Société

Un livre ouvert

Superficielle, la mode ? Peut-être pour certains, mais les vêtements que les individus choisissent de porter, eux, sont loin d’être anecdotiques. Ils sont plutôt la matérialisation de ce qu’une personne désire, inconsciemment ou pas, projeter dans la société. Une société qui influence, elle aussi, nos choix vestimentaires… qu’on le veuille ou non !

De sa création à sa commercialisation, en passant par le stylisme et les tendances du jour, le vêtement a été étudié sous toutes ses coutures. Pourtant, un de ses aspects fondamentaux, soit le rapport que chaque personne entretient avec sa garde-robe – son « comportement vestimentaire » – est souvent laissé au vestiaire.

C’est cet aspect « psychosocial », mais aussi émotif, de la mode et du vêtement qui intéresse depuis près de 30 ans Luc Breton, styliste à son compte (collaborateur des Effrontés) et spécialiste en analyse des comportements vestimentaires. Il propose notamment depuis 2006 les ateliers « Je vêts bien », dans lesquels il aide les participants à analyser les empreintes qui ont forgé leurs habitudes vestimentaires. Depuis peu, il offre également une formation en analyse des comportements vestimentaires aux professionnels de l’image.

Sa mission : aider les femmes (et les hommes!) à se réconcilier avec leur corps et leur apparence. Car la question est loin d’être anodine : « Dans mes ateliers, j’essaie d’amener les gens à réfléchir sur leurs habitudes vestimentaires et leurs origines, et à se demander si cela leur rend justice aujourd’hui. Cela nous amène aux résistances et aux blocages vestimentaires, qui deviennent des fausses croyances, puis des certitudes. J’entends toutes sortes d’affaires, par exemple : "Les rousses ne devraient pas porter de pastel"! Ce que j’essaie de corriger, c’est cette façon qu’ont les gens de diaboliser le vêtement. »

Des personnes devenues prisonnières de leurs idées préconçues sur elles-mêmes, Luc Breton en a beaucoup rencontré : « Souvent, aux Effrontés, j’ai vu des dames pleurer, car elles découvraient qu’elles avaient de belles jambes ou un joli décolleté », confie-t-il.

Être/Paraître

Au fil des ans, M. Breton n’a pu s’empêcher de remarquer que les Québécois opposent souvent l’être et le paraître. « Pour les gens, être coquet, c’est automatiquement être dans le paraître, alors que plusieurs disent rechercher l’authenticité. D’un côté, les gens veulent être beaux et avoir une signature personnelle, mais de l’autre, ils crachent sur le monde de la mode et des apparences. La notion d’apparence, au Québec, c’est une patate chaude! »

Pourtant, souligne-t-il, impossible de dissocier l’être et le paraître. Car tous, au fond, ont le même désir : que leur apparence révèle qui ils sont vraiment. « Les gens veulent que leurs vêtements reflètent leur personnalité, leurs valeurs, mais bien souvent, ils sont incapables de les définir. »

Cette difficulté à bien se définir peut mener à l’envoi de messages flous, contradictoires ou pas du tout en phase avec sa personnalité. Pour aider ses clients, Luc Breton utilise le concept de l’image sensorielle, soit les émotions que provoque la vue de notre reflet dans le miroir.

« La question est : êtes-vous capable de trouver le vêtement qui va avec votre état d’âme du jour? C’est aussi une question de perception de soi : plus une personne est consciente de sa personnalité, plus elle est capable de choisir ce qui lui convient. Il y a des gens qui vont être victorieux dans du " mou ", d’autres dans des pièces plus structurées », illustre-t-il.

L’influence de l’environnement

Pas de doute; les vêtements que nous choisissons de porter en révèlent beaucoup, croit Mariette Julien, professeure à l’École de mode de Montréal : « Dès qu’une personne fait un choix vestimentaire, elle veut communiquer quelque chose, elle se construit une identité, tout en tenant compte, des fois sans le savoir, de la façon dont les gens la perçoivent. Les vêtements, la coiffure, le maquillage, les tatouages; ce sont toutes des façons d’exister socialement », lance cette spécialiste en sociologie et sémiologie de la mode.

S’ils semblent personnels, les choix vestimentaires sont fortement influencés par l’environnement social où l’individu est plongé. Comme il existe des raisons pour les comportements vestimentaires de chaque individu, chaque tendance en mode a aussi ses origines sociologiques et sémiotiques, explique Mme Julien.

« J’aime comprendre le pourquoi des choses, les fondements et symboliques de la mode : pourquoi les gens aiment porter du vintage, pourquoi la mode a été hypersexualisée depuis les 20 dernières années ou pourquoi le paraître sportif est tendance, énumère-t-elle. Il y a toujours une raison, même pour les couleurs! Les tendances sont des indicateurs de modes de vie de société qui ne trompent pas. Dans 30 ans, on va regarder comment les gens s’habillaient en 2013 et on va savoir exactement comment ils vivaient, se comportaient et pensaient. »

Ainsi, les individus adoptent les codes et tendances auxquels ils sont exposés, souvent sans s’en rendre compte… et pas toujours à leur avantage : « Il est très difficile d’échapper à la mode, constate Mme Julien. Mais ce n’est pas parce qu’on suit la mode que cette dernière va nous avantager. Dans le fond, tout en restant actuel, chacun devrait penser à l’objectif qu’il poursuit en s’habillant et s’adapter aux circonstances », suggère-t-elle, ajoutant que d’être conscient de l’impact de leurs choix vestimentaires peut permettre aux gens de faire des choix plus « lucides ».

Mais force est de constater que les choix vestimentaires causent des maux de tête à bien des gens, notamment aux femmes. Pas étonnant, puisque nous vivons dans une société où nous sommes sans cesse jugés sur notre apparence, remarque Mme Julien. « Plus que jamais dans l’histoire de l’humanité, les femmes vont s’évaluer à partir de leur attractivité sexuelle. Il faut annoncer le plaisir et être sexy; cela fait partie désormais de l’idéal de la beauté féminine. »

Une hypersexualisation qui puiserait ses origines dans la pin-up, un archétype inventé en 1897. Comme quoi il faut s’arrêter pour regarder en arrière afin de comprendre où on en est, un principe applicable autant à l’individu qu’à la société.

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