Opinion

« Mot en N »
Lettre à mes étudiants de BIO1530

Chers étudiantes et étudiants de BIO1530,

En octobre 2020, j’ai été accusé de racisme sur les médias sociaux. Certains ont réclamé ma rééducation, d’autres mon renvoi. Profondément blessé, je suis resté silencieux pour ne pas devenir une distraction alors que vous naviguiez dans la réalité complexe des cours en ligne. Maintenant que les notes finales sont soumises, permettez-moi de répondre à ces accusations.

J’ai été jugé raciste parce que j’ai approuvé une lettre signée par 34 collègues (Journal de Montréal, 16 octobre 2020) demandant à notre administration universitaire de protéger le principe de liberté académique à la lumière de la suspension d’une professeure. Celle-ci avait mentionné un mot jugé désobligeant (le mot anglais commençant par un N) dans un contexte pédagogique approprié. La lettre condamnait aussi le racisme et la discrimination et ne contenait aucune approbation sur l’utilisation de termes péjoratifs en tant qu’insultes sur le campus.

Le débat qui a suivi a révélé une réalité troublante. Il appert qu’en tant que professeurs blancs ayant la permanence ou en tant que membres d’une majorité, ceux qui ont signé ou approuvée la lettre auraient utilisé leur position privilégiée pour offenser ou manquer de respect envers les minorités raciales. Ce type de discours s’inspire d’idéologies américaines qui se répandent lentement dans les universités canadiennes même si le contexte social est fort différent. Ces idéologies sont sévèrement critiquées1 principalement pour leur manque de rationalité. Elles catégorisent et antagonisent les personnes plutôt que de fortifier ce qui nous unit. Elles supposent que le racisme est omniprésent et maintenu dans toutes les sphères de la société puisqu’il sert la majorité blanche.

De plus, en s’appuyant sur une notion de « politiquement correct », ces idées discriminatoires se donnent une fausse aura de légitimité et s’enrobent d’une quasi-immunité face à la critique. Ceux qui osent les remettre en question sont automatiquement accusés de racisme et font l’objet d’intimidation et de menaces. Je pense que, dans une université, toutes les idées doivent être ouvertes à la critique. Aussi, je ne suis pas facilement intimidé.

J’ai approuvé la lettre parce que j’aime mon université2, j’aime la recherche et l’enseignement3 et j’ai toujours activement défendu l’expérience universitaire des étudiantes et étudiants de toutes origines4. Je désapprouve fortement toute discrimination basée sur la race, le sexe ou autre motif. Lorsque des incidents racistes se produisent, ils doivent être dénoncés et résolus de façon constructive (comme l’a toujours fait l’Université d’Ottawa). Je suis d’accord avec les programmes qui favorisent l’égalité, la diversité et l’inclusion de toutes les minorités dans l’expérience universitaire. Ces programmes doivent cependant s’inscrire dans un cadre intellectuel fondé sur une éthique impeccable et la pensée rationnelle, ce qui exclut les idéologies irrationnelles.

J’ai approuvé la lettre parce que la liberté d’expression (dans les limites fixées par le Code pénal) liée à la liberté académique permet de s’attaquer rationnellement et avec lucidité aux enjeux sociétaux, tel le racisme. Je comprends que le « mot en N » est lourd de sens et est offensant pour certains. Je n’aime pas ce mot, je ne l’ai jamais utilisé et je ne l’utiliserai jamais. Ceci étant dit, dans un monde où le complotisme et les fausses vérités prennent de l’ampleur, il faut impérativement un lieu où des débats vigoureux, respectueux et rationnels sur les idées, concepts ou termes, même controversés, pourront se faire.

L’université demeure ce lieu idéal d’échanges. Il est donc capital d’en protéger les principes fondamentaux : la liberté académique et la liberté d’expression.

J’ai approuvé cette lettre parce que je suis contre la création, dans les universités, d’un « code » implicite ou explicite de termes ou d’idées à proscrire avec l’objectif d’éviter de froisser des « susceptibilités ». Il est évident qu’avec le temps, ce « code » prendrait de l’ampleur et finirait par définir ce qu’on peut ou ne peut pas dire ou enseigner sur le campus. Ceci équivaudrait à imposer une censure et il s’en suivrait un climat de suspicion et de réprobation non souhaitable. Dans une communauté universitaire, il y a autant de « susceptibilités » que de membres. Qui décidera si un terme ou une idée doit faire partie du « code » ou nécessitera une action punitive ?

Par exemple, devrais-je cesser d’enseigner dans le cours BIO1530 (500 étudiants) et BIO1130 (1200 étudiants) (i) l’évolution biologique de la pigmentation de la peau chez les humains en tant qu’exemple de la sélection naturelle, (ii) les conséquences de l’inertie gouvernementale dans la lutte aux changements climatiques, (iii) utiliser la religion pour expliquer la distinction entre science et non-science, ou (iv) démontrer pourquoi la religion a un impact négatif sur l’acceptation de la théorie de l’évolution ? Même si je fais attention à la teneur de mes propos, plusieurs de ces concepts m’ont valu des commentaires acerbes. Dois-je maintenant modifier mon cours en tenant compte de malaises potentiels ? Serais-je réprimandé si je ne le fais pas ?

La censure limite la diffusion des connaissances et affecte négativement la qualité de votre éducation. Personne ne veut de cela pour l’Université d’Ottawa.

J’ai approuvé la lettre parce que la suspension de la professeure dans l’incident du « mot en N » a créé un précédent à l’université. Les universités visent à offrir une formation qui fera de vous des citoyens informés, avisés et respectueux des droits de toutes et de tous. Pour ce faire, elles ne doivent pas souscrire à des idéologies qui créent des divisions ou des catégories parmi sa communauté. Je suis persuadé que l’Université d’Ottawa (i) évaluera et rejettera les idéologies préjudiciables à sa mission et (ii) réaffirmera sans équivoque son engagement en faveur de la liberté académique et de la liberté d’expression sur le campus. Ainsi, vous ne payerez pas des milliers de dollars pour une éducation filtrée par le tamis de la censure et des idéologies irrationnelles occultées par le « politiquement correct ».

Sur un plan plus personnel, je sais que le déferlement d’insultes me visant n’était le fait que d’un très petit nombre d’individus. Néanmoins, j’ai été consterné, mais pas surpris, par la violence et la sévérité des commentaires sur les médias sociaux à la suite de mon appui à cette lettre. Il est évident que ces médias sont beaucoup plus dans l’impact que dans le débat d’idées, mais c’est tout de même révélateur quand, pour plusieurs, l’insulte raciste semble le seul argument disponible. Ce sera toujours la qualité et la décence des arguments qui susciteront le respect !

En conclusion, j’espère que vous comprenez que cette lettre témoigne de mon dévouement et de mon respect pour notre institution et pour vous, chers étudiants et chères étudiantes. Le seul privilège que j’aie en tant que professeur est d’avoir la possibilité de vous faire réfléchir sur des idées et des concepts qui peuvent être utiles à votre compréhension du monde. C’est tout ! Mais c’est, à la fois, ma motivation et ma récompense. Je vous souhaite donc très sincèrement du succès dans la poursuite de vos études à l’Université d’Ottawa.

1 La discussion de ces idéologies (théorie critique de la race, intersectionnalité, justice sociale critique, fragilité blanche, etc.) prendrait trop de place. Je recommande cette publication pour commencer, mais il y en a plusieurs autres : Pluckrose, H et J. Lindsay. 2020. Cynical Theories : How activist scholarship made everything about race, gender and identity and why this harms everybody. (Pitchstone Publishing). Sur le web, je recommande : newdiscourses.com

2 J’ai été professeur pendant 32 ans, doyen associé, faculté des sciences (1996-2001), doyen par intérim de la faculté des sciences (2003), vice-président associé, Gestion des effectifs scolaires et registraire (2003-2008) de l’Université.

3 Professeur de l’année (Université d’Ottawa) 2013. Professeur de l’année (Association des étudiants en sciences) : 2016 et 2018.

4 L’initiative la plus récente est la création et ma participation à uOsatisfACTION (2017 — maintenant) ; un groupe de professeurs, de personnel de soutien et d’étudiants qui se consacre à l’amélioration de l’expérience universitaire des étudiants. Nous avons reçu et donné suite (lorsque possible), avec le plus grand respect, à plus de 5000 commentaires étudiants.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.