ÉDITORIAL

CARDINAL SRB

TITRE : Un projet à n’en plus finir…

SOUS-TITRE : Prévu en trois ans, le service d’autobus rapide sur Pie-IX nécessitera au moins neuf ans. Pourquoi?

FRANÇOIS CARDINAL

Montréal a annoncé lundi son intention de miser désormais sur l’autobus et les voies réservées pour décongestionner la métropole. Or le plus important projet du genre, le service rapide par bus Pie-IX, est miné depuis des années par des retards qui n’en finissent plus, ce qui laisse planer des doutes sur le réalisme des intentions de la Ville.

Annoncé en 2009, le SRB devait voir le jour en 2012. Puis l’échéance a été repoussée et repoussée encore, si bien qu’on a fini par évoquer l’horizon 2017. Aujourd’hui, a-t-on appris, l’Agence métropolitaine de transport mise sur une entrée en service en 2018…

«Istanbul a fait son SRB en 84 semaines. Nous aurons eu besoin de 84 mois!», déplore le patron de la STM, Michel Labrecque.

Les longueurs de ce projet sont désolantes en ce qu’elles retardent l’implantation d’un projet crucial pour l’Est (70 000 passagers par jour), mais aussi en ce qu’elles empêchent d’envisager rapidement d’autres services rapides par bus sur l’île, un moyen de transport qui a pourtant le potentiel de révolutionner la mobilité à Montréal.

On parle en effet d’un super autobus à deux, voire trois sections, qui possède sa propre voie et ne croise aucun véhicule. Un autobus qui commande le déclenchement des feux verts et qui accueille, d’une station à l’autre, des usagers ayant déjà payé leur tarif.

On se retrouve ainsi avec la capacité du tramway, la flexibilité de l’autobus et une rapidité avoisinant celle du métro… pour une fraction du coût de ce dernier. D’où la nécessité d’accélérer le projet Pie-IX et de préparer de nouveaux corridors.

Un tour d’horizon des obstacles au SRB est donc nécessaire. Pour éviter de reproduire un tel gâchis à l’avenir. Pour tirer des leçons de cette saga. Mais aussi parce que ce projet encapsule tout ce qui ne marche pas dans la métropole…

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1) La surgouvernance…

Le SRB Pie-IX est la priorité de la Ville. Mais le maître d’œuvre est l’AMT. Tandis que l’opérateur est la STM, et les utilisateurs, la Société de transport de Laval et la MRC Les Moulins.

Ce méli-mélo de gouvernance a posé problème dès le départ. La STM voulait une voie réservée au milieu du boulevard. Mais l’AMT privilégiait une voie longeant le trottoir. Cette première chicane fut suivie d’une autre, sur les portes : des deux côtés de l’autobus (AMT) ou d’un seul (STM)?

Qui décide en cas de différend? La Ville, la STM, l’AMT, la STL? Ou la CMM, qui planifie le transport dans la région? Non, c’est le gouvernement, qui paye le projet.

Mais pour que le projet voie le jour, il fallait aussi s’entendre avec les quatre arrondissements traversés, avec Laval et la MRC Les Moulins…

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2) La sacro-sainte gestion par unanimité

Beaucoup de monde autour de la table, donc. Des «partenaires» qui n’avaient d’autres choix que de s’entendre puisqu’à Montréal, la gestion des projets se fait habituellement par unanimité, ce qui donne à chacun un droit de veto sur le projet.

Très souvent, Québec se sert de cet enchevêtrement de structures pour justifier son laxisme, ou simplement pour gagner du temps. Précisément ce qui est arrivé avec le SRB. «L’AMT nous a clairement dit qu’elle ne soumettrait pas le projet à Infrastructure Québec tant qu’elle n’aurait pas la signature de tous les acteurs, raconte une source mêlée au projet. Cela a évidemment fait traîner en longueur des étapes qui auraient dû être expédiées.»

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3) Le manque de leadership

Piloté par l’AMT, le SRB Pie-IX a changé de vitesse à plusieurs reprises durant les dernières années. Tantôt une priorité, tantôt un projet poussé avec réticence, il a accumulé du retard chaque fois que le moindre obstacle se posait devant l’AMT. Il a même été mis sur la voie de garage pendant plus d’un an en 2011.

Pourtant, en 2007, Montréal avait promis d’entreprendre «immédiatement» la réalisation de cette ligne «hautement prioritaire» selon un «échéancier accéléré» pour une mise en service «le plus vite possible». Mais incapable d’exercer un quelconque leadership, l’administration Tremblay a échoué dans sa tentative de prise de contrôle du projet, laissant finalement l’AMT s’en occuper. À son rythme…

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5) La médiocrité du projet initial…

Ce n’est pas sorcier, le projet initial était tous simplement trop gros pour l’espace qui lui était dévolu. Les voies réservées étaient si larges qu’elles empiétaient sur le les terrains situés de chaque côté. Résultat : 300 arbres, dont 125 matures, devaient passer à la tronçonneuse, et 30 entrées charretières permettant aux résidents d’accéder à leur cour devaient être éliminées.

«Le problème, c’est qu’on a commencé en nous présentant un projet final, sans avoir pris le temps de nous consulter d’abord», explique le maire de Rosemont, François Croteau. Et ce, même si tout gestionnaire de projets sait qu’aujourd’hui, il n’y a pas d’acceptabilité sociale sans consultation en amont.

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4) Le «syndrome du tant qu’à faire»…

Lors de son annonce en 2009, le SRB Pie-IX était rien de plus qu’un… SRB sur le boulevard Pie-IX. On devait certes reconstruire une partie de la chaussée, mais on se contentait de requalifier l’artère.

Mais «tant qu’à faire», on a décidé de réaménager le carrefour Henri-Bourassa-Pie-IX (50 M $), de reconstruire les ponts d’étagement Saint-Martin, de rénover le pont Pie-IX et de refaire la rampe d’accès à Concorde (140 M $).

Puis on s’est aperçu que le réseau d’aqueduc et d’égouts était mal en point. Ne voulant pas refaire le coup du boulevard Saint-Laurent, la Ville a décidé qu’elle allait refaire les conduites souterraines (100 M $).

Ah oui! Le gouvernement Marois veut électrifier le transport en commun. D’autres délais quand on annoncera qu’on implante plutôt un trolleybus?

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6) Le chantage politique du 450…

Le SRB est un projet intermunicipal qui fait le pont entre Montréal et Laval en reliant, pour la première phase, la rue Pierre-de-Coubertin à la montée Saint-François. Mais le tronçon lavallois était incertain au départ, ce qui a fait rager Gilles Vaillancourt à l’époque.

«Le maire a mis son poing sur la table, raconte une source bien au fait. Il a exigé que le projet se rende à Laval et qu’il soit ponctué d’au moins trois stations et trois stationnements incitatifs, sinon il ferait tout pour bloquer le projet.» Résultat : beaucoup de temps perdu et un surcoût pour le tronçon nord.

Les coûts ont été «redistribués» depuis, mais en 2010, on évaluait que le SRB coûterait presque aussi cher à Laval (125 M $) qu’à Montréal (154 M $) même si le premier comptera seulement trois stations sur 4 km, et le second, 18 stations sur 10 km…

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