ZOOM ÉCONOMIQUE

Le problème du présentéisme

Depuis une vingtaine d’années, un nouveau concept est à la mode en psychologie du travail : le présentéisme, l’envers de l’absentéisme. Le problème des employés qui vont au bureau alors qu’ils sont malades ou épuisés et qu’ils devraient rester à la maison est encore plus coûteux que l’absentéisme pour les entreprises, selon plusieurs études. Nos explications.

DÉPRESSIONS SUBITES

En 2007, une étude de Statistique Canada a calculé que, chaque année, un demi-million de travailleurs canadiens reçoivent un diagnostic de dépression. Or, 40 % de ces travailleurs n’avaient réclamé aucun congé de maladie avant d’avoir leur diagnostic. Ces données ont poussé Éric Gosselin, psychologue du travail à l’Université du Québec en Outaouais, à se pencher sur le problème du présentéisme. « On a fait des grands progrès dans la lutte contre l’absentéisme, que le Conseil du patronat désignait comme l’ennemi numéro un, explique M. Gosselin. Mais peut-être est-on allé trop loin. Quand les gens qui sont sur le bord de l’épuisement professionnel n’osent pas s’absenter du travail, non seulement ils sont moins productifs, mais leur congé éventuel sera probablement plus long. » Une dépression, note le chercheur, nécessite en moyenne un congé de maladie de six semaines. Les problèmes de productivité du présentéisme sont non seulement importants pour limiter l’absentéisme, mais ils constituent également une « improductivité invisible », qu’on peut difficilement évaluer et faire diminuer.

Quelques chiffres

80 % des médecins font du présentéisme

70 % des fonctionnaires canadiens font du présentéisme

1,7 fois : importance des pertes de productivité du présentéisme, par rapport à l’absentéisme

Entre 150 et 180 milliards US : impact économique du présentéisme aux États-Unis

9,9 jours par année : impact du présentéisme dans une société parapublique québécoise étudiée par des chercheurs de l’Université Laval en 2005 ; l’absentéisme avait moins d’impact : 7,1 jours par année

Prédire l’absentéisme futur

La tendance au présentéisme est un excellent indicateur de l’absentéisme futur, selon Éric Gosselin de l’UQAO. « On parle ici de présentéisme chronique, dit M. Gosselin. Il y a un présentéisme toxique et un présentéisme qui peut finalement être bénéfique pour l’entreprise, parce qu’il témoigne de l’attachement d’un employé pour son travail. Travailler un peu, c’est quand même mieux que de ne pas travailler du tout, quand il ne s’agit pas d’un problème chronique. » Y a-t-il une limite à surveiller ? « Disons qu’une personne qui est moins productive au bureau toutes les quelques semaines, ça devrait être OK. »

Transmettre la grippe

Le présentéisme ne cache pas seulement l’épuisement. Aller au travail quand on est malade peut également être nuisible pour l’entreprise si on contamine ses collègues avec une maladie infectieuse. « Avec la grippe H1N1, en 2010, on a vu pour la première fois des entreprises demander à leurs employés de rester chez eux s’ils se sentaient grippés », témoigne Éric Gosselin de l’UQAO. Plus tôt cette année, des chercheurs des autorités médicales américaines (Centers for Disease Control, CDC) ont publié dans le Journal américain de contrôle des infections une étude montrant que dans les écoles, plus des trois quarts des employés vont au travail quand ils sont grippés. La peur d’être pénalisé par l’employeur n’était citée que dans 11 % des cas. Les employés de moins de 50 ans étaient presque tous allés travailler quand ils avaient eu la grippe.

DE BONNES ET DE MAUVAISES RAISONS D’ALLER AU TRAVAIL*

Par respect pour mes collègues : 43 %

J’aime mon travail : 37 %

Je suis indispensable : 35 %

Pas de congé de maladie : 21 %

Je ne suis pas un paresseux : 16 %

Le travail, c’est la santé : 11 %

Peur d’être congédié : 4 %

*Liste des raisons invoquées par les employés se présentant au travail alors qu’ils sont malades, dans une étude auprès de 2500 travailleurs suédois et norvégiens.

SOURCE : BMJ

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