Le début d’un engagement nouveau ?
Benjamin Gingras le répète. En 2012, il était un « militant comme un autre ». Comme les dizaines, voire centaines de milliers de personnes qui marchaient dans les rues au plus fort de la grève étudiante. En juin de cette année-là, celui qui étudiait alors en psychologie a commencé à s’impliquer au sein de l’Association facultaire étudiante des sciences humaines de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), puis l’année suivante, il est devenu porte-parole de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ).
Aujourd’hui neuropsychologue, il est membre de la Commission nationale autochtone de Québec solidaire – il est issu de la communauté anishnabe de Timiskaming First Nation – et briguera l’investiture pour représenter le parti dans Abitibi-Est, aux prochaines élections.
« [La grève étudiante de 2012] a été un moment pivot dans ma vie, affirme-t-il sans hésiter. Je pense qu’il y a toujours eu des valeurs qui étaient présentes chez moi, comme chez d’autres milliers de personnes, mais on n’avait pas le moteur ou l’occasion de traduire ces valeurs en action concrète. » « Ce que la grève étudiante a permis, à moi et à tellement d’autres personnes, c’est de réaliser que l’action collective change les choses », poursuit-il.
« Je pense que le résultat le plus pérenne de la grève étudiante de 2012, c’est cette prise de conscience massive et carrément générationnelle. »
— Benjamin Gingras
Camille Robert, qui était co-porte-parole de la Coalition large de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (CLASSE) lors de la grève étudiante, croit elle aussi que le mouvement a politisé sa génération.
« Pour les gens qui étaient aux études en 2012, cette politisation, même si elle n’a pas nécessairement continué au sein du mouvement étudiant, s’est poursuivie de différentes façons », dit celle qui est aujourd’hui chargée de cours en histoire à l’UQAM et qui réalise un doctorat sur les grèves des travailleuses en éducation et en santé dans les années 1980.
« Plusieurs des valeurs militantes que j’avais en 2012, je les portais aussi avant, mais il reste que cette grève-là a été une école politique pour moi, comme pour plusieurs des personnes avec qui j’ai milité. »
— Camille Robert
Chez Québec solidaire, on dit avoir gagné des membres après le printemps érable. Puis, un « raz-de-marée » s’est fait sentir en 2017 avec l’arrivée de Gabriel Nadeau-Dubois, ex-leader étudiant. « Aujourd’hui, les jeunes de 2012 sont présents dans toutes les sphères du parti, de la militance terrain à la direction, remarque Camila Rodriguez-Cea, attachée de presse de Québec solidaire. Il n’y a pas eu de meilleure école de militance dans les dernières années au Québec. »
Un héritage difficile à mesurer
Difficile de savoir dans quelle proportion les jeunes du printemps érable, qui ont aujourd’hui pour la plupart entre 27 et 35 ans, ont poursuivi leur engagement une fois la grève terminée. « Il n’y a pas d’étude en bonne et due forme qui a été faite sur le sujet », déplore le sociologue de la jeunesse et professeur à l’Université de Montréal Jacques Hamel. « Ça a toujours été le vœu que j’ai fait, mais c’est resté un vœu pieux, de faire une étude pour voir ce que sont devenus les individus que j’ai interrogés il y a 10 ans. » Il souligne cependant que ceux qui ont embrassé une carrière militante représentent une minorité.
On ne note pas non plus une hausse de l’engagement politique chez les jeunes en analysant les taux de participation des 18-34 ans aux élections qui ont suivi le printemps érable. Bien que le taux de participation chez ce groupe d’âge ait augmenté d’environ 25 % au scrutin provincial de septembre 2012 par rapport à celui de 2008, cette hausse marquait plutôt un retour aux taux observés précédemment, 2008 ayant été qualifiée d’« anomalie ». Depuis, le vote des jeunes ne cesse de dégringoler (53,41 % chez les moins de 35 ans aux élections provinciales de 2018).
Or, il ne faut pas voir dans cette désertion des urnes un désengagement. « Ça ne veut pas dire que les jeunes s’impliquent moins politiquement parce qu’ils votent moins », note Éric Montigny, professeur au département de science politique de l’Université Laval et directeur scientifique de la Chaire de recherche sur la démocratie et les institutions parlementaires.
« Ça peut juste être fait différemment, comme manifester ou exprimer son opinion sur les médias sociaux. Il y a d’autres formes d’engagement que celui, traditionnel, dans les partis politiques. »
— Éric Montigny, professeur au département de science politique de l’Université Laval
Élargir l’engagement
« Au fond, c’est quoi, l’engagement ? », demande Elsa Mondésir Villefort, directrice générale de Citoyenneté Jeunesse, un organisme qui s’est donné pour mission d’amplifier la voix des jeunes de moins de 35 ans.
Élève au cégep du Vieux Montréal en 2012, elle ne se reconnaissait pas dans les leaders du mouvement étudiant et peinait à comprendre les rouages de la démocratie étudiante. « Ça m’a pris du temps avant de me reconnaître comme une femme engagée, dit-elle. Toute ma jeunesse, j’étais engagée dans une église, je faisais des activités avec des jeunes et je pensais : ce n’est pas de l’engagement. […] Si on élargissait notre vision de l’engagement, on permettrait à plus de jeunes de se reconnaître et on se rendrait compte qu’il y a encore plus de jeunes qui s’engagent. »
Du formel, beaucoup sont passés à l’informel. « Depuis ce qui s’est passé en 2012, il y a la même ferveur chez les jeunes, il y a le même désir de transformer le monde, mais je pense que les milieux et les espaces sont différents », estime Elsa Mondésir Villefort. Plusieurs se tournent vers les réseaux sociaux, les balados ou mettent sur pied leurs propres évènements, illustre-t-elle.
« Je suis vraiment convaincue que l’engagement est aussi fort, mais peut-être qu’il n’est pas aussi rassemblé, dans le sens où, en 2012, tout le monde était tourné vers l’éducation et maintenant, il y a beaucoup de cellules. »
— Elsa Mondésir Villefort
Lorsque le militantisme passe par des mentions j’aime et des gazouillis, les chances de butiner d’une cause à l’autre sont plus grandes. Un engagement que Jacques Hamel et Éric Montigny qualifient d’ailleurs « d’à la carte ». Si une hausse des droits de scolarité était annoncée aujourd’hui, verrait-on les jeunes descendre dans la rue ? Jacques Hamel ne le croit pas. Selon lui, les étudiants du printemps érable n’ont pas su transmettre leurs idéaux à leurs successeurs. Alors qu’en 2012, les étudiants réclamaient aussi la démocratisation de l’enseignement supérieur et la fin de la marchandisation du savoir, « aujourd’hui, dit-il, les étudiants qui sont actuellement dans les murs de l’université, ce sont des jeunes qui veulent en avoir pour leur argent ».
Quant à Éric Montigny, il ne saurait dire si une nouvelle menace de hausse des droits de scolarité conduirait les étudiants dans la rue. « La jeunesse n’est pas un bloc monolithique, surtout pas la génération Z. C’est une génération qui est à la carte sans carte [de membre d’un parti], mais aussi au point de vue idéologique », affirme celui qui a coécrit l’essai La révolution Z avec François Cardinal, paru en 2019. « Il y a des jeunes à droite comme il y a des jeunes à gauche et des jeunes au centre. »
Un clivage qui était d’ailleurs observé en 2012, mais qui est devenu plus marqué par la suite. Cette génération a été socialisée politiquement avec d’autres enjeux que ceux de l’indépendance. En ce sens, le printemps érable aura été marquant.
26 %
Proportion des jeunes de 18 à 25 ans qui, en 2018, ont nommé la crise étudiante de 2012 comme la première fois où ils se sont intéressés à un enjeu politique. Les changements climatiques arrivent au deuxième rang (18 %).
35 %
Proportion des jeunes de 18 à 25 ans qui, en 2018, ont dit s’être impliqués politiquement en commentant des enjeux politiques sur les réseaux sociaux, alors que 14 % ont milité dans un parti politique.
Source : Sondage Ipsos réalisé sur le web pour La Presse et la Chaire de recherche sur la démocratie et les institutions parlementaires de l’Université Laval auprès de 510 Québécois de 18 à 25 ans, du 31 août au 6 septembre 201