enquête de france 24 en afrique

Un ex-missionnaire québécois admet avoir agressé des enfants

Déjà mortifiée par un scandale de pédophilie au sein d’un collège de Granby, la congrégation des Frères du Sacré-Cœur fait face à de nouvelles allégations de sévices sexuels infligés à des enfants. Cette fois, les victimes se trouvent à l’autre bout du monde et n’ont que très peu de moyens d’obtenir justice.

Pendant 20 ans, le missionnaire québécois Marcel Courteau aurait agressé sexuellement des enfants dont il avait la charge à Madagascar, au Sénégal et au Togo, selon une enquête-choc de la chaîne d’information en continu France 24.

Le frère Courteau a admis les faits au journaliste français qui lui a rendu visite, muni d’une caméra cachée, dans sa maison de retraite à Sherbrooke. « Je reconnais et j’ai beaucoup de remords. Je regrette beaucoup certaines choses. Je ne pensais pas que cela irait si loin que cela », confie le religieux âgé de 92 ans.

Au Sénégal, une équipe de France 24 a recueilli le témoignage de Souleymane (nom fictif), un ancien élève du collège Pie XII, établi dans la ville de Kaolack. Le frère Courteau y a enseigné le français pendant 15 ans, à partir de 1972. Il convoquait certains élèves à des cours particuliers d’éducation sexuelle.

« Il a abusé de moi, il a détruit mon enfance, il a détruit ma vie d’adulte. »

— Souleymane

Le Sénégalais affirme que Marcel Courteau le masturbait sous prétexte de « développer [son] organe sexuel », et lui demandait de le masturber par la suite. Les attouchements auraient commencé quand Souleymane avait 12 ans et se seraient poursuivis pendant trois ans.

Souleymane a longtemps vécu avec son lourd secret. En 2010, il a trouvé la force de dénoncer son agresseur à un frère du Sacré-Cœur établi à Dakar. Mais les démarches ont tourné court : un avocat lui a expliqué qu’au Sénégal, il y avait prescription en matière criminelle.

Trop d’années avaient passé ; Souleymane n’avait plus de recours pour intenter une poursuite dans son pays.

La loi de l’Église catholique est toutefois différente. Dans une entrevue au journal La Croix, en mai, le pape François a déclaré que « pour l’Église, en ce domaine, il ne peut y avoir de prescription. Par ces abus, un prêtre qui a vocation de conduire vers Dieu un enfant le détruit. Il dissémine le mal, le ressentiment, la douleur. Comme avait dit Benoît XVI, la tolérance doit être de zéro ».

Cette ligne dure ne semble pas avoir été suivie dans le cas de Marcel Courteau. Dans le reportage, le frère de Dakar confie avoir prévenu ses supérieurs au Canada dès 2010. Or, la congrégation n’a rien fait. Le frère Courteau lui-même n’a jamais été mis au courant de la plainte de Souleymane. « Personne ne m’a parlé de cela. Vous êtes le premier à m’en parler », assure-t-il à France 24.

La congrégation aurait tenté de camoufler l’affaire. En 2010, sous prétexte que le frère Courteau était mourant, le religieux de Dakar aurait conseillé à Souleymane d’oublier ces agressions. « Il voulait vraiment me décourager. »

D’autres victimes ?

Filmé à son insu, mais sachant qu’il s’adresse à un journaliste, Marcel Courteau admet avoir perpétré des attouchements sur des enfants, non seulement au Sénégal, mais aussi à Madagascar et au Togo. Il tente aussi de se justifier. « D’abord, c’étaient tous des gens volontaires qui venaient me rencontrer. Je n’ai pas forcé personne », souligne le frère.

« Choquée, déçue et profondément affectée » par ces allégations, la communauté des Frères du Sacré-Cœur a condamné « vigoureusement toute forme d’inconduite commise par des personnes en autorité à l’endroit de mineurs », dans un communiqué publié hier.

« Je tiens, au nom de tous les religieux et laïcs œuvrant au sein de la communauté et à travers ses œuvres, à exprimer notre profonde compassion et nos excuses pour la souffrance qui aurait pu être causée par un membre de notre communauté. »

— Le frère Gaston Lavoie, supérieur provincial de la communauté

Souleymane songe à porter l’affaire devant les tribunaux canadiens. Mais la route pour obtenir justice s’annonce difficile. Contrairement au Sénégal, il n’y a aucun délai de prescription en matière criminelle au Canada. Toutefois, le crime doit être commis en territoire canadien, rappelle l’avocat criminaliste Jean-Pierre Rancourt. « Il n’a pas le choix de poursuivre dans son propre pays. »

En matière civile, le Québec est l’une des seules provinces du Canada à continuer d’imposer un délai de prescription dans les cas d’agressions sexuelles – une « injustice » contre laquelle se battent depuis longtemps les victimes de prêtres pédophiles.

Mais le Sénégalais persiste. « Je ne peux pas lâcher l’affaire, parce que c’est une question de morale », dit-il à France 24. Il veut que Marcel Courteau paie pour ses crimes, « parce que c’est un criminel ».

D’autres cas

Des milliers de missionnaires québécois ont œuvré auprès d’enfants vulnérables dans les pays du tiers-monde au cours des dernières décennies. Or, certains d’entre eux avaient agressé des enfants au Québec avant d’être envoyés à l’étranger.

« Trop longtemps, l’Église catholique a joué le rôle d’agence de voyages pour ses prêtres prédateurs d’enfants, s’insurge Carlo Tarini, de l’Association des victimes de prêtres. Trop souvent, avec la complicité des évêques, on a déplacé sournoisement les pédophiles au Québec d’une paroisse à l’autre et même d’un pays à l’autre lorsque l’odeur de soufre était trop forte. »

Il s’agit d’un autre coup dur pour les frères du Sacré-Cœur, confrontés au plus récent scandale de pédophilie au Québec. Le 7 octobre, un ancien élève du collège Mont-Sacré-Cœur de Granby, disant avoir été violé 300 fois par le frère Claude Lebeau, a déposé une requête en recours collectif contre la congrégation. Selon cet homme, aujourd’hui quinquagénaire, le frère Lebeau, gardien de dortoir, obligeait les enfants à se mettre en file devant sa chambre pour les agresser.

Depuis la médiatisation de l’affaire, une quarantaine de présumées victimes se sont manifestées. Pas moins de 11 religieux sont désormais visés par des allégations. Selon l’avocat chargé du recours collectif, Robert Kugler, cela prouve que la congrégation était au courant des actes pédophiles de ses membres – et a préféré fermer les yeux.

Des informations à transmettre concernant cette affaire ? Contactez la journaliste d’enquête Isabelle Hachey en toute confidentialité au 514 285-7000, poste 7179.

Jean-Claude Bergeron

Il était gardien de dortoir, en 1979 et 1980, quand il a agressé sexuellement sept élèves du séminaire Saint-Alphonse, à Sainte-Anne-de-Beaupré. Ce n’est toutefois qu’en mai dernier que ce frère rédemptoriste a pris le chemin de la prison pour ces crimes. Entre-temps, Jean-Claude Bergeron a vécu en Haïti, où il a travaillé auprès d’enfants vulnérables. Or, un supérieur du séminaire avait été avisé des actes pédophiles du frère Bergeron bien avant que ce dernier ne s’envole vers Haïti. Le frère y serait resté près de 10 ans, jusqu’en 2005 environ.

Alexis Trépanier

Ce frère rédemptoriste était surnommé le « pogneux de poche » par les élèves du séminaire Saint-Alphonse, à Saint-Anne-de-Beaupré. Mais avant d’être affublé de ce surnom bien québécois, Alexis Trépanier a passé 38 ans au Viêtnam, de 1936 à 1974, où il enseignait à des enfants catholiques. Mort en 1989, le frère Trépanier n’a pas eu à subir l’humiliation du recours collectif intenté en 2010 par d’anciens élèves du séminaire Saint-Alphonse contre les Rédemptoristes. Après une bataille judiciaire de quatre longues années, la congrégation a été condamnée à verser 20 millions aux victimes de neuf prêtres, dont les frères Trépanier et Bergeron. Le juge a sévèrement blâmé la congrégation pour avoir omis de prendre des mesures pour mettre fin aux agressions.

Ronald Léger

Ce clerc de Saint-Viateur a écopé de deux ans de prison, en février, pour avoir agressé trois garçons qui fréquentaient sa maison de jeunes, à Winnipeg. Le centre accueillait des adolescents en difficulté. Ronald Léger se présentait comme un « père » pour eux. Littéralement. Il a même adopté deux garçons qui fréquentaient son centre. Le « père Ron » a aussi participé à des missions en République dominicaine. « Mes “shoeshine boys”. Je les vois régulièrement pour pratiquer mon espagnol », écrit-il sous une photo le montrant entouré d’enfants, dans une biographie publiée sur le site des Clercs de Saint-Viateur. Le père Léger se trouvait en République dominicaine lorsque la police a entamé son enquête, en février 2014. Ses supérieurs l’ont rapatrié à Montréal, où il a été hébergé par les Clercs de Saint-Viateur jusqu’à son procès.

Daniel Cournoyer

En 2014, ce frère mariste a été accusé d’avoir agressé deux adolescents qui fréquentaient, au début des années 80, le Patro Lokal, un centre destiné aux garçons issus de milieux défavorisés de Saint-Hyacinthe. Parallèlement à ces accusations criminelles, Daniel Cournoyer est l’un des trois prêtres nommés dans un recours collectif intenté contre les Frères maristes par une dizaine de victimes. « Frère Daniel Cournoyer est un vrai globe-trotter ! », lit-on dans un bulletin publié en 2012. Depuis les années 80, il a notamment travaillé au Cameroun, au Brésil et en Haïti, où il a été chargé d’un camp de vacances. Mais ces missions à l’étranger sont choses du passé : mis en liberté sous caution, l’homme de 70 ans s’est engagé à ne pas quitter le pays jusqu’à son procès.

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