Uranium appauvri en Irak

Des cancers « semblables à ceux d’Hiroshima »

Elles étaient l’arme idéale en cas de situation désespérée, et la situation était souvent désespérée il y a quelques années en Irak.

Les munitions à pointe d’uranium appauvri voyagent à cinq fois la vitesse du son. Elles sont plus denses que le plomb et pénètrent l’armure des chars d’assaut et le béton armé des bunkers.

« Ce sont des munitions très performantes et peu coûteuses à produire, explique en entrevue le Dr Keith Baverstock, professeur au département des Sciences de l’environnement de l’Université de l’est de la Finlande. Ce n’est pas étonnant que l’armée américaine les aime. »

Dans la première et la seconde guerre d’Irak, plus de 480 tonnes de munitions faites d’uranium appauvri ont été utilisées dans les zones de combats intensifs, comme lors du siège de Falloujah, en 2004 et 2005.

Aujourd’hui, des médecins et des experts en santé publique craignent que l’uranium appauvri soit à l’origine de la hausse sans précédent des cas de malformations congénitales observées dans les régions d’Irak où les combats ont été les plus violents.

Les images de la BBC tournées plus tôt cette année à l’hôpital général de Falloujah, un bâtiment neuf construit par les Américains, donnent froid dans le dos. On y voit des nouveau-nés avec des malformations graves au crâne, aux bras et au dos. Certains bébés ont des malformations au cœur et du système nerveux et ne survivent pas à leur première année de vie.

À Bassorah et à Falloujah, des médecins ont rapporté une hausse marquée des naissances anormales depuis 2003.

Une étude dévoilée en 2009 par une équipe de médecins britanniques montre que les problèmes chez les citoyens de Falloujah ne sont pas qu’anecdotiques. Les cancers du sein y sont 10 fois plus courants qu’avant la guerre, et les cas de leucémie, 38 fois plus nombreux, selon les chercheurs.

Les types de cancers observés sont « semblables à ce que les résidants d’Hiroshima exposés aux radiations de la bombe ont vécus », notent-ils.

Le Dr Baverstock explique que les munitions à tête d’uranium appauvri prennent feu après avoir atteint un obstacle et créent des résidus toxiques fins qui peuvent rester dans l’environnement durant des millions d’années. L’uranium appauvri met 4,5 milliards d’années à perdre la moitié de sa radioactivité.

« Dans les endroits où il pleut beaucoup, les contaminants sont absorbés par le sol. Dans les endroits désertiques, comme en Irak, la poussière génotoxique, qui endommage l’ADN et cause des mutations, demeure en surface et peut être inhalée par les habitants, et s’accumuler dans les tissus du corps. »

Étude « bâclée »

Devant les interrogations sur les effets de l’uranium appauvri en Irak, le gouvernement irakien et l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ont lancé une étude sur les malformations congénitales dans les zones de combat intensif.

En mars 2013, le Dr Chaseb Ali, officiel du ministère irakien de la Santé, a dit à la BBC que son gouvernement était bien au courant du problème.

« Toutes les études réalisées par le ministère de la Santé prouvent sans l’ombre d’un doute qu’il y a eu une hausse des malformations congénitales et des cancers depuis que les mères sont exposées à ces substances, dont on sait qu’elles causent des problèmes congénitaux et des cancers. »

Le rapport devait être publié en septembre 2012, mais l’OMS et le gouvernement irakien ne l’ont diffusé qu’en octobre 2013, et le ton avait changé. 

Le document non signé de 10 pages affirme que les malformations congénitales dans 18 districts en Irak ont triplé durant la période 2003-2007, mais qu’ils ne sont « pas plus élevés qu’ailleurs ».

Sitôt publié, le document a été critiqué par d’anciens officiels de l’OMS, de l’ONU, ainsi que par les publications scientifiques The British Medical Journal et The Lancet.

« De la bouillie pour les chats »

Pour le Dr Baverstock, qui était à la tête du programme de Protection contre les radiations pour l’Europe de l’Organisation mondiale de la santé de 1991 à 2003, le rapport est « de la bouillie pour les chats ».

« C’est une honte. Un rapport non signé, avec des références partielles, qui semble être politiquement biaisé. Dans ma carrière, j’ai rarement vu un document aussi peu sérieux que ce rapport. »

Les chercheurs du gouvernement irakien, note-t-il, ont basé leurs observations sur les entrevues avec des parents des secteurs affectés.

« C’est basé sur la mémoire des gens. Pourtant, des données fiables existent. Mais ça n’a pas fait partie du rapport. C’est désolant. »

Mozhgan Savabieasfahani, docteure en toxicologie de l’environnement d’Ann Arbor, au Michigan, dit avoir sursauté quand elle a lu le document.

« J’étais très surprise de voir que le ministère de la Santé faisait ce qui semble être un virage à 180 degrés en moins de six mois, dit-elle en entrevue avec La Presse. En plus, personne dans l’étude de l’Organisation mondiale de la santé ou du gouvernement irakien n’a contacté l’hôpital général de Falloujah, qui maintient des dossiers complets sur les malformations. »

Mme Savabieasfahani a signé une critique de l’étude dans le British Medical Journal d’octobre 2013, dans laquelle elle accuse l’OMS d’avoir « ignoré les preuves » de l’effet de l’uranium appauvri sur la population irakienne.

L’étude coréalisée par l’OMS a été « sévèrement critiquée » par les experts dans le domaine, note The Lancet dans son numéro du 5 octobre, ajoutant que les résultants ne semblaient pas concluants.

Gregory Härtl, porte-parole de l’OMS à Genève, relève que le travail terrain a été fait par le gouvernement irakien. Il n’a pas été en mesure de mettre La Presse en contact avec les auteurs de l’étude.

Aux yeux de l’OMS, organisation de l’ONU consacrée à la santé publique, l’affaire est close.

« Le but de cette investigation était uniquement de voir, oui ou non, s’il y avait eu plus de malformations congénitales qu’avant, signale M. Härtl en entrevue. L’étude a trouvé qu’il n’y avait pas eu d’augmentation. Donc il n’y a pas de sens d’investiguer des causes d’un non-événement. »

Le département de la Défense des États-Unis affirme prendre les questions de santé publique au sérieux et est d’avis qu’on ne peut pas, à l’heure actuelle, tirer des conclusions sur les causes des malformations congénitales à Falloujah.

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