Quels étudiants pauvres deviennent riches ?

Jusqu’à quel point les études universitaires permettent-elles aux moins nantis de changer de classe sociale au Québec ? Et quelles universités y parviennent le mieux ?

Ce sujet fondamental de politiques publiques a fait l’objet d’une étude révélatrice de Lucie Raymond-Brousseau, qui en a fait son mémoire de maîtrise à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Sa maîtrise en économie appliquée a été dirigée par les professeures Marie Connolly et Catherine Haeck, réputées dans le domaine.

Comme on pouvait s’y attendre, les enfants issus des familles les plus pauvres (1er quintile de revenus sur 5 quintiles) sont bien moins nombreux à fréquenter l’université. Quelque 10 % des étudiants inscrits au baccalauréat viennent de ce 1er quintile, contre 36 % pour le 5quintile de revenus (les plus aisés). Le reste (53 %) se répartit dans les trois autres quintiles.

Mais qu’advient-il de ces 10 % d’étudiants pauvres issus du 1er quintile ? C’est là que l’étude est révélatrice. Quelques années après l’obtention de leur bac, près de 30 % font un bond très important, grimpant dans le 5quintile de revenus, le plus haut.

Certes, cette proportion de 30 % qui s’installe dans le 5quintile est un peu plus basse que celle des étudiants issus de la classe moyenne (33 %) ou aisée (40 %), mais elle est néanmoins intéressante : étudier est un puissant outil de progression dans l’échelle sociale.

Autre façon de s’en convaincre : près de 12 % des étudiants issus du 1er quintile y restent malheureusement dans les premières années de travail, mais cette proportion est bien moindre que pour l’ensemble des jeunes nés dans ce 1er quintile (30 %), qui n’ont souvent pas de diplôme universitaire.

Ce sont les études dans ce qu’on appelle les STIM (sciences, technologies, génie, mathématiques) qui offrent les meilleures chances d’ascension sociale rapide, suivis des sciences de la santé et de l’administration. Les deux autres secteurs (sciences humaines et éducation) offrent des possibilités nettement moindres.

Un bémol à ce sujet : l’étude a pu capter seulement les revenus des trois à cinq années suivant le bac, ce qui désavantage notamment le secteur de l’éducation, où la progression salariale est plus lente (du moins pour les années de l’étude, soit 2010-2018).

Concordia accueille plus de pauvres

Maintenant, comment se distinguent les universités ? Plusieurs surprises à cet égard.

D’abord, deux universités anglophones trônent au sommet pour la proportion d’étudiants issus de familles pauvres. À l’Université Concordia, 15,4 % des étudiants viennent de familles du 1er quintile de revenus, loin devant la moyenne de 9,7 % de l’ensemble des universités, selon l’étude.

La position de 2rang de l’Université McGill, à 12,4 %, est étonnante, sachant la réputation plutôt élitiste de l’établissement. L’étude n’avance pas d’explications pour ces écarts notables avec la moyenne.

Néanmoins, reconnaît son auteure, il est bien possible que la part importante d’enfants immigrés dans ces universités – dont les parents font souvent de moins bons revenus que les natifs – soit l’une des raisons. Bref, ces forts taux d’étudiants pauvres des deux universités pourraient être liés à l’ascension sociale plus grande des enfants arrivés ici dans l’enfance ou dont les parents sont immigrés.

Justement, à l’autre bout du spectre vient l’Université Laval (6,2 %), à Québec, moins sujette à recevoir des étudiants immigrés que les deux universités anglophones de Montréal.

Autre surprise : l’Université de Montréal compte une plus grande proportion d’étudiants issus de familles pauvres (10,2 %) que l’Université du Québec à Montréal (9,3 %), selon l’étude. L’écart n’est peut-être pas significatif, mais on se serait attendu à voir l’inverse, puisque l’UQAM se positionne souvent comme l’établissement qui permet aux familles d’avoir un premier membre diplômé universitaire.

L’étude fait une autre comparaison marquante. Pour chaque université, elle a mesuré la proportion des étudiants pauvres qui deviennent riches. Ou plus précisément, elle a comparé la proportion des diplômés issus de familles peu fortunées (1er quintile de revenus) qui grimpe dans le 5quintile de revenus, une fois sur le marché du travail.

Les universités qui ont d’imposantes facultés de génie et de sciences de la santé ont généralement des taux plus élevés, ce qui n’est pas étonnant vu les bons salaires qui y sont versés. Tout de même, la proportion de pauvres qui deviennent riches est très forte : 64 % pour l’École de technologie supérieure (ÉTS) et 46 % à l’École polytechnique.

Les universités généralistes qui ont une bonne proportion d’étudiants dans l’un de ces deux secteurs d’études sont aussi avantagées. C’est le cas de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue ou de l’Université de Sherbrooke, par exemple, dont la proportion des étudiants issus de familles pauvres qui grimpent dans le 5quintile est respectivement de 50 % et de 31 %, selon l’étude.

À l’inverse, les universités qui n’ont pas de telles facultés, comme l’UQAM et l’Université du Québec à Trois-Rivières, sont désavantagées à ce chapitre, avec des proportions de seulement 19 % et 17 %, respectivement.

Ce que j’en pense ? Que l’étude a comme faiblesse de ne pouvoir suivre le parcours des étudiants plusieurs années après la fin de leur baccalauréat, par exemple 10 ou 15 ans. Possible alors que les diplômés en sciences humaines ou en éducation auraient eu de meilleurs revenus.

Autre interrogation : l’ascension sociale pourrait aussi changer avec le temps. Le Québec n’affrontait pas la pénurie de main-d’œuvre entre 2010 et 2012 – années d’analyse des cohortes d’entrées à l’université de l’étude – et la situation pourrait différer aujourd’hui.

Il reste que la recherche montre que les études universitaires sont un facteur d’ascension sociale majeur. Et que cette ascension est plus forte avec certaines formations, voire certaines universités.

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