Santé mentale

Une appli plutôt qu’un psy ?

Gérer son stress et ses humeurs, apprendre à méditer ou à respirer profondément pour mieux relaxer, quantité d’applications pour tablette ou téléphone intelligent prétendent pouvoir nous aider à garder un esprit sain. Laquelle choisir ? Plus important encore : utiliser une application mobile est-il une solution de rechange ou un complément fiable à un traitement supervisé par un psychologue ou un autre professionnel de la santé mentale ?

« C’est un peu le free for all », résume Réal Labelle, chercheur en psychologie et professeur à l’UQAM. Sa collègue Sonia Lupien, directrice scientifique du Centre de recherche de l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal, constate aussi qu’il est difficile – surtout pour la population en général – de faire le tri entre les applications qui peuvent faire du bien, celles qui ne feront ni bien ni mal et celles qui peuvent faire du tort.

« Personne à ce jour n’a pris ni le temps ni l’argent pour évaluer toutes ces applications-là », dit encore  le Dr Lupien. « Il y en a des super intéressantes qu’on pourrait peut-être utiliser en intervention, mais la presque totalité n’a pas été évaluée [scientifiquement] », renchérit Réal Labelle. En l’absence de données probantes, il croit nécessaire d’avancer avec précaution. L’Ordre des psychologues, lui, n’a pas de position officielle au sujet de ces applications.

Le seul consensus qui existe à l’heure actuelle est le suivant : non, ces outils numériques ne remplaceront pas les psychologues en chair, en os et en empathie. Réal Labelle en parle comme d’outils « d’accompagnement » ou « d’assistance » à la psychothérapie. « C’est une aide à la thérapie au même titre qu’un livre qu’un psychologue conseillerait à un patient parce qu’il croit que ça peut l’aider », expose Sonia Lupien.

Testé sur des humains

Les deux chercheurs croient toutefois au potentiel de ces outils numériques. Beaucoup. Assez pour s’être impliqués dans la conception de l’une ou l’autre des récentes applications québécoises de santé mentale pour téléphone intelligent : iSmart (gestion du stress), PsyAssistance (gestion d’humeur, dépression, prévention du suicide) et Plus fort (soutien et renforcement pour les victimes d’intimidation).

« Les applications faites ici ont été validées scientifiquement et elles font ce qu’elles sont censées faire. »

— Sonia Lupien

« iSmart est censé diminuer le stress. On a testé le niveau de stress chez des travailleurs de centres jeunesse – c’est stressé, ce monde-là – avant et après l’utilisation de l’application pendant x mois. Ça diminue le stress et la dépression, assure-t-elle. C’est ça, la différence entre une application qui donne de l’information et une application validée scientifiquement. »

PsyAssistance a suscité énormément d’intérêt en France, selon Sonia Lupien. L’application conçue par Réal Labelle, qui vise entre autres la prévention du suicide, s’appuie notamment sur une technologie baptisée « appel dispersif », qui permet à la personne en détresse de téléphoner simultanément à cinq personnes prédéterminées pour avoir de l’aide et permet également un suivi serré de la part du thérapeute. « Ça fonctionne admirablement bien », souligne Sonia Lupien.

Réal Labelle affirme que, en l’état actuel des recherches, il ne pourrait pas utiliser en thérapie une application trouvée dans l’App Store ou GooglePlay sans risquer d’enfreindre son code de déontologie. Des outils intégrés à certaines applications posent également des enjeux légaux et éthiques, selon le chercheur, qui évoque autant la protection des renseignements personnels que la géolocalisation.

Mieux vaut prévenir

Sonia Lupien constate que, dans bien des cas, les applications qui proposent de gérer nos humeurs, de calmer notre stress ou d’aider à diminuer notre consommation d’alcool s’appuient sur un outil somme toute simple : le monitoring. Elles constituent ni plus ni moins qu’un journal de nos humeurs et de nos habitudes. C’est le cas de Toute ma tête, conçue à Ottawa.

Ainsi, les applications en santé mentale peuvent constituer des outils de prévention. Ou de prise de conscience. « Pour prendre conscience d’un problème, il faut faire du monitoring, ce que l’application aide à faire sans trop d’efforts, remarque Sonia Lupien. Un problème bien défini est un problème déjà à moitié réglé. La difficulté, c’est de cerner d’où vient le problème qu’on vit. »

Les applications citées sont compatibles avec iOS et offertes dans l’App Store. Une version de l’app Toute ma tête existe aussi pour les appareils Android.

Des pistes pour choisir

Il n’est pas facile d’établir des critères généraux pour évaluer une application. Sonia Lupien suggère néanmoins quelques pistes. La chercheuse juge qu’il faut se méfier des applications qui demandent de l’argent ou trop de données personnelles. Elle soulève un drapeau rouge aussi au sujet de celles qui sont trop rigides, trop directives, comme s’il n’y avait qu’une seule façon de régler un problème. « Il n’y a pas de méthode universelle », tranche-t-elle. Dans le même ordre d’idées, une application qui cherche à faire peur à un utilisateur désireux d’en cesser l’usage devrait aussi susciter la méfiance. « On se donne le droit d’arrêter d’aimer ça », insiste la Dre Lupien.

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