Chronique

Régime enregistré d’épargne-invalidité (REEI)
Les handicapés rattrapés par Québec

Comme bien d’autres parents de personnes handicapées, Michel a un peu peur de cotiser dans le régime enregistré d’épargne-invalidité (REEI) qu’il vient d’ouvrir pour sa fille de 40 ans. C’est fort dommage, car ce régime lancé par Ottawa il y a 10 ans est extrêmement généreux et mérite d’être mieux connu.

Imaginez : juste en ouvrant un REEI, les familles moins nanties peuvent obtenir des bons totalisant 20 000 $. Même pas besoin de cotiser ! Et les familles qui versent de l’argent dans le compte peuvent obtenir des subventions représentant de 100 à 300 % de leurs cotisations, ce qui permet d’aller chercher jusqu’à 70 000 $ à vie. Pourquoi s’en passer ?

À la longue, le REEI permet d’accumuler des sommes considérables. En cotisant minimalement au régime, les familles peuvent facilement accumuler un million de dollars, comme le démontre la calculatrice d’Ottawa.

Malheureusement, l’attitude de Québec freine la popularité du programme dans notre province, qui se classe en queue de peloton quant au taux de participation au REEI.

Au Québec, à peine 19 % des personnes admissibles au REEI ont ouvert un compte, une proportion inférieure à celle observée dans l’ensemble du Canada (24 %). Autrement dit, plus de quatre Québécois handicapés sur cinq se privent des cadeaux du gouvernement fédéral. Vraiment triste.

Taux de participation au REEI

Pourcentage des personnes admissibles au REEI qui ont ouvert un compte

Colombie-Britannique : 33 %

Alberta : 26,7 %

Ontario : 25,5 %

Québec : 18,7 %

Source : Programme canadien d’épargne invalidité, Rapport statistique annuel, 2015

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Comme je vous le disais d’entrée de jeu, certaines familles sont réticentes à ouvrir un REEI et à y cotiser parce qu’elles craignent que leur enfant ne se fasse rattraper par la bande lorsqu’il retirera l’argent à l’âge de 60 ans.

C’est exactement la question qui turlupine Michel. Sa fille est handicapée intellectuelle, autiste et épileptique. Elle n’a aucun revenu et est inapte au travail. Qu’arrivera-t-il lorsqu’elle commencera à puiser dans son REEI ? « Devra-t-elle déclarer ce décaissement et sera-t-elle pénalisée au niveau des programmes sociaux ou fiscaux ? », se demande-t-il.

En fait, il n’y a pas d’impôt lorsqu’on retire les cotisations en tant que telles, puisque cet argent n’a pas procuré de déduction fiscale au moment de la cotisation (contrairement au REER).

Par contre, le bénéficiaire sera imposé sur la portion du retrait qui est composée des cadeaux d’Ottawa (bons et subventions) ainsi que sur le rendement accumulé dans le REEI à l’abri de l’impôt.

Mais en pratique, les personnes handicapées paieront très peu d’impôt, car elles ont souvent de faibles revenus et elles ont droit à un crédit d’impôt pour personne handicapée, explique Guillaume Parent, fondateur de Finandicap, qui se spécialise dans les REEI.

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Reste à savoir si les retraits du REEI ont un impact négatif sur les programmes sociaux et fiscaux dont les paiements sont établis en fonction des revenus.

À Ottawa, non. Donc, pas de soucis. La personne handicapée ne risque pas de perdre son crédit pour la TPS ou sa pension de la Sécurité de la vieillesse, par exemple, parce qu’un retrait du REEI a fait grimper ses revenus.

Mais pour Québec, c’est une autre histoire.

Par exemple, les personnes handicapées qui doivent être hébergées dans un CHSLD ou un centre hospitalier spécialisé doivent payer leur chambre plus cher si elles ont des sommes accumulées dans un REEI. La chambre leur coûtera jusqu’à 1800 $ par mois, alors qu’elle est gratuite pour ceux qui n’ont ni revenus ni économies.

Du côté de l’aide sociale, les personnes handicapées ne peuvent pas sortir plus de 950 $ par mois de leur REEI. Sinon, chaque dollar supplémentaire retiré les prive d’un dollar de prestation.

Autre exemple ? Le programme Allocation-logement, qui offre des subventions aux personnes qui consacrent une part trop importante de leur budget au logement. Souvent, les REEI sont pris en considération dans les calculs. « Il faut convaincre l’agent de ne pas le faire », rapporte M. Parent.

Pour l’instant, le REEI est encore jeune. Les problèmes de décaissement restent rares, dit M. Parent. « Mais les cas vont apparaître tranquillement, comme dans une machine à pop-corn, et ça va tout éclater en même temps », dit-il.

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Il est dommage que les personnes handicapées se fassent couper des prestations de Québec parce qu’elles ont été assez prévoyantes pour épargner dans leur REEI. Cela décourage les familles de cotiser, même si elles devraient quand même le faire, car le régime reste un excellent outil pour assurer la sécurité financière des personnes handicapées.

« J’aime mieux avoir des ressources à moi que je contrôle que d’être à la merci d’un système public qui craque de partout », affirme M. Parent. Il sait de quoi il parle. Lui-même atteint de paralysie cérébrale, il a vu son aide à domicile fondre de 44 heures par semaine à 28 heures, sans autre raison que les contraintes financières de l’État.

Au lieu de décourager des familles, Québec devrait faire la promotion du REEI. Pourquoi ne pas offrir un petit cadeau pour inciter les gens à ouvrir un compte, comme en Colombie-Britannique ? Ou encore poster des lettres pour informer les personnes admissibles, comme dans les Maritimes ?

Québec, comme la plupart des autres provinces, devrait aussi améliorer l’accessibilité du régime. Après le lancement du REEI, beaucoup de familles de personnes handicapées majeures ont eu du mal à ouvrir un compte, car il fallait absolument mettre en place une curatelle pour ceux qui sont inaptes.

Comme les démarches sont longues et coûteuses, plusieurs familles ont renoncé à ouvrir un REEI. Pour pallier la situation, Ottawa a mis en place une mesure temporaire permettant aux familles d’ouvrir un REEI sans curatelle. Du même souffle, le fédéral a demandé aux provinces de trouver une solution permanente, puisque cet enjeu relève de leur compétence.

Mais après des années, il n’y a toujours pas de solution concrète, du moins au Québec.

Robot épargne

Cette semaine, je vous parlais du nouveau « robot » qui aidera les clients des Services bancaires RBC à épargner. Avis aux clients intéressés, le service s’appelle TrouvÉpargne Nomi. Présentement en phase-pilote, il sera offert cet automne à tous les clients qui utilisent l’application mobile.

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