Au cours des dernières années, le gouvernement du Québec a accéléré le développement de places en ressources intermédiaires (RI). Une RI est une résidence privée pour personnes âgées qui signe un contrat avec le gouvernement pour accueillir des aînés nécessitant entre deux et trois heures de soins par jour.

Jamais la liste détaillée des contrats des 7820 places en RI du Québec n’avait été publiée. Mais à notre demande, le ministère de la Santé nous a transmis cette liste à la fin du mois de janvier.

Les données présentées sont surprenantes. Dans différents territoires du Québec, une poignée de promoteurs remporte une portion importante, voire la majorité, des contrats.

C’est notamment le cas au centre de santé et de services sociaux (CSSS) du Nord de Lanaudière, avec qui le promoteur Paul Arbec vient de renouveler de gré à gré 6 contrats d’une valeur de 69,5 millions de dollars. M. Arbec contrôle ainsi 40  % des 346 places de ressources intermédiaires du territoire.

À Montréal, le Groupe immobilier Global possède 26 % des places de ressources intermédiaires (RI). Au CSSS du Lac-des-Deux-Montagnes, l’entreprise EMD Construction remporte 62 % des places. Et à Laval, le Groupe Lumain en possède 59 %.

Professeur à la faculté des sciences infirmières de l’Université de Montréal et spécialiste des questions éthiques en santé, Damien Contandriopoulos s’inquiète de la mainmise de certains acteurs dans ce marché. « Moins il y a de joueurs, moins il y a de compétition et plus on peut voir se profiler des monopoles, ce qui fait qu’on n’en aura pas nécessairement plus pour notre argent », explique-t-il.

Au ministère de la Santé (MSSS), on dit être au courant que « dans certaines régions, un nombre restreint de promoteurs obtiennent les places en RI ». Mais selon le MSSS, « l’attribution des places en RI se fait par appels d’offres selon des règles claires et strictes. Ce qui importe pour le MSSS, en plus du respect de la Loi sur les contrats des organismes publics, c’est la qualité des services rendus à l’usager et la satisfaction de celui-ci ».

Places octroyées sans appel d’offres

En fait, l’appel d’offres ne semble pas être une règle absolue. Sur le territoire du CSSS du Cœur-de-l’Île à Montréal, le Groupe immobilier Global a remporté un contrat de 34 lits sans appel d’offres en 2009 à la Résidence Parc Jarry.

(La porte-parole du CSSS, Sylvie Lanthier, explique que le contrat a été accordé de gré à gré après que le premier promoteur choisi au terme de l’appel de propositions s’est désisté.)

Le Groupe immobilier Global a aussi obtenu des contrats de gré à gré pour 64 places, soit environ 2,2 millions annuellement, sur le territoire du CSSS de Bordeaux-Cartierville-Saint-Laurent. Ces contrats ont été accordés il y a quelques années, note la porte-parole du CSSS, Louise Mercier. « À l’époque, il n’y avait pas autant de contrôle que maintenant. Si c’était à refaire, on irait en appel d’offres », dit-elle.

Propriétaire du Groupe immobilier Global avec Vincent Mercadante et Germina Munteanu, Anthony Falvo souligne que lancer une ressource intermédiaire est très coûteux et que peu d’acteurs peuvent, comme lui, prendre part à ces appels d’offres.

« Seuls les grands promoteurs ont les reins assez solides pour ça », confirme la directrice générale de l’Association des ressources intermédiaires d’hébergement du Québec (ARIHQ), Johanne Pratte.

Elle reconnaît toutefois que, pendant quelques années, les places de ressources intermédiaires ont été accordées de gré à gré et affirme que les règles entourant la sélection des gagnants « ne sont pas toujours claires ». « Sur quels critères on évalue les projets ? Qu’est-ce qui fait qu’un projet est retenu ou non ? On ne sait pas toujours », dit-elle.

Un propriétaire de résidence pour aînés de la région de Montréal soutient pour sa part que la règle est simple : pour obtenir un contrat de RI, il faut être « très ami avec les décideurs ».

Dans un mémoire déposé la semaine dernière à la Commission de la santé et des services sociaux à Québec, le Protecteur du citoyen a abordé le sujet des contrats de RI. Même s’il ne se dit pas contre cette forme de partenariat public-privé, le Protecteur déplore que « plusieurs CSSS et agences ne se dotent pas de procédures claires pour favoriser un choix éclairé et judicieux d’un partenaire privé ».

Construire une ressource intermédiaire pour aînés coûte cher. À Montréal, l’un des derniers immeubles construits a coûté 20 millions. Toutefois, pour les entrepreneurs, obtenir un contrat de ressources intermédiaires est intéressant quand vient le temps d’emprunter à la banque, les contrats de RI étant généralement d’une durée de cinq à dix ans et garantissant ainsi des revenus pour cette durée. — Ariane Lacoursière

Ressources intermédiaires d’EMD Construction

78 places

62 % des places sur le territoire

Valeur totale du contrat : 15,3 millions pour 40 places

Coût des 38 autres places : ND

Marc Dubuc et son associé Francis Charron, d’EMD Construction, ont raflé la majorité des 126 places du territoire dans le cadre d’appels d’offres tenus en 2008 et en 2012. La valeur des contrats avoisine les 30 millions de dollars. Questionné à ce sujet, M. Dubuc explique que « c’est simplement parce que [ses] bureaux sont là [à Saint-Eustache] ».

Groupe santé Arbec (Paul Arbec)

137 places

40 % des places sur le territoire

La directrice du programme perte d’autonomie du CSSS du Nord de Lanaudière, Hélène Boisvert, assure que M. Arbec a remporté tous ses contrats à la suite d’appels d’offres ouverts au cours des dernières années. « Mais, en 2013, le gouvernement a signé une nouvelle entente nationale avec les propriétaires de ressources intermédiaires et on nous a demandé de renouveler tous les contrats », explique-t-elle. « Si on était retourné en appels d’offres, on aurait risqué de déménager plusieurs aînés, ce qu’on a voulu éviter. »

Ressources intermédiaires du Groupe Lumain

190 places

59 % des places dans la région

Valeur totale des contrats : 30,9 millions pour 138 places

Coût des 52 autres places : ND

Ces contrats ont été accordés en 2006, 2010 et 2012 à la suite d’appels d’offres. Propriétaire du Groupe Lumain, Julie Houde assure que le processus de sélection a été très rigoureux. « On a participé à plusieurs appels d’offres dans différentes régions. Et je peux vous dire qu’on en a perdu plus qu’on en a remporté », dit-elle.

Ressources intermédiaires du Groupe immobilier Global (Anthony Falvo, Vincent Mercadante et Germina Munteanu)

397 places

Proportion des places dans la région : 26 %

Valeur totale des contrats : ND

Le Groupe immobilier Global a six contrats de ressources intermédiaires à Montréal. La moitié a été obtenue de gré à gré. Les règles d’attribution ont toutefois été resserrées. « Il y a des appels d’offres maintenant », note M. Falvo, qui « croit fermement » au principe des partenariats public-privé dans l’hébergement pour aînés, comme les contrats de ressources intermédiaires.