POINT DE VUE NATHALY RIVERIN, DG DE L’ÉCOLE D’ENTREPRENEURSHIP DE BEAUCE

La compétence
pour entreprendre

Il faut promouvoir l’entrepreneuriat, entend-on partout. On cherche fébrilement de jeunes entrepreneurs, autant pour la création de nouvelles entreprises que pour la survie de celles qui doivent changer de mains.

C’est fort louable.

Mais le nombre ne suffit pas. Voulons-nous vraiment une économie composée d’une multitude de petites entreprises qui se partagent un marché local ? Ce sont plutôt la croissance et la taille qui génèrent la richesse dont nous avons besoin.

Le problème de transmission d’entreprises doit être vu par les racheteurs potentiels comme une occasion de bâtir, de croître par acquisitions et de consolider des marchés.

Malheureusement, seulement 30 % des entrepreneurs en activité souhaitent faire croître leur entreprise, comparativement à plus de 40 % dans le reste du Canada, selon une étude de la Fondation de l’entrepreneurship (2013). À peine 15 % d’entre eux souhaitent exporter, contre 30 % des entrepreneurs actifs ailleurs au Canada.

Manque d’ambition ? Faible confiance en leurs compétences ?

MOINS COMPÉTENTS POUR ENTREPRENDRE

Dans le cadre des entrevues de recrutement à l’École d’entrepreneurship de Beauce (EEB), nous demandons aux entrepreneurs s’ils ont un modèle, un mentor en affaires, quelqu’un qui réussit et qui les inspire. Je suis toujours étonnée de constater que les gens ont peu de références d’entrepreneurs.

Dans 100 % des cas de relève entrepreneuriale, ce sont leurs parents que les releveurs citent comme modèles. Leurs réponses nous communiquent à la fois des sentiments de fierté et d’inaccessibilité.

Il leur paraît quasi impossible d’être aussi compétents que leur prédécesseur. La liste des compétences qui semblent si admirées inclut une aisance naturelle pour voir l’avenir de l’entreprise, un talent relationnel exceptionnel, une habileté remarquable à négocier ou encore un courage stratégique à donner le vertige. Voilà donc que même les enfants d’entrepreneurs, pourtant susceptibles d’observer au jour le jour les talents requis pour entreprendre, doutent des leurs.

À l’inverse, ceux qui font déjà des affaires estiment avoir tout ce qu’il faut pour exploiter une entreprise. Forcément, ils réussissent à gérer la leur. Questionnés sur leurs motivations à s’inscrire à l’EEB, ces entrepreneurs répondent systématiquement ressentir un besoin de repousser les barrières de leurs connaissances, d’acquérir de nouveaux outils pour mieux gérer, d’avoir de nouvelles inspirations pour mieux créer l’avenir de leur entreprise. Le partage d’expériences est au cœur de ce que les entrepreneurs souhaitent faire pour apprendre et se développer.

Les compétences entrepreneuriales essentielles ? Ils les possèdent déjà. Jugent-ils.

ÉVALUER SA JUSTE COMPÉTENCE

Dans la foulée de la création de l’EEB, l’équipe a conçu un questionnaire destiné à évaluer quelles compétences entrepreneuriales se reconnaissaient les entrepreneurs admis au programme. Ces compétences avaient été préalablement détectées chez les grands entrepreneurs à succès rencontrés pour créer le programme Élite.

Après avoir fait passer le test à tous, nous avons réalisé avec surprise que les scores étaient très élevés pour toutes les compétences. Pourquoi alors s’inscrire à un programme de deux ans si l’on possède déjà toutes les compétences des grands entrepreneurs ? Nous avons décidé de mettre ce test peu instructif au rancart.

Or, après quelques mois de formation, nous avons constaté que les entrepreneurs du programme Élite avaient beaucoup progressé. Leurs compétences entrepreneuriales – la clarté dans la communication, par exemple – étaient nettement plus aiguisées.

Nous avons ressorti notre test de perception de compétences. Surprise ! Un an plus tard, les scores des entrepreneurs avaient tous diminué. À mi-chemin de leur formation, voilà que nos clients se percevaient comme moins compétents qu’à leurs débuts, alors que notre équipe observait des améliorations importantes !

Par contre, sur certaines compétences, les nouveaux scores qu’ils s’attribuaient étaient dorénavant au maximum.

Pourquoi ? Ils avaient pris conscience de leur réel niveau de compétences. En évoluant en groupe d’entrepreneurs, en rencontrant les grands noms du Québec inc., ils ont pu mieux évaluer les zones où ils étaient nettement supérieurs et celles où ils pouvaient réellement progresser. Selon les modèles de processus d’apprentissage, ils sont devenus conscients de leur zone d’incompétence, première étape essentielle vers un développement des compétences.

Si les entrepreneurs aguerris jugent mal leurs compétences, il n’est pas surprenant que la population en général ait du mal à évaluer ses habiletés d’affaires.

À la question « Avez-vous les compétences pour créer une entreprise ? », posée dans une publication de l’UQTR, seulement 35,6 % des Québécois de 18 à 64 ans s’estiment compétents, un écart de 17 % par rapport aux répondants du reste du Canada.

Heureusement, si le talent est inné, la compétence, elle, se gagne. Il faut simplement avoir conscience de sa capacité à l’acquérir.

De ce fait, connaissance et maîtrise de soi sont sûrement les premières compétences à acquérir en tant que dirigeant… ou futur entrepreneur.

Connais-toi toi-même, professait Socrate. Il n’était pas entrepreneur, mais il s’y connaissait en nature humaine.

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