Sans nouvelles de Nathalie Morin depuis plus d’un an

Dans On m’a volé ma famille, Johanne Durocher retrace l’histoire de sa fille coincée en Arabie saoudite depuis 16 ans, avec ses quatre enfants. Et dénonce l’indifférence d’Ottawa à son égard.

Johanne Durocher s’est présentée à l’aéroport de Montréal le 9 novembre 2019, pour s’envoler vers l’Arabie saoudite et y retrouver sa fille Nathalie Morin qu’elle n’avait pas vue depuis neuf ans.

Dans ses bagages, elle emportait des pots de beurre d’arachides géants pour sa fille et ses quatre petits-enfants. Et un espoir, tout aussi immense : celui de pouvoir enfin organiser leur retour au Canada.

Peu de gens étaient au courant de ce voyage, pas même Nathalie Morin, et encore moins son mari saoudien, Saeed Al Sharahni, homme violent et imprévisible.

Ce n’était pas la première fois que Johanne Durocher croyait pouvoir, enfin, rapatrier sa fille, jeune femme fragile qui voulait quitter l’Arabie saoudite, pays où elle vivait depuis 2005, et se libérer de l’emprise du père de ses enfants. Mais qui a toujours refusé de rentrer seule et d’abandonner les enfants derrière elle.

Chaque fois qu’une solution paraissait à portée de la main, le piège saoudien se refermait sur elle. Ce qui semblait possible ne l’était plus.

En cet automne 2019, Johanne Durocher avait obtenu l’assurance, de la part de responsables à l’ambassade du Canada à Riyad, que les autorités saoudiennes étaient dorénavant prêtes à laisser partir Nathalie et les quatre enfants si Saeed consentait à ce départ.

Saeed, lui, assurait qu’il y consentirait. Il ne restait plus qu’à régulariser le statut de Nathalie en Arabie saoudite, où elle avait vécu pendant des années sans aucune existence légale.

Il fallait aussi confirmer la citoyenneté canadienne du petit dernier, Foaz. Quelques formalités et le tour serait joué. Le cauchemar de Nathalie Morin serait terminé.

« Mon scénario de rêve, c’est que je vais réussir à les ramener et qu’on pourra passer à une autre étape, celle de la reconstruction psychologique de Nathalie. »

— Johanne Durocher, en entrevue avec La Presse, avant son départ pour l’Arabie saoudite en 2019

Mais une fois de plus, le rêve s’est fracassé sur un double mur. Celui d’une bureaucratie saoudienne incompréhensible qui avait fait inscrire les noms des enfants sur une liste de personnes interdites de voyager. Et celui de l’indifférence du Canada, qui n’a rien fait pour les faire retirer de cette liste.

Pour Johanne Durocher et sa fille Nathalie, c’était le retour à la case départ.

Plus de contacts

De retour à Montréal, Johanne Durocher ne voyait plus à quelle porte frapper pour sortir sa fille et ses petits-enfants d’une vie de misère, où ils étaient souvent forcés de mendier pour survivre.

Depuis plus d’un an, elle n’arrive d’ailleurs plus à joindre sa fille, dont la ligne téléphonique semble avoir été coupée. Ses courriels restent, eux aussi, sans réponse. Elle n’a plus aucune nouvelle de Samir, d’Abdullah, de Sarah et de Foaz, âgés respectivement de 18, 14, 12 et 7 ans.

À plusieurs reprises, Nathalie Morin avait supplié sa mère d’écrire son histoire, dans l’espoir qu’une fois tous les détails étalés aux yeux du public, quelque chose finirait par bouger.

Coupée de sa famille, Johanne Durocher s’est attelée à la tâche. Intitulé On m’a volé ma famille, le livre paraîtra le 28 avril.

Avec sobriété et précision, elle y raconte l’histoire d’une adolescente fragile, cible d’intimidation, qui ne trouve pas sa place à l’école, fugue à répétition, et finit par tomber sur celui qui lui apparaît comme un prince charmant : Saeed. Elle a 17 ans. Lui, 28.

La jeune femme tombe rapidement enceinte. Le couple bat de l’aile ; quand elle donne naissance à Samir, le nom du père ne figure même pas sur l’extrait de naissance. Sous le coup d’un ordre d’expulsion, Saeed est forcé de quitter le Canada. Nathalie le suivra, reviendra au Québec, repartira et finira par s’installer en Arabie saoudite en 2005.

Après une cérémonie de mariage dont elle ne comprend rien, Nathalie Morin se retrouve soumise aux lois saoudiennes. Saeed alterne le chaud et le froid, devient violent, exerce un chantage dans l’espoir de soutirer de l’argent à Johanne Durocher, ou alors dans celui d’obtenir un visa canadien.

Johanne Durocher sent sa fille s’enfoncer dans un cercle infernal, de grossesse en grossesse, de dépression en dépression.

Indifférence canadienne

Pendant toutes ces années, la mère et la fille ont le sentiment que leur sort indiffère les responsables consulaires canadiens, tant à Riyad qu’à Ottawa.

De temps en temps, un employé essaie de faire bouger les choses. Mais l’histoire que raconte Johanne Durocher, c’est d’abord et avant tout celle d’une série d’occasions ratées et de rejets.

Un exemple est particulièrement frappant. Le 8 juillet 2013, Saeed conduit Nathalie Morin, qui est alors enceinte de sept mois, et leurs trois enfants à l’ambassade du Canada à Riyad. « Chaque fois que Nathalie tombait enceinte, Saeed voulait qu’elle parte », explique Johanne Durocher.

Mais les diplomates canadiens n’ont pas le moindre égard pour la jeune femme et les enfants, dont ils connaissent pourtant déjà l’histoire. Nathalie Morin finit par être carrément expulsée de l’ambassade et remise entre les mains de son mari.

Sans atermoiements, le livre de Johanne Durocher, qui a consacré 15 ans de sa vie à se battre pour ramener sa fille au Canada, détaille avec une précision chirurgicale l’histoire de ces rejets.

Aux yeux des représentants du Canada, il s’agissait d’une histoire de famille, une affaire privée, dit Mme Durocher, qui a mené une véritable enquête pour documenter l’histoire de sa fille. Elle y a découvert notamment un courriel dans lequel un diplomate affirme froidement que la situation de Nathalie Morin « n’est pas une priorité ».

Voyant Ottawa protester contre l’arrestation de Samar Badawi, sœur de l’opposant Raif Badawi, Johanne Durocher fait un triste constat.

« J’ai malheureusement l’impression que le gouvernement canadien semble prêt à se prononcer sur le sort de personnes faisant partie d’une certaine élite intellectuelle, mais non sur celui d’une jeune femme comme Nathalie, peu scolarisée, qui bégaie et qui se met elle-même dans le pétrin. »

— Johanne Durocher, mère de Nathalie Morin

Dans la préface du livre, la journaliste Michèle Ouimet, qui avait rencontré Nathalie Morin lors d’un reportage en Arabie saoudite, en 2017, se dit « scandalisée » par « l’incompétence renversante du gouvernement canadien » soucieux de préserver ses relations avec Riyad.

Colère

Aujourd’hui, Johanne Durocher se sent encore en colère contre la série de fonctionnaires qui ont traité le dossier de sa fille à la légère. « Mais je suis surtout scandalisée de voir que les fonctionnaires ont le droit de traiter le public de cette manière », confie-t-elle en entrevue.

Elle croit que, épuisée par le yoyo émotif, sa fille s’est repliée sur elle-même et ne veut plus parler à personne. « Elle m’a dit qu’elle n’en pouvait plus de vivre de faux espoirs », confie Johanne Durocher.

Et elle espère que son livre permettra de faire bouger les choses. Qu’il poussera un responsable consulaire à accompagner Nathalie Morin au bureau saoudien des passeports pour lever l’interdiction de voyager qui pèse sur ses enfants.

Elle espère aussi qu’il servira de déclencheur à une réflexion sur le travail des services consulaires canadiens et leur manière de venir au secours de citoyens canadiens mal pris à l’étranger.

Été 2001

Nathalie Morin rencontre Saeed Al Sharahni à Montréal.

Été 2002

Samir naît.

Automne 2002 

Saeed quitte le Canada.

Été 2003

Nathalie rejoint Saeed en Arabie saoudite, où elle passera cinq mois. Elle fera un autre voyage l’année suivante.

Printemps 2005

Convaincue qu’elle sera libre de rentrer au Canada à sa guise, Nathalie Morin s’établit en Arabie saoudite.

2009

Johanne Durocher réussit à visiter pour la deuxième fois sa fille à Dammam, en Arabie saoudite. Elle y retournera 10 ans plus tard, en novembre 2019.

Juillet 2013

Saeed reconduit sa femme enceinte et leurs trois enfants à l’ambassade du Canada à Riyad, dans l’espoir de les voir retourner au Canada. L’ambassade les met à la porte.

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