Santé mentale

Familles au front

Elles errent parfois pendant des années, au côté de leur proche atteint, dans le grand labyrinthe des soins en santé mentale. Elles crient à l’aide, mais peu de gens les écoutent, à moins que la menace ne soit à la fois grave et imminente. Parfois, leur histoire tourne au drame. Les familles sont aux premières lignes du combat pour obtenir des soins en santé mentale pour un proche. Portraits de familles au front.

Une enquête de Katia Gagnon, d’Ariane Lacoursière et de Philippe Teisceira-Lessard

Dans le grand labyrinthe

« Il a fallu que ma fille se lacère le visage avec des lames de rasoir et qu’elle casse tout dans la maison pour qu’on fasse avancer son dossier. »

Isabelle se bat maintenant depuis près de quatre ans pour obtenir un diagnostic et des soins pour sa fille âgée de 21 ans. Elle nous a demandé de ne pas révéler son nom ni celui de sa fille, afin de l’épargner. C’est d’ailleurs la demande que nous a faite chacun des parents interviewés pour ce reportage.

« Quand j’entends le ministre dire qu’il faut aller chercher de l’aide si on constate des problèmes, ça me met tellement en colère. Je ne sais plus s’il faut en rire ou en pleurer. »

Les problèmes ont commencé à l’entrée au cégep pour sa fille Justine. Elle faisait crise sur crise. « Le premier problème, c’est d’obtenir un diagnostic. » Isabelle, qui avait les moyens, a payé 2500 $ pour obtenir une évaluation psychiatrique au privé. Justine a eu « un début de diagnostic et un suivi pour un an, des médicaments. C’est tout ».

Sa fille a hérité d’un diagnostic de trouble de la personnalité limite. Un problème de santé mentale pour lequel il n’y a pas de traitement pharmaceutique. « Elle a fini par péter une crise monumentale. La police, l’ambulance, elle était strappée sur une planche, on lui a injecté des médicaments… Elle a été hospitalisée en psychiatrie », raconte Isabelle.

« Pour avoir des services, il faut que tu te battes, que tu cries, que tu pleures. »

— Isabelle, mère de Justine, 21 ans, aux prises avec des problèmes de santé mentale

À force de recherches sur l’internet, Isabelle déniche une thérapie destinée aux jeunes adultes, qui conviendrait à sa fille. « Son dossier a été acheminé… mais il y avait une liste d’attente. On m’a dit : “Si sa situation se détériore, communiquez avec nous.” » C’est ce qui est arrivé quand Justine s’est lacéré le visage à coups de lame de rasoir.

La jeune femme a donc été admise en thérapie. Elle l’a terminée. En attendant la suite, elle passera quatre mois sans suivi. « Tu deviens la coordonnatrice des soins de ton enfant. Mais les proches ne sont pas les bienvenus auprès de l’équipe soignante. Pourtant, les patients, ils vivent avec nous. Nous subissons les contrecoups de tout cela… mais surtout, ne nous parlez pas ! »

« Les familles arrivent chez nous en situation d’épuisement, d’isolement, elles ne savent plus vers qui se tourner. Elles sont à bout de ressources et d’énergie », résume David Johnson, directeur général de l’Association québécoise des parents et amis de la personne atteinte de maladie mentale (AQPAMM). L’organisme offre de multiples services de soutien aux familles, dont les pairs aidants (voir autre texte). « On n’a jamais eu une équipe aussi forte avec autant de ressources… mais on a une liste d’attente qui s’allonge », fait valoir M. Johnson. Faute de financement.

Diane Riendeau a travaillé pendant six ans comme paire aidante famille pour l’AQPAMM sur le terrain, à l’hôpital Notre-Dame et aussi à Louis-H.-La Fontaine. Elle a été marquée par le cas de cette mère qui était tellement effrayée par les comportements de son fils qu’elle verrouillait sa porte de chambre la nuit.

« Elle m’avait dit qu’elle avait tellement de trous dans les murs de sa maison qu’elle ne prenait même plus la peine de les faire réparer. » Son fils lui faisait subir énormément de violence physique et psychologique. « Un jour, il l’a frappée, il lui a cassé plusieurs os dans le visage. Il y a eu un interdit de contact. » Une fois son fils pris en charge et médicamenté, elle a enfin pu envisager d’aller le visiter. « Ça a pris deux ans. »

Christiane Yelle est intervenante auprès des familles à la Société québécoise de la schizophrénie (SQS). « Il y a énormément de désarroi face à l’accessibilité aux soins. Mais cette accessibilité est également freinée par nos lois », fait-elle valoir. En effet, un malade adulte peut refuser un traitement. S’il ne pose pas de danger grave et imminent, sa famille n’a aucun recours.

« Ça fait partie de la maladie de ne pas voir qu’ils sont malades. Les familles ne peuvent qu’assister, impuissantes, à la lente détérioration de l’état de leur proche. Il n’y a pas une journée où je n’écoute pas l’histoire d’une famille qui ne sait plus quoi faire. »

— Christiane Yelle, intervenante auprès des familles à la Société québécoise de la schizophrénie (SQS)

Mme Yelle a vu des familles supporter des situations intolérables pendant deux, trois, cinq ou dix ans.

Et à chaque rechute, tout est à recommencer, déplore-t-elle. « C’est presque comme si la personne n’avait jamais consulté. On repart presque à zéro, parce que le psychiatre, comme la personne allait mieux, il a fermé le dossier et transféré au médecin de famille. »

La psychiatre Amal Abdel-Baki dirige la clinique JAP (Jeunes adultes ayant eu un épisode psychotique) au CHUM. Le modèle de la clinique – prise en charge très rapide, suivi intensif – donne des résultats et a été répliqué plusieurs fois au Québec. La preuve, selon elle, que les services peuvent être accessibles.

« Il faut qu’on en arrive à un modèle de no wrong door : il ne faut pas que les familles se fassent dire, non, vous n’êtes pas au bon endroit. Car plus c’est long avant de consulter, plus les jeunes sont réticents, ils sont emmenés par la police, et là, ils sont très réfractaires au traitement. »

— La Dre Amal Abdel-Baki, psychiatre qui dirige la clinique JAP

Certaines régions où les psychiatres ne sont pas nécessairement nombreux tentent de s’organiser de la sorte. À Laval, par exemple, la psychiatre Claire Gamache a fait énormément de formation en santé mentale auprès des omnipraticiens, puisque 30 à 40 % des patients vont voir leur médecin de famille pour des problèmes qui relèvent de la santé mentale. « La police a notre cellulaire, les travailleurs sociaux ont accès à nous de façon fluide, dit-elle. Il faut que quand quelqu’un appelle, il ait un service. Il faut arrêter d’évaluer les gens et les soigner. »

Mais en attendant que le réseau s’organise, certaines familles pâtissent. Pour Caroline, il y a maintenant près de 30 ans que le cauchemar dure. Sa fille a commencé à présenter des signes inquiétants à l’âge de 6 ans, elle en a maintenant 34. « Des années de ballottage, d’un psy à un autre, d’un hôpital à un autre. Ma fille n’entre dans aucune case. »

Car entre le délire psychotique et les troubles légers, il y a tout un spectre de gravité pour les troubles de santé mentale. Et ceux qui ne sont pas dangereux ou qui ne risquent pas de se suicider sont les grands négligés, estime Caroline. Sa fille a hérité d’une multitude de diagnostics au fil des ans. Son dossier médical s’étale sur des centaines de pages. Le dernier psychiatre qu’a vu sa fille lui a déclaré sans ambages qu’elle était « un cas désespéré ».

« J’aurais dû porter plainte, dit Caroline. Je ne l’ai pas fait. J’étais trop fatiguée. »

dix ans de portes tournantes

« Il va finir par tuer quelqu’un »

Larry est sorti de prison le vendredi 6 novembre. Et sa mère, Maria*, a peur. Larry, 31 ans, est atteint de troubles mentaux graves, dont la schizophrénie. Depuis l’apparition de ses premiers symptômes, il y a 11 ans, le jeune homme refuse de se faire soigner et est pris dans une valse infernale qui l’amène successivement de l’hôpital à la rue, puis à la prison, à l’hôpital, à la rue…

Il commet parfois des crimes. Il a déjà braqué cinq banques de suite. Il a volé une voiture et roulé à tombeau ouvert sur l’autoroute. Sa mère le décrit comme une véritable bombe à retardement. « Il va finir par tuer quelqu’un », dit-elle.

Il y a un mois, Larry a menacé de tuer des policiers. Il a été enfermé à la prison de Bordeaux pour quelques semaines. Rencontrée le 5 novembre, la mère redoutait la sortie de son fils, le lendemain. « Je ne veux pas qu’il fasse comme le gars de Québec. »

Un cauchemar

Depuis 11 ans, Maria dit vivre un cauchemar. Schizophrénie, dépression, trouble bipolaire, toxicomanie… Le profil de son fils est lourd. Depuis 10 ans, Larry est pris dans une spirale descendante. « Et là, il est pire que jamais », dit sa mère.

Celle-ci déplore que « personne ne veuille prendre en charge son fils ». Ce dernier est régulièrement amené à l’hôpital. On le garde quelques jours. Puis on lui donne son congé. « Il doit être gardé beaucoup plus longtemps », plaide Maria.

Il y a plus de deux ans, Maria n’en pouvait plus. Elle avait peur de son fils. Elle estimait qu’il mettait en danger la population. Elle a obtenu un mandat légal pour l’obliger à se faire soigner. Mais le mandat a pris fin en janvier 2020. « Et depuis, c’est l’enfer », dit-elle.

À sa sortie de l’hôpital, Larry est allé habiter dans un foyer de groupe supervisé, avant que la pandémie ne frappe.

« Il a demandé la PCU. Il a commandé 55 pizzas avec son chèque. Il a acheté de l’alcool. De la drogue. Il a dépensé tout le reste dans des jeux en ligne… »

— Maria, mère de Larry, 31 ans, atteint de troubles mentaux graves

Au printemps, Larry a été aperçu régulièrement près du métro Snowdon. Il se promenait sans chaussures. Parfois nu. Il tenait des propos confus. Il s’est fait expulser de son foyer de groupe. Dans la rue, ça joue dur. Larry a été battu sauvagement. Il a vandalisé la voiture de sa mère.

De juin à septembre, les policiers sont intervenus 12 fois auprès de Larry. Chaque fois, il a été amené à l’hôpital. « Il reste deux ou trois jours et il repart », déplore sa mère.

Un policier veut trouver une solution

La situation de Larry monopolise l'énergie des policiers du quartier. L’un d’eux a d’ailleurs pris l’initiative d’écrire aux médecins de l’Hôpital général juif pour résumer l’histoire de Larry. « Il s’agit là du cas classique de la bombe à retardement, avec un dénouement potentiellement fatal », écrit le policier. Ce dernier décrit les crimes commis par Larry comme étant « empreints de violence, allant des multiples menaces, aux voies de fait gratuites ».

« Sans solution à long terme, les individus récalcitrants aux traitements tels que [Larry] sont relâchés jusqu’au prochain épisode psychotique, le tout en se croisant les doigts qu’un piéton innocent ne soit pas la cible de l’un de ses délires ou bien qu’un policier ne soit pas obligé de mettre un terme définitif à la menace qu’il pourrait représenter, sans compter les propres dangers auxquels il s’expose lui-même. »

— Extrait de la lettre écrite par un policier aux médecins de l’Hôpital général juif

Le policier dit vouloir sensibiliser les médecins afin de tenter de trouver une solution pour empêcher Larry d’être « un danger public ambulant à moyen ou long terme ».

L’histoire de Larry s’apparente à celle racontée dans nos pages Débats le 6 novembre par Richard Bousquet.

Un système médical aux mains liées

Des cas comme ceux-là, le psychiatre Gilles Chamberland et la présidente de l’Association des médecins psychiatres du Québec, la Dre Karine Igartua, en entendent souvent.

« Même si on injectait 400 millions de plus en santé mentale, on n’arriverait pas nécessairement à régler ces cas-là », affirme la Dre Igartua. Car la situation vécue par ces patients découle du cadre légal dans lequel évoluent les intervenants en santé mentale au Québec, explique-t-elle. Le DChamberland est du même avis.

« La solution n’est pas médicale. […] On a beaucoup de situations de portes tournantes au Québec parce qu’on donne beaucoup d’importance à la liberté du patient. Et je ne dis pas que c’est une mauvaise chose. Au contraire. Je suis pour les libertés des patients. »

— Le Dr Gilles Chamberland, psychiatre

Par exemple, pour pouvoir évaluer un patient contre son gré, un médecin doit obtenir une permission légale pour le faire. Et le patient doit présenter un danger pour lui-même ou pour autrui. Mais souvent, après 48 heures aux urgences, les patients en crise sont stabilisés et ne présentent plus de danger. Impossible pour un médecin de les garder contre leur gré.

« Oui, il manque d’hébergement pour ces patients. Et de ressources de désintoxication. Mais ces endroits n’ont pas de portes barrées non plus. Il n’y a pas de solution facile », souligne la Dre Igartua.

« On manque de lits en psychiatrie. Il y a beaucoup de pression pour donner congé aux patients. On attend beaucoup du système médical, qui a les mains liées », résume le DChamberland.

Pour les familles, le combat est continuel. Si leur proche ne commet pas de crime ou n’est pas considéré comme représentant un danger immédiat, c’est à elles que revient le fardeau de demander une ordonnance de traitement à la cour. « Mais on risque de s’antagoniser quelqu’un qu’on veut protéger. Ce n’est pas évident », note le DChamberland.

C’est ce qui est arrivé à Maria. Après avoir obtenu une ordonnance de traitement pour Larry, elle a eu deux ans d’accalmie pendant lesquels son fils a été bien soigné. Mais la confiance entre la mère et le fils en est sortie amochée. Et la mère ne sait pas si elle veut relancer ce processus.

« Ça prend une solution. Ça prend des endroits pour eux où ils peuvent rester longtemps. Stabiliser leur médication et avoir une thérapie. Parce que pour l’instant, personne ne veut de lui », dit Maria.

Au moment de publier, Larry était sorti de prison. Il a été amené à au moins deux reprises, en crise, à l’hôpital par les policiers.

* Prénom fictif

« J’ai beau pleurer toutes les larmes de mon corps, rien n’y fait »

À l’urgence de l’hôpital Jean-Talon après une tentative de suicide, en août 2019, Anthony Villemure reçoit son congé le jour même de son admission sans demande de suivi en psychiatrie ou en réadaptation : les listes d’attente sont trop longues, explique le médecin.

Deux semaines plus tard, le jeune homme de 28 ans mettait volontairement fin à une courte vie complètement chamboulée par un coup à la tête reçu plus tôt la même année. Un traumatisme crânien considéré comme « léger » par la médecine, mais qui s’est révélé extrêmement grave.

« Il avait vraiment besoin d’aide et allait chercher de l’aide. Il suivait vraiment les conseils, tombait dans les boîtes vocales parce que c’était pendant l’été et tout le monde était en congé », s’est souvenu son père, Jean-François Villemure, en entrevue téléphonique avec La Presse. « Il a mis fin à ses jours avant d’avoir pu obtenir de l’aide. »

La famille du jeune homme se bat pour obtenir des réponses à ses questions, un peu plus d’un an après son décès. Son père estime qu’il aurait peut-être été encore vivant s’il avait eu droit à des soins de santé adéquats.

« J’ai une douleur profonde qui me ronge l’intérieur. Une peine si immense que seulement ceux qui ont des enfants peuvent comprendre, a-t-il écrit à ses proches, quelques jours après le suicide. J’ai beau pleurer toutes les larmes de mon corps, rien n’y fait. »

Le 31 mars 2019, Anthony Villemure et des amis ont eu maille à partir avec les portiers d’un bar. Le jeune homme, qui entamait sa carrière d’ingénieur civil, a reçu un coup à la tête et a perdu connaissance pendant quelques minutes. Il ne s’en doutait pas à son réveil, mais ses jours étaient comptés.

Dans les semaines suivantes, M. Villemure souffre de migraines, de difficulté de concentration et d’idées noires. On lui diagnostique un traumatisme crânien léger, mais aucune solution avancée par les omnipraticiens qui l’examinent ne le soulage vraiment.

« Il ne se reconnaissait plus », résume le rapport de la coroner Julie-Kim Godin, qui s’est penchée sur le décès d’Anthony Villemure.

Manque de service

C’est MGodin qui rapporte que le médecin de l’hôpital Jean-Talon « a précisé que les délais étaient trop longs pour qu’il lui recommande un suivi en réadaptation ou en psychiatrie » après sa première tentative de suicide. « Aucune intervention à court terme n’a été prévue. »

Selon la coroner, Anthony Villemure était un patient organisé et qui voulait guérir.

« On peut dire qu’il [Anthony Villemure] a tout fait en son possible pour recevoir des soins et une attention médicale. Il avait d’ailleurs des inquiétudes et les a communiquées aux professionnels de la santé rencontrés. »

— Extrait du rapport de la coroner Julie-Kim Godin

« La trajectoire de M. Villemure nous démontre qu’il y a place à des améliorations au niveau des services offerts aux victimes de traumatisme crânien léger, a continué MGodin. Il aurait notamment pu être utile qu’il puisse bénéficier d’une offre de service multidisciplinaire et concertée, qui inclut une psychothérapie. »

Jean-François Villemure est plus direct.

« On dirait que les médecins se font dire qu’il n’y a plus de place dans les hôpitaux et qu’il faut retourner [les patients] chez eux en se croisant les doigts pour qu’il ne se passe rien », a dénoncé le père endeuillé.

Le congé de l’hôpital obtenu le jour même de la tentative de suicide, « c’est ce qui me rend le plus triste », a-t-il continué. « Malgré le cas qui était sérieux, il n’était pas question qu’il y ait une priorité quelconque. »

M. Villemure a déposé une plainte auprès du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Nord de l’île de Montréal, ainsi que du Collège des médecins du Québec. Il attend des nouvelles de ces démarches tout en échangeant avec d’autres familles endeuillées au sein d’une association informelle née d’un groupe Facebook.

Les traducteurs du réseau

La patiente s’est présentée à l’hôpital pour un problème physique. Elle avait également été vue en psychiatrie. Le médecin avait estimé qu’elle n’avait plus besoin de ses médicaments antipsychotiques. Quelques jours plus tard, ses enfants étaient au bout du fil avec Julie Coulombe. Ils étaient au bord de la panique. « Ils ne la reconnaissaient plus. »

« lls avaient laissé trois messages aux urgences. Sans réponse », explique Mme Coulombe, qui est paire aidante famille à la Société québécoise de la schizophrénie. Julie Coulombe les a calmés. Elle leur a dit d’appeler l’infirmière de l’étage et de lui parler de l’état de leur mère en employant des termes médicaux précis.

« À 9 h 30, l’infirmière les a rappelés. À 11 h, la pharmacie appelait pour dire que le médicament était rétabli. Parler le jargon médical pour ne pas avoir l’air du proche qui panique a probablement évité une hospitalisation. Ça m’a pris 30 minutes au téléphone. Je n’ai pas fait de miracle, je leur ai juste donné le bon vocabulaire. Ça change tout. »

— Julie Coulombe, paire aidante famille à la Société québécoise de schizophrénie

Le rôle des pairs aidants, c’est en partie cela : être les traducteurs pour les familles ou les personnes atteintes, afin qu’elles communiquent adéquatement avec le réseau de la santé. Car les pairs aidants savent très bien de quoi ils parlent. Ils ont eux-mêmes eu des problèmes de santé mentale ou ils ont eu un proche qui souffre d’un trouble mental. Dans le cas de Mme Coulombe, c’est un membre de son entourage qui est atteint.

Les pairs aidants peuvent travailler pour des lignes d’aide, mais également sur le terrain. Comme Diane Riendeau, qui a œuvré pendant six ans sur la ligne de front, dans les urgences psychiatriques de deux hôpitaux. Elle aussi a eu un proche atteint.

« Les familles sont en choc quand leur enfant arrive à l’urgence en psychose. Et les dédales de la santé mentale, c’est pas facile. »

— Diane Riendeau, qui a agi comme paire aidante famille durant six ans dans les urgences psychiatriques de deux hôpitaux

L’équipe soignante prend le patient en charge et Diane Riendeau, elle, s’occupe des membres de la famille. Elle les apaise, leur donne de l’espoir. Dans le cas des familles qui ont utilisé la loi pour contraindre leur proche à se faire soigner, elle leur explique que les ponts ne seront pas rompus à tout jamais. « Certains viennent de recevoir un diagnostic pour leur proche. C’est gros. C’est dur. On essaie de faire du chemin ensemble », ajoute Julie Coulombe.

Carole Lavoie, elle, est paire aidante usagers. La femme de 54 ans vit avec un trouble de santé mentale depuis des années.

Au CLSC Verdun–Saint-Henri, elle intervient auprès des patients atteints. On peut solliciter son appui lors de l’annonce d’un diagnostic, lors d’interventions à domicile ou alors pour du soutien à la vie de tous les jours. « Si quelqu’un a besoin d’aide pour aller à la Régie du logement pour un problème de loyer, et qu’il se sent trop anxieux pour y aller seul, je peux y aller avec lui », illustre-t-elle. Son rôle principal, résume-t-elle, est de donner de l’espoir aux patients.

« Même si on ne guérit pas d’une maladie mentale, on peut se rétablir. Et le rétablissement s’adresse à tout le monde. »

— Carole Lavoie, paire aidante usagers au CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal

Plus de 200 pairs aidants sont à l’œuvre dans les établissements de santé du Québec depuis 2006. « Ils travaillent souvent dans les équipes de suivi dans le milieu, mais récemment, il y a un engouement pour intégrer les pairs aidants dans d’autres types d’équipes », note Isabelle Hénault, directrice générale de l’Association des pairs aidants du Québec.

« Ça s’est développé lentement au Québec par rapport au reste du Canada ou aux États-Unis. Pourtant, plusieurs études ont été publiées qui démontrent l’impact positif sur le réseau et sur les usagers. Les pairs aidants viennent donner concrètement un espoir de rétablissement », ajoute-t-elle.

Ces études, en majorité américaines, ont notamment démontré que l’implication de pairs aidants auprès des patients diminue les symptômes psychotiques, les épisodes de consommation de substances et même le nombre d’hospitalisations.

Au CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, on est emballé par le concept de pair aidant, dit Isabelle Catelli, responsable des soins de santé mentale adultes de l’établissement. « Ils nous apportent toujours le point de vue du patient, ou des familles, pour qu’on ne le perde jamais de vue. Il est certain qu’on veut en avoir de plus en plus, de ces pairs aidants. »

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.