les profs prêts à « se battre jusqu’au bout »

Les élèves du réseau public québécois seront tous en congé forcé la semaine prochaine. Pour trois jours ou plus longtemps ? Tout dépend du syndicat auquel appartiennent leurs profs. Bien décidée à mener sa grève générale illimitée, la Fédération autonome de l’enseignement se prépare à une mobilisation dont l’issue demeure inconnue.

sans revenus, mais déterminés

Montréal et Québec — Qu’importe s’ils doivent prendre des arrangements avec leur banque pour payer leur prêt hypothécaire, les profs de Montréal se disent prêts à se battre « jusqu’au bout » pour de meilleures conditions de travail. Une situation qu’ils jugent néanmoins « stressante », alors qu’à Québec, l’opposition presse Sonia LeBel de tenir un blitz de négociations.

À partir du moment où ils déclencheront la grève générale illimitée, les profs de Montréal, comme tous ceux affiliés à la Fédération autonome de l’enseignement (FAE), ne seront plus payés.

Qu’ils soient à Montréal, Laval ou Québec, ces 65 000 syndiqués n’ont pas de fonds de grève. Pourquoi ? L’Alliance des professeures et professeurs de Montréal – comme les autres syndicats membres de la FAE – représente un seul corps d’emploi, explique la présidente de ce syndicat, Catherine Beauvais-St-Pierre.

« Si on a un fonds de grève, il ne tient pas très longtemps, parce que pendant qu’on est en grève, personne ne continue à cotiser en travaillant », dit Mme Beauvais-St-Pierre. L’idée d’un fonds de grève « revient assez périodiquement » dans les débats syndicaux, dit-elle.

Elle ne voit pas ce fonds à sec comme une faiblesse dans les négociations face à Québec.

« Au contraire. Ce n’est pas une cachette et nos membres ont voté à 98 % en sachant qu’il n’y avait pas de fonds de grève », assure Mme Beauvais-St-Pierre.

« Une grève générale illimitée n’a pas de fin fixe. Ça reflète l’état d’esprit dans lequel les membres sont : on va se battre jusqu’au bout. »

— Catherine Beauvais-St-Pierre, présidente de l’Alliance des professeures et professeurs de Montréal

« On est conscients que ce n’est pas facile de se priver de salaire », ajoute-t-elle.

À 36 ans, Guillaume Bellavance juge la situation « stressante ». Ce prof d’histoire au secondaire craint de se retrouver en précarité financière.

« Personne ne veut prendre de prêt auprès des banques pour arriver à vivre, mais tout le monde est sur la même longueur d’onde : si on ne le fait pas aujourd’hui, on va le payer plus tard », dit-il à propos de la grève illimitée qui s’annonce.

Enseignante en 4année, Jehanne Blaise estime que cette grève est un « dernier recours » pour sauver le travail des profs. Dans les conditions actuelles, « c’est comme si on nous montrait la porte pour démissionner », ajoute-t-elle.

Les demandes syndicales « reflètent ce qui se passe dans les écoles », dit Mme Blaise. Les parents, estime-t-elle, ont bien compris que les profs manquent « de soutien, de service, de personnel » et appuient le mouvement de grève.

L’opposition presse le gouvernement à négocier

Depuis le début de la semaine, plusieurs centres de services scolaires ont informé les parents que les écoles seront fermées à compter du 21 novembre « pour une durée indéterminée ». Le spectre d’une fermeture prolongée des écoles comme celle vécue en pandémie fait craindre le pire à plusieurs, qui doivent réorganiser leur horaire en conséquence.

À Québec, les partis de l’opposition pressent le gouvernement Legault d’entamer des négociations intensives avec les syndicats.

« Ce n’est pas normal que l’ensemble des syndicats disent qu’ils peuvent négocier sept jours sur sept et que Sonia LeBel soit aux abonnés absents », s’alarme Marwah Rizqy, du Parti libéral.

« Aujourd’hui, toutes les ressources sont “à boutte”. Pour vrai. Ce n’est pas juste les enseignants. […] On a un méchant problème de société. »

—  Marwah Rizqy, porte-parole du Parti libéral en matière d’éducation

La présidente du Conseil du trésor, Sonia LeBel, réplique que ses équipes et elle « ne refusent aucune rencontre ». Elle exige à nouveau une contre-offre aux tables de négociation.

« Le déclenchement de grèves, ça appartient aux syndicats. […] Maintenant, les discussions doivent se poursuivre aux tables et les syndicats doivent nous revenir avec une contre-offre en bonne et due forme en main. Une négociation ne peut se faire à sens unique », a-t-elle déclaré à La Presse.

L’annonce effectuée mardi par le ministre des Finances, Eric Girard, qui accorde 5 à 7 millions pour la visite à Québec d’une équipe de la Ligne nationale de hockey (LNH), les Kings de Los Angeles, ne passe pas inaperçue.

« Si le gouvernement décide de payer pour le hockey, pour une ligue milliardaire, il est capable de délier les cordons de la bourse et de négocier de bonne foi », affirme Ruba Ghazal, de Québec solidaire.

Tout comme Mme Rizqy et le critique péquiste en matière d’éducation, Pascal Bérubé, Mme Ghazal estime qu’une grève pourrait s’avérer inévitable si le gouvernement s’entête à « appauvrir » ses travailleurs en offrant des hausses salariales insuffisantes.

« Quelques jours de grève, c’est moins bouleversant que le fait que des parents ont de la misère à obtenir des services pour leurs enfants. »

— Ruba Ghazal, porte-parole de Québec solidaire en matière d’éducation

Au sujet des offres salariales, le gouvernement réplique que son « offre globale de 14,8 %, qui représente 8 milliards de la part des contribuables, est sérieuse et à la hauteur de l’inflation projetée ».

« Ça semble inévitable qu’il y ait une grève. Sur la durée, on ne le sait pas. Tant mieux si c’est quelques jours, mais la bataille que les enseignants font, c’est pour les jeunes et pour le long terme. Elle est légitime, cette bataille-là », assure pour sa part Pascal Bérubé, du Parti québécois.

Le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, n’était pas disponible pour une entrevue mercredi. Son cabinet nous a toutefois communiqué par courriel qu’il est « conscient de l’impact et des inconvénients engendrés sur les enfants et leurs parents ».

« On fait tout en notre pouvoir pour l’éviter en faisant des propositions sérieuses. Cependant, on attend toujours la contre-offre syndicale en bonne et due forme », dit-il.

La grève pour les profs, un congé pour les élèves

Pendant la grève du Front commun, ou advenant le déclenchement d’une grève générale illimitée par la Fédération autonome de l’enseignement (FAE), les élèves du Québec retourneront à la maison comme ils partent à d’autres moments de l’année en vacances. L’Association montréalaise des directions d’établissement scolaire (AMDES) et la Fédération québécoise des directions d’établissement d’enseignement (FQDE) ont confirmé à La Presse qu’ils n’avaient envoyé aucun mot d’ordre aux enseignants pour qu’ils donnent des devoirs et du matériel pédagogique aux élèves le temps des débrayages. « Une grève, c’est un moyen de pression ultime, et qui dit grève dit arrêt de prestation de travail complet. On veut respecter le choix qu’ils font d’être en grève », explique Nicolas Prévost, président de la FQDE. Par ailleurs, la présidente de l’AMDES, Kathleen Legault, précise que les profs qui ne seront pas en grève en début de semaine prochaine, mais qui n’enseigneront pas, puisque les écoles seront fermées pour respecter les piquets de grève des autres corps d’emploi, ne feront pas la classe à distance comme c’était le cas pendant la pandémie.

— Hugo Pilon-Larose, La Presse

Opinion publique

La « sympathie » à l’égard des profs pèse dans la balance

Professeure à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal, Mélanie Dufour-Poirier s’intéresse au syndicalisme et aux relations de travail. Elle a répondu aux questions de La Presse sur la grève qui s’annonce chez les enseignants et le personnel des écoles de la province.

Vous dites que ce qui se passe au Québec en ce moment, ce sont des « luttes syndicales au féminin ». Diriez-vous qu’il s’agit de luttes féministes ?

Ce n’est pas une lutte féministe, mais c’est quand même un choix de société de ne pas valoriser dans sa pleine mesure le travail qui est accompli par ces personnes-là depuis des années, dans des conditions innommables avec très peu de ressources. Ce sont des gens qui travaillent très, très fort. C’est difficile pour moi de ne pas y voir une non-reconnaissance du travail qui est accompli par une majorité de travailleuses.

Ce que je trouve particulièrement choquant, c’est qu’on est au Québec, on est une société industrialisée, un pays développé. C’est un choix de société de ne pas rémunérer à leur juste valeur ces travailleurs qui forment les générations suivantes. Une société qui ne veut pas investir dans le salaire de gens qui forment nos enfants, je trouve que c’est un choix discutable.

Ce n’est pas juste avoir un adulte dans une salle de classe, c’est un adulte compétent qui va former des esprits qui vont être capables de continuer leur parcours scolaire dans les conditions les plus favorables possible, avec des gens contents de travailler qui se sentent reconnus à leur juste valeur. Ce n’est pas juste du salaire.

C’est un corps de métier majoritairement féminin. Les policiers [de la Sûreté du Québec] ont eu une offre à 21 % : c’est dur de ne pas faire le rapprochement.

Croyez-vous que l’opinion publique est derrière les profs ?

Il n’y a pas une défaveur populaire. Je pense que les gens comprennent plus qu’ils ne le comprenaient à une certaine époque qu’il y a un enjeu de fond qui est puissant : toute la question de la préservation de nos services publics.

C’est sûr que ça va choquer du monde. La grève va déranger des habitudes, ce n’est pas le fun. C’est ça, des moyens de pression. Ça fait un bon moment que ça négocie et c’est fait pour ça.

Ce n’est pas la promulgation de lois spéciales qui va venir résoudre un problème de cette envergure. Même si on force les gens à revenir au travail, ils vont faire des grèves perlées, de façon informelle, peu importe.

Mais oui, je sens une sympathie dans l’opinion publique. On peut se questionner sur le caractère judicieux, ou pas, de certains choix [du gouvernement]. Quand on parle de récupération salariale des députés, ils récupéraient par rapport à qui, quand on sait qu’ils sont très bien payés ? Par contre, quand on voit le rattrapage qui serait à faire du côté du secteur public en période lourdement inflationniste…

Nombre de syndiqués qui seront en grève prochainement n’ont pas de fonds de grève. Pourquoi ?

C’est un choix organisationnel. Normalement, une portion de la cotisation syndicale va au fonds de grève ou au fonds de défense professionnelle. Chaque organisation syndicale prévoit d’en avoir un ou pas.

Un fonds de grève, c’est une police d’assurance, même si ce n’est jamais le salaire complet. C’est un outil. [Ne pas en avoir], c’est un choix qui limite les possibilités, quand on sait que le taux d’endettement est assez élevé. Si les gens sont déjà pris à la gorge, ça limite les possibilités que le conflit s’installe dans le temps. Je n’aime pas parler en termes guerriers, mais ça donne des munitions à l’employeur.

Tout le monde se demande si le conflit va durer longtemps. Vous entrevoyez quoi ?

Je ne sais pas. Je peux juste vous dire que je suis intervenue dans beaucoup d’organisations ces dernières semaines et les gens sont décidés. L’idéal, ce n’est pas d’aller en moyens de pression. Mais quand ça prend ça pour faire avancer les choses…

Je souhaite qu’il y ait suffisamment d’échanges aux tables pour dénouer cette impasse. Il faut reconnaître la pleine valeur de ces gens-là : ça presse. Je souhaite une issue qui remette de la sérénité. Sinon, les gens vont garder une amertume et aller travailler ailleurs où ils seront plus reconnus.

* Les propos de cette entrevue ont été retouchés à des fins de concision.

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