Tunnel Québec-Lévis

Aucune étude sur le projet, admet Legault

Le projet de tunnel autoroutier à quatre voies entre Québec et Lévis ne repose sur aucune étude, a reconnu François Legault vendredi. Des analyses sont en cours et seront prêtes dans la prochaine année, selon lui.

Le chef de la Coalition avenir Québec (CAQ) a fait cette étonnante révélation en conférence de presse, lorsqu’on l’a relancé sur les études concernant le troisième lien qu’il refuse toujours de rendre publiques. La pression s’accentue sur lui pour qu’il les dévoile avant le scrutin du 3 octobre.

« Les études qui avaient été faites, c’était les études qui avaient été demandées par les libéraux, qui ne parlaient pas d’un tunnel à quatre voies de centre-ville à centre-ville », a-t-il dit, ajoutant que ces études ne sont pas pertinentes à ses yeux.

« On n’a pas étudié, il n’y a aucune étude qui prend le projet de tunnel à quatre voies, dont deux voies pour le transport collectif. Il n’y en a aucune. »

— François Legault, chef de la CAQ

Le gouvernement Legault a présenté à la mi-avril cette nouvelle version de son projet de tunnel. Sa facture s’élèverait à 6,5 milliards.

Selon les explications de M. Legault, le gouvernement a préparé ce projet de troisième lien revu et corrigé sans avoir d’études en main pour le justifier et l’appuyer. Il les a commandées et les attend toujours. « On espère dans la prochaine année avoir le résultat de toutes les études », a indiqué le chef caquiste. « Ils sont en train de les faire, les études. On ne part pas de zéro, ça avance. »

Malgré l’absence d’études pour appuyer son projet de tunnel, François Legault assure toujours que « c’est une évidence » qu’un troisième lien est nécessaire compte tenu du développement des deux villes et de l’achalandage routier dans la région.

La nouvelle mouture du projet de troisième lien, composée de deux tubes comptant quatre voies au total, a remplacé le gigantesque tunnel à deux étages comprenant six voies que le gouvernement avait présenté en mai 2021 et dont la facture était estimée jusqu’à 10 milliards.

Tir groupé de ses adversaires

Les adversaires de François Legault n’ont pas manqué de souligner ce nouveau rebondissement.

« Je tombe en bas de ma chaise », s’est exclamée la cheffe du Parti libéral du Québec, Dominique Anglade. « Ce n’est pas normal, c’est anormal. Il n’a aucune défense par rapport à ça, c’est inconcevable. Quatre ans à nous dire qu’il allait faire un projet, et ç’a été de dessin en dessin », a-t-elle ajouté en mêlée de presse.

Pour Gabriel Nadeau-Dubois, chef parlementaire de Québec solidaire, « le chat sort du sac ».

« On voit que François Legault est prêt à dépenser 7 ou 10 milliards basé sur son feeling. Aucune étude pour justifier des investissements de milliards de dollars. C’est ridicule, je trouve ça gênant. »

— Gabriel Nadeau-Dubois, chef parlementaire de Québec solidaire

« Quand je disais [au débat Face-à-Face de jeudi soir] que probablement que les architectes du tunnel, ce sont les animateurs de Radio X, je l’ai lancé à la blague, a dit de son côté le chef du Parti québécois, Paul St-Pierre Plamondon. Mais je suis peut-être pas loin du compte quant au degré de préparation et de sérieux de ce troisième lien caquiste. »

« C’est hallucinant », s’est exclamé le chef du Parti conservateur du Québec, Éric Duhaime. « Ça veut dire qu’il y a peut-être des maquettes et qu’il essaie de nous impressionner avec ça, mais c’est toujours basé sur rien. »

Au moins sept contrats d’études externes, dont le coût s’élève à 28 millions, ont été accordés par le ministère des Transports du Québec (MTQ) dans le dossier du troisième lien, comme La Presse l’a révélé plus tôt cette semaine. Six des sept études ont été commandées pendant le mandat de la CAQ. Parmi les sept études, on compte :

• une « étude d’opportunité » réalisée au coût de 8,4 millions par les firmes Stantec, Tetra Tech et Hatch en 2018, sous les libéraux, évoquant cinq scénarios de pont ou de tunnel entre les deux rives, rapport qui a disparu du site web du MTQ ;

• un mandat de 114 000 $ donné à l’École nationale d’administration publique (ENAP) pour analyser les « impacts des grands projets d’infrastructures sur l’aménagement du territoire », qui a donné lieu à un rapport remis au MTQ ;

• un contrat de 16,2 millions pour des sondages géotechniques en milieu terrestre et marin confiés au consortium SNC-Lavalin–Englobe en juillet 2020, en cours ;

• une « étude d’impact sur l’environnement pour le projet du tunnel Québec-Lévis et sur le milieu récepteur », confiée à la coentreprise SNC-Lavalin–Englobe en septembre 2021 pour 1,9 million, en cours.

Le porte-parole du MTQ, Nicolas Vigneault, soulignait que la plupart des études au sujet du troisième lien étaient toujours en cours et ne pouvaient pas « par conséquent » être rendues publiques. Le rapport de l’ENAP, qui est terminé, constitue pour sa part un « intrant » à « l’étude d’opportunité » en cours et ne peut donc être diffusé, ajoutait-il.

— Avec la collaboration d’Hugo Pilon-Larose, Mylène Crête, Charles Lecavalier, Fanny Lévesque et Maxime Bergeron, La Presse

Troisième lien

La pertinence des études, vue par quatre experts

François Legault a reconnu vendredi que le tunnel autoroutier à quatre voies qu’il projette entre Québec et Lévis ne repose sur aucune étude valide, la dernière datant du temps des libéraux et concernant un tout autre projet. Un constat « étonnant », mais qui appelle surtout à se mettre au travail, selon des experts.

« C’est encore juste une idée »

Pour Jean-Philippe Meloche, professeur à l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage de l’Université de Montréal, l’absence d’études à jour sur le projet de troisième lien est « un peu étonnante ». « Mais en même temps, pour être pour le projet, il ne faut pas avoir vu une étude dessus, parce que si on en avait vu, on réaliserait que ça n’a pas d’allure », lance-t-il. « Au fond, tout ce qu’on véhicule à ce jour au gouvernement, c’est encore juste une idée d’un projet, mais on n’a pas encore fait d’étude approfondie pour évaluer si ça cadre avec nos besoins », juge-t-il.

Comparer avec d’autres solutions

Chez Trajectoire Québec, la directrice générale Sarah V. Doyon déplore que les propos de François Legault « viennent confirmer qu’on a besoin de comparer [le troisième lien] avec des alternatives peut-être plus durables ». La réalité, dit-elle, c’est qu’« il n’y a jamais eu d’analyse d’opportunité depuis 2018 ». « Ça vient confirmer que ce n’est pas en ajoutant une infrastructure routière qu’on vient régler les problèmes de congestion. En fait, le troisième lien serait une première », ironise celle qui est aussi membre de la coalition Non au troisième lien, en se disant impatiente de voir d’autres études gouvernementales.

Accélération de l’étalement urbain

Pierre Barrieau, expert en planification des transports et chargé de cours à l’UQAM, est d’avis qu’une question se pose maintenant : « Est-ce que le gouvernement a manqué de temps, ou il a juste décidé de ne pas faire les études parce qu’il savait que le résultat serait négatif pour lui ? » Dans les deux cas, ajoute M. Barrieau, il faut s’appuyer sur les faits. « Dès 1974, les études ont démontré que toute amélioration de temps de déplacement amène l’accélération de l’étalement urbain, ce qui fait en sorte que quelques années plus tard, on arrive au même temps de déplacement. Les études que M. Legault aurait fait faire, elles auraient démontré ça », lance-t-il, rappelant toutefois qu’« un projet politique, au fond, n’a pas besoin d’acceptabilité sociale ».

« Il faut faire un vrai état des lieux »

Le titulaire de la Chaire UNESCO en paysage urbain de l’Université de Montréal, Shin Koseki, estime pour sa part qu’il faut surtout « faire un vrai état des lieux » du projet. « Il nous faut maintenant mettre à jour les études qui ont été faites, en évaluant dans quelle mesure la situation a changé par rapport à 2018, et aussi le risque que les modifications au projet aient un impact sur les résultats de l’étude », explique-t-il. « Tout ça illustre la nécessité de ne pas y aller de décisions hâtives pour des raisons politiques, de prendre le processus au sérieux. C’est un projet qui aurait un impact considérable sur des générations de Québécois. On doit être vraiment certain de comprendre les enjeux que ça génère », conclut M. Koseki.

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