Carnaval de Québec

Retour ou recul ?

Plus de 12 000 jeunes femmes de la grande région de Québec ont posé leur candidature pour devenir duchesse du Carnaval au fil de son histoire. D’abord de 1955 à 1996, puis l’automne dernier, alors que Bonhomme Carnaval s’est décidé à renouer avec ses compagnes délaissées en 1997.

En janvier 2011, un sondage Léger Marketing réalisé pour le compte de Radio-Canada a révélé que 82 % de la population locale souhaitait le retour des duchesses. Un désir partagé par le maire de Québec, Régis Labeaume – la Ville a d’ailleurs plus que doublé sa contribution financière au Carnaval cette année.

Si les sept duchesses sont de nouveau conviées à la fête, « c’est à la demande populaire, indique Jean David, directeur du développement des affaires du Carnaval de Québec. Il y avait un besoin de retour aux sources, de réappropriation par la population ».

« La mode est à la nostalgie », note Jean Provencher, auteur d’un livre sur l’histoire du Carnaval, paru aux éditions Multimondes. Mais comme le dit Michel Rivard dans une de ses chansons, « il faut se méfier de cette maîtresse, parce qu’elle est insatiable ».

D’anciennes duchesses ont ouvertement regretté la fin de ce concours de beauté et de personnalité. « Être duchesse, c’était un tremplin pour la vie, a témoigné récemment Carole Cloutier, duchesse de 1966, dans Québec Express. Du jour au lendemain, c’est comme s’il y avait du sang royal qui coulait dans nos veines. »

Pichous écartés

Quelques années plus tard, la réalité était plus dure, comme le démontre Le soleil a pas d’chance, documentaire de l’ONF qui suit les duchesses de 1975. (On peut le voir à www.nfb.ca/film/le_soleil_a_pas_dchance) Une aspirante duchesse « ne vaut pas le 69 », lance carrément un membre du comité de sélection. « Ils se servent des femmes pour attirer les hommes », constate une finaliste. « Ils ne choisissaient pas des pichous », confirme l’historien Jean Provencher.

Au début des années 90, des hommes se sont présentés – en vain – à l’entrevue de sélection des duchesses. « Il y avait un os », note M. Provencher. Puis, la rumeur a couru que les duchesses réclamaient d’être payées pour leur travail… Le Carnaval a plutôt choisi de remiser leurs couronnes après l’édition de 1996.

« Beaucoup de choses ont changé »

« Le concept des duchesses n’avait pas beaucoup évolué depuis sa création, alors que la société avait évolué, constate M. David. Ça a fait un “clash”, littéralement. C’était devenu obsolète. »

Dans ce cas, pourquoi ressortir les robes de bal des boules à mites? « On a fait une mise à jour du concours des duchesses, fait valoir M. David. On l’a adapté à la réalité moderne, en demandant aux candidates de soumettre des projets pour faire la fête autrement. »

Le Carnaval a recherché des candidates « dynamiques, âgées de 18 à 35 ans », avec « habiletés et aisance pour la communication », disposant d'une « grande disponibilité, de flexibilité et d'un sens de l’engagement ». Toutes ont dû soumettre un projet d’événement à organiser dans leur quartier – chorégraphie en plein air, biathlon, coulée de tire d’érable géante, etc.

« Ça n’a rien à voir avec un concours de beauté, assure M. David, qui souligne que le jury final était composé de sept femmes. Il y a beaucoup de choses qui ont changé : il y a 20 ans, les duchesses étaient enfermées dans une suite du Château Frontenac. Il y avait une dame de compagnie qui leur disait quoi porter tous les jours. Aujourd’hui, elles ont leur page Facebook, il y en a une qui est mère de famille, la plupart ont gardé leur emploi. »

Concours sexiste?

Pourquoi ne pas avoir convié des hommes à devenir ducs? « Traditionnellement, c’était les duchesses. On a décidé de conserver ça, indique M. David. L’entrepreneuriat au Canada est en nette décroissance, notamment chez les 18 à 35 ans, et particulièrement chez les femmes. On s’est dit qu’on allait encourager les jeunes femmes à avoir l’esprit d’entrepreneuriat en soumettant un projet d’événement. »

La limite d’âge imposée – de 35 ans – fait aussi grincer des dents. « C’est un des moments les plus riches d’une vie, 35 ans, souligne M. Provencher. On commence à penser de manière originale, à emprunter des voies que jamais personne n’a prises. » Or, les duchesses de l’édition actuelle ont de 20 à 27 ans.

Ces jeunes femmes n’ont pas reçu d’argent du Carnaval pour réaliser leur projet – elles devaient plutôt trouver des commanditaires et du financement populaire. Elles ne touchent pas non plus de salaire pour représenter le Carnaval. Les duchesses gardent toutefois les vêtements et accessoires fournis par le centre commercial Laurier Québec, y compris leur robe de bal.

« Elles sont bénévoles, confirme M. David. C’est une expérience de vie qui est unique au monde, une occasion fantastique pour elles. Elles se font de nombreux contacts. »

L’une des duchesses sera couronnée reine vendredi soir, à l’ouverture du Carnaval. Celles qui ont vendu le plus de bougies (à 10 $ chacune) dans leur quartier ont plus de chances de remporter le tirage au sort, comme celles dont l’événement a été jugé réussi. Une nouvelle couronne, clin d’œil à l’hiver québécois, coiffera la reine de 2014. Ou est-ce de 1914?

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