Taxe sur l’immatriculation des véhicules

Québec facturera des frais « prohibitifs », déplorent les villes

Le gouvernement Legault a donné il y a quelques mois le pouvoir aux municipalités d’imposer une taxe sur l’immatriculation des véhicules pour financer leur réseau de transport collectif, aux prises avec d’importants déficits. Or, il facturera des frais « prohibitifs » à celles qui emprunteront ce chemin, déplorent les villes. « Un pourcentage très important des revenus générés par une éventuelle taxe sera versé en frais administratifs, ce qui réduit le potentiel réel de cet outil qui doit pouvoir être utilisé partout au Québec », a dénoncé l’Union des municipalités du Québec dans un mémoire présenté mardi à l’Assemblée nationale.

— Charles Lecavalier, La Presse

Transport collectif

Deux chercheuses dénoncent l’approche de Geneviève Guilbault

La ministre des Transports et de la Mobilité durable, Geneviève Guilbault, fait preuve d’une « vision des années 1970 » avec son approche du transport collectif, dénoncent deux chercheuses de Polytechnique Montréal. Catherine Morency, titulaire de la Chaire Mobilité, et Brigitte Bouchard-Milord, associée de recherche au même endroit, déconstruisent quatre affirmations de Mme Guilbault en commission parlementaire la semaine dernière.

« Nous, on n’a pas le luxe de refiler notre déficit ailleurs. »

« Ce n’est pas vrai. C’est exactement ce que le gouvernement a fait en 1990. Il avait un déficit au niveau de son financement, il a pris une partie de ses responsabilités [en transport collectif et en voirie locale] et l’a transférée aux municipalités », affirme Mme Bouchard-Milord. En contrepartie, le gouvernement s’était engagé à « conserver une participation importante dans le financement des dépenses d’investissement des organismes de transports en commun ». Mais « en pratique », si on additionne « les revenus perçus au titre de la taxe sur l’essence et des droits d’immatriculation par Québec et qu’on déduit les dépenses du réseau supérieur », il ne reste qu’environ 5 % de ces revenus par année pour améliorer l’offre de transport collectif.

« Je suis totalement désespérée. Je ne peux pas croire qu’encore en 2024, il n’y a pas une vision intelligente qui existe du transport. On a une politique de mobilité durable, on sait ce que ça prend pour atteindre nos cibles, on sait que le transport collectif est notre principal outil pour faire la transition dont on a besoin, et rien de ça ne sort », déplore Mme Morency.

« L’État québécois a comme mission de gérer les routes et non pas le transport collectif. »

« Correction », disent les chercheuses, il s’agit d’un choix que l’État québécois a fait, pas d’un fait. « Elle est censée gérer le transport dans sa totalité et avoir une vision québécoise de la mobilité », déplore Catherine Morency.

« La job de la ministre, c’est d’énoncer une vision des transports à l’échelle du Québec. Elle doit se demander : comment je déplace le plus efficacement les biens et les personnes sur le territoire québécois pour minimiser les coûts totaux de transport et minimiser l’ensemble des externalités [comme la pollution] ? Respecter la capacité de payer des citoyens, ce n’est certainement pas leur dire : achetez-vous un char électrique. On n’est pas si niaiseux que ça », dit Mme Morency.

« Il faut trouver d’autres solutions que de juste transférer un déficit au gouvernement, déficit sur lequel le gouvernement n’a aucun contrôle direct parce qu’on n’est absolument pas impliqués dans la gestion des sociétés de transport. »

« On les connaît, les solutions », laisse tomber Catherine Morency. Taxe kilométrique ou indexation de la taxe sur l’essence et des immatriculations, les moyens de hausser les revenus sont étudiés depuis longtemps.

Mais les déficits des sociétés de transport sont également indissociables des choix de Québec, puisque les investissements dans le réseau routier sont en compétition directe avec le transport collectif. Exemple concret : Québec paie pour le prolongement de l’autoroute 19 à Bois-des-Filion et veut y mettre une voie réservée pour le transport collectif. Sauf que « la rentabilité du service n’est absolument pas étudiée », alors que l’autoroute augmente la capacité routière et pourra être empruntée sans péage par les automobilistes. La conséquence : « les sociétés de transport porteront l’odieux du déficit alors que le projet n’est absolument pas conçu pour rentabiliser les investissements publics ou atteindre n’importe quelle autre cible de mobilité durable ».

L’autre problème avec cette vision comptable, note Mme Morency, est que les sociétés de transport offrent un service public qui doit être équitable. « Si on gère ça comme une entreprise privée, tu vas couper les lignes qui ne sont pas rentables. On l’a vu dans le transport collectif interurbain en région », souligne-t-elle.

Or, elles doivent permettre aux gens qui n’ont pas de voiture ou ne peuvent pas conduire « de se déplacer à des heures moins fréquentes, dans des corridors moins fréquents ». « On ne peut pas faire des exercices de comptabilité stupides sur quelque chose qui est un service public », dit-elle.

« Le transport collectif sur un territoire donné est d’abord et avant tout la responsabilité des élus et des gestionnaires du territoire donné, et non pas de l’ensemble des 9 millions de Québécois. »

« Le gouvernement entend bien engloutir des milliards de dollars provenant de partout au Québec dans des projets locaux comme le troisième lien ou le pont de l’île d’Orléans », rétorquent Mmes Morency et Bouchard-Milord.

Autre exemple : les Montréalais paient avec leur taxe foncière pour entretenir un réseau local de rues empruntées par des automobilistes qui n’y vivent pas.

Mais au-delà de ça, la planification du transport collectif devrait se faire à l’échelle du Québec, estiment-elles. « Aux Pays-Bas, le gouvernement a mis en place une grille de tarification et une continuité des réseaux à l’échelle du territoire. Avec une application, tu peux acheter ton billet local, interurbain, puis ton autre billet local pour aller du point A au point B. Au Québec, ça prend de la patience et du courage pour faire ça », dit Mme Bouchard-Milord.

Mais puisque les gens ont souvent besoin de sortir de la ville, « ils finissent par s’acheter un véhicule. Et une fois que tu as ton véhicule dans ton entrée, tu l’utilises pour tes déplacements urbains », ajoute-t-elle.

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