui souligne que, même en 2022, aucun milieu scolaire n’est totalement exempt d’homophobie et de transphobie.
« Paradoxe »
Chez les jeunes, de façon générale, le niveau de confort envers la diversité sexuelle et la diversité de genre augmente. Les statistiques le montrent. Chez les jeunes issus de la communauté, pourtant, le niveau de souffrance demeure élevé, souligne Mme Houzeau. Ils demeurent surreprésentés dans les statistiques de suicide, d’itinérance, de consommation.
« Il y a un chaînon manquant », résume Marie Houzeau, selon qui il faut peut-être commencer à interroger les adultes, les systèmes en place, la culture au sens large.
Les recherches montrent que c’est plus difficile pour les personnes qui rapportent des identités sexuelles ou des identités de genre moins connues, comme la non-binarité, la bisexualité, la pansexualité, souligne Martin Blais, pour qui il reste beaucoup d’éducation à faire.