Opinion

Au-delà du dogmatisme, doit-on maintenir le confinement ?

La santé publique, comme de nombreuses disciplines médicales, est à la limite entre la science et le dogmatisme.

Faute d’une maîtrise complète des enjeux scientifiques et équilibrant des enjeux médicaux et sociaux, les analyses, positions et recommandations liées aux enjeux de santé publique sont donc sujettes à des incertitudes, des erreurs et à l’idéologie. On n’a qu’à penser, par exemple, aux décisions dogmatiques dans le domaine alimentaire, qui ont causé la fermeture de nombreuses crémeries et fromageries artisanales. Des décisions basées sur des peurs théoriques ayant peu de rapport avec la réalité quand on examine les faits à l’étranger.

La réaction des experts de santé publique à la COVID-19 s’inscrit dans ce même équilibre entre science, dogmatisme et pressions sociales. À partir du début février, nous avons pu observer l’établissement d’un consensus très fort parmi la communauté des épidémiologistes et des spécialistes de la santé publique quant à l’efficacité du confinement global de la population en réponse à la pandémie, malgré l’absence de données claires quant à son impact réel à ce stade de propagation, faute d’expériences scientifiques répétées et validées (une lacune qui se comprend parfaitement).

L’objectif du confinement généralement, cette bombe nucléaire sociale et économique, répété ad nauseam à travers la planète, était d’aplanir la courbe exponentielle de propagation du viseur et d’éviter l’écrasement du système de santé.

Malgré le discours consensuel, le déploiement des mesures dans les divers pays s’est fait sur un calendrier décalé et des détails fort variés qui nous permettent aujourd’hui de tracer un premier bilan de ces mesures et qui devraient forcer les gouvernements à remettre en cause les recommandations initiales de la santé publique.

Constat le plus important : au-delà de certaines mesures de distanciation de base, il y a fort peu de corrélation entre la rigidité des règlements et l’impact du virus dans les divers pays, particulièrement au niveau des hospitalisations et de la mortalité des diverses strates de la population. En effet, les pays qui ont maintenu leurs écoles primaires (et secondaires, dans certains cas), leurs commerces, leurs cafés et restaurants ouverts, n’ont pas plus de cas, par habitant, que le Québec et, plus importants, ils sont parvenus à aplanir et à faire redescendre la courbe de mortalité et d’hospitalisation. L’exemple le plus éclatant de cette approche est, bien sûr, la Suède, même si d’autres pays, comme les Pays-Bas, ont adopté des positions mitoyennes pour des résultats similaires.

Malgré des mesures beaucoup plus draconiennes, restrictives et massives, le Québec vit les mêmes problèmes que la Suède : des éclosions et une mortalité démesurées dans les résidences pour personnes âgées et dans certaines communautés immigrantes. L’hécatombe est même pire au Québec, à cause de l’incurie et de la rigidité du système de santé québécois.

Les modèles épidémiologiques sur lesquels s’appuient les décideurs sont loin d’être parfaits et ils ne peuvent pas intégrer directement les nuances qui différencient l’approche suédoise de la situation normale pré-COVID-19. Bien validés sur des situations connues, les modèles nous permettent, toute autre chose étant égale, de tester des mesures ciblées. Par contre, ils sont moins utiles lorsque tout bascule d’un coup, comme c’est le cas aujourd’hui.

C’est pourquoi il est essentiel, à la lumière des données réelles qui nous proviennent du monde entier, que la santé publique mette de côté ses préjugés et ses dogmes et adopte les mesures les plus efficaces dans un contexte où le coronavirus n’est pas près de disparaître et qu’il n’y a aucune garantie qu’on trouvera un traitement ou un vaccin à courte ou moyenne échéance.

C’est ce qu’a fait la Suède, par exemple, sous la direction d’un épidémiologiste qui a su aller au-delà du consensus pour examiner les faits.

Il est maintenant possible, en comparant les résultats des diverses mesures à l’étranger et ici de répondre à des questions fondamentales : (1) pourquoi une distance de 2 mètres ? Un bras est-il suffisant ? ce qui réduirait considérablement les contraintes d’aménagement de l’espace ; (2) l’isolement physique des enfants à l’école primaire et la fermeture des écoles secondaires ont-ils suffisamment de bénéfices par rapport à leur immense coût social ? ; (3) la fermeture des commerces et des restaurants ou les restrictions sévères imposées actuellement sont-elles nécessaires ? (4) le confinement a été incapable d’arrêter l’hécatombe dans les résidences pour personnes âgées et les CHSLD ; n’est-il pas temps, pour les experts, de s’attaquer en priorité à régler ce problème ? Ici, la science est pourtant beaucoup plus claire : faire passer les travailleurs de la santé de zone chaude à zone froide, ou les laisser rentrer dans des logements multigénérationnels, est une assurance presque parfaite de propager le virus et, pourtant, on continue de le faire.

La science, on l’oublie trop souvent, doit s’appuyer sur les mesures et la réalité. Si celles-ci ne reflètent pas les théories et les dogmes, il ne faut pas accuser, mais bien revoir les analyses et les constats. Il est temps de s’y mettre pour la situation actuelle tout en maintenant la flexibilité nécessaire à l’adaptation aux nouvelles données.

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