Notre polar estival
Chapitre 4 : Le Dude
La Presse
Le « Bzzzz » discret de l’iPhone le réveilla. Un texto. Il l’agrippa non sans faire tomber le verre d’eau vide, le roman
et le d'André Dawson qui trônaient sur sa table de chevet.Vincent de Léon ne remarqua pas le regard noir que lui jeta Julie-Catherine, fraîchement réveillée par le boucan, de l’autre côté du lit. Il lisait déjà le message signé « Le Dude ».
« Envie de jouer au bowling, ti-cul ? Chu en bas de chez toi. Grouille. You gonna like. »
Même s’il était 4 h 53 du matin, Vincent était soudainement réveillé comme s’il avait bu trois espressos au Starbucks du rez-de-chaussée de l'
le journal où de Léon bossait depuis six ans.— Je reviens, dit-il à sa blonde.
— Milieu… de… la n…, grogna-t-elle.
— Le droit du public à l'information ne dort jamais, chérie…
— …
— Je t’aime aussi…
Dix secondes plus tard, Vincent était assis dans la voiture d’une source qu’il avait baptisée Le Dude, un enquêteur de la police de Montréal. Cet enquêteur, un matin d’hiver, il y a deux ans, l’avait simplement appelé au journal en disant : « Chu une police, au Service. J’veux t’parler. Dans cinq minutes devant ton journal, checke le char noir. »
Le flic n’avait jamais dit à Vincent pourquoi il lui refilait des histoires et Vincent n’avait jamais cherché à savoir. Mais ses tuyaux étaient toujours solides.
Dans la voiture noire, typique véhicule banalisé de la police, le tableau de bord indiquait 4 h 55.
— Tu travailles tard, dit Vincent.
— Faut ben que quelqu’un jette un œil sur les bandits dans c’te crisse de ville-là, répondit le flic en sortant son téléphone intelligent. Checke ça.
Sur l’image, deux hommes étaient assis côte à côte dans un salon chic. Vincent mit une seconde et demie à reconnaître l’un des deux hommes, fumant un cigare. Une vidéo de surveillance de police. Vincent appuya sur PLAY.
— Ben non ! fit Vincent.
— Ben oui, répondit Le Dude.
Sur la vidéo, sa bête noire : Antoine Meursault. Depuis trois ans, Vincent de Léon amassait des informations sur cet homme d’affaires qui trempait incognito dans toutes sortes de commerces pas clairs, de la vente d’armes à la Sierra Leone à la fabrication de paralumes pour les viaducs de tout l’est du continent nord-américain.
Mais Meursault n’était pas seul. Il était avec le premier ministre, William Désormeaux.
—
lâcha Vincent. Où t’as eu ça ?— Un chum à la GRC.
— La GRC enquête sur Désormeaux ?
— Pas juste sur Désormeaux.
Même si des députés et des ministres fréquentaient Meursault, le PM avait toujours soutenu ne pas le connaître… Malgré la rumeur d’un paiement versé par Meursault à Désormeaux, par l'intermédiaire d'une société-écran située aux Bahamas.
Tous les journalistes en ville étaient au courant de la rumeur. Vincent avait enquêté. Il savait que ces deux-là étaient acoquinés et il avait les infos pour le prouver. Mais les avocats du journal étaient frileux et le journal avait mis son enquête sur la glace. Maudits avocats, pensa-t-il, tous des peureux.
Disons que cette bande vidéo montrant Meursault avec le PM était, au minimum, embarrassante...
— Ç'a été filmé quand ?
— Il y a une semaine, répondit le flic.
— Donc peu de temps avant le meurtre.
— C’est ça. T’es quasiment un génie, tsé.
— Je s…
— Mais si t’étais vraiment un génie, Léon, t’aurais mis le son, pour la vidéo.
Vincent roula les yeux. Il augmenta le volume. L’échange entre Meursault et Désormaux ne durait qu’une dizaine de secondes. Vincent, en l’entendant, secoua la tête, interdit. Il fit reculer la vidéo, pour la réécouter.
Vincent appuya sur pause au moment où le PM semblait se fâcher. Il voulut dire quelque chose au Dude, mais en fut incapable. Sa bouche faisait un O muet. Aucun mot n’en sortait.
Le Dude reprit son téléphone, ses gros doigts en parcoururent l’écran. Il venait d’envoyer la vidéo vers le site d’échange de fichiers sécurisé dont seuls Vincent et lui connaissaient le mot de passe.
— Amuse-toi, ti-cul, dit-il au journaliste.
Le O restait collé sur la bouche de Vincent, comme une gonorrhée résistante aux antibiotiques.
Demain
Ronald King : Le placard