Pour une densification heureuse

En banlieue comme en ville, la densification urbaine suscite de vifs débats ces jours-ci. La Presse a demandé à des experts – architectes, urbaniste et promotrice – de trouver partout dans le monde des exemples de densification heureuse, dont le Québec aurait tout intérêt à s’inspirer.

Un dossier de Suzanne Colpron et de Simon Chabot

Pierre Thibault, architecte

Construire à échelle humaine

La densification qui se fait actuellement dans les villes et banlieues québécoises est trop souvent « un affront à l’intelligence humaine », croit l’architecte Pierre Thibault, connu notamment pour son implication dans le Lab-École, un organisme qui conçoit l’école de demain.

« On empile des unités comme des poulets, avec des vues sur des stationnements de centres commerciaux, c’est inacceptable, invivable, lance-t-il. Ce qu’on nous présente, c’est de la densification malheureuse. »

Or, les contre-exemples de densification « heureuse » sont nombreux et datent parfois de plus de 20 ans, poursuit l’architecte. « On est vraiment en retard, c’est gênant », dit-il.

Le quartier Bo01, qui a vu le jour en 2001 dans une friche industrielle à Malmö, en Suède, fait partie des bons modèles, selon lui. On y trouve aujourd’hui 1800 unités, conçues par 21 architectes et construites par 7 promoteurs différents.

Maisons en rangée, immeubles de cinq étages ou moins en général, en partie locatifs, présence de logements sociaux de qualité, cours communes ensoleillées, rues étroites et végétalisées, accès à l’eau, voitures en partage garées en sous-sol, transport en commun, commerces de proximité… Le quartier aux constructions diversifiées, conçu à échelle humaine, favorise une belle mixité sociale et intergénérationnelle, ainsi qu’un fort sens de la communauté, souligne Pierre Thibault.

« C’est un cercle vertueux. Quand tu vois ça, tu n’as pas envie d’aller vivre à une heure de voiture en banlieue. »

— Pierre Thibault, architecte

Autre élément inspirant du quartier : les appartements traversants, qui donnent à la fois sur la rue et sur la cour. « Ça donne une qualité de lumière, et la ventilation naturelle permet d’éviter la climatisation. C’est écologique et facile à imposer par réglementation », insiste l’architecte.

Pierre Thibault évoque aussi le quartier Hammarby Sjöstad, lancé en 1990 à Stockholm, toujours en Suède, un peu plus dense, mais conçu sur les mêmes principes pour favoriser le bon voisinage et limiter le recours à la voiture.

Au Québec, trop peu d’efforts sont consacrés à la planification de quartiers du genre, dénonce Pierre Thibault.

« Les pouvoirs publics ont abdiqué. On demande parfois à un seul promoteur de construire 10 000 unités sur le bord de l’autoroute, de tracer lui-même les rues, sans prévoir les services… »

— Pierre Thibaul, architecte

« Comment se fait-il qu’on ait laissé les promoteurs répéter le même modèle partout, avec comme seule visée de faire le plus d’argent possible ? demande-t-il. Ce n’est pas leur compétence de planifier des milieux de vie de qualité. »

Pierre Thibault se réjouit de l’arrivée d’une nouvelle génération de maires sensibles à la question de la densification à Laval, Longueuil, Granby, Gatineau, etc. Pour leur donner de bons outils, il propose la création d’un « Lab-Planification urbaine ». « On devrait les faire voyager pour leur montrer les bons modèles, ça permettrait de disséminer les meilleures pratiques partout au Québec. »

Chose certaine, les Québécois ont soif d’une densification heureuse, croit Pierre Thibault, qui a notamment travaillé sur un plan de développement à Drummondville. « Les gens sont rendus là, constate-t-il. On leur présente un modèle intéressant, et les mains se lèvent pour nous demander quand ils pourront y emménager ! »

Vous avez dit « densification » ?

Depuis des décennies, les villes grandissent en s’étalant toujours plus loin de leur centre. Des maisons unifamiliales entourées de gazon ont poussé par milliers dans d’anciens champs. Or, cet étalement prolonge les déplacements, menace les espaces naturels et agricoles et engendre d’importantes dépenses en infrastructures (routes, égouts, réseau de distribution d’eau). L’empreinte carbone de ce type de développement est très lourde. Au moment où les terrains se font de plus en plus rares, où la crise climatique menace et où la population est appelée à croître, les experts s’entendent : il faut freiner l’étalement urbain et densifier les milieux déjà habités, c’est-à-dire faire en sorte que chaque quartier existant abrite davantage de population avec la construction d’immeubles qui accueillent plus d’un logement. Le gouvernement du Québec doit se prononcer sur la question dans sa Politique nationale d’architecture et d’aménagement du territoire, attendue sous peu.

Michel Larue, urbaniste

Une miniville dans la ville

La ville que Michel Larue aime le plus au monde est Hong Kong, où plus de 7,3 millions d’habitants s’entassent sur 1092 km2, sachant que seul un cinquième du territoire est propice à la construction.

« On peut marcher toute la journée dans Hong Kong sans voir le temps passer tellement il y a des choses qui attirent notre attention », explique l’urbaniste, directeur général adjoint de la mise en valeur durable de Westmount.

Vous l’aurez compris, M. Larue aime les villes denses. Il est d’ailleurs à l’origine du quartier Urbanova, à Terrebonne, où il était directeur de l’urbanisme de 2014 à 2020. Ce projet écoresponsable visait à créer, dans une ville de banlieue, un nouveau quartier aussi dense et mixte que le Plateau Mont-Royal, avec 50 % d’espaces verts et de milieux humides.

Un des projets coup de cœur de M. Larue dans le monde est aussi très dense. Il s’agit de The Forestias, un nouveau quartier basé sur les principes de la ville intelligente, en périphérie de Bangkok, en Thaïlande : une miniville dans la ville, construite autour de 48 000 m2 de forêt.

Ce projet regroupe différents types d’habitations et des « complémentarités fonctionnelles » : des parcs, des espaces verts, des commerces, des bureaux, un hôtel, un théâtre…

« Je trouve que ce qu’on fait peu dans les projets immobiliers, au Québec, c’est des complémentarités fonctionnelles, souligne-t-il. On sépare tout le temps les fonctions dans nos villes, alors qu’en Asie, le casino est à proximité du centre des congrès. De l’autre côté, il y a un boardwalk le long de la rivière, près du stade de tennis, du complexe hôtelier et du planétarium. On peut aller à pied d’un endroit à l’autre. »

C’est ce qui l’impressionne dans The Forestias.

« On peut y trouver à peu près tout ce qui amène de la qualité de vie. Il y a de l’intergénérationnel, différentes typologies d’habitats, ce qui fait qu’on a des populations variées avec des âges variés, et tout ça agrémenté de liens piétonniers, d’espaces verts, de parcs, de lieux de loisirs et de commerces, de bureaux partagés, de services médicaux et d’écoles. »

— Michel Larue, urbaniste

Tout ça a un prix : 4,6 milliards. Mais si la Thaïlande, un pays émergent, peut se payer un tel projet, le Québec aussi devrait en être capable. Un projet semblable pourrait-il voir le jour ici ? Michel Larue ne le croit pas.

« On n’a pas les outils législatifs pour faire émerger des projets comme ça avec des ententes publiques et privées faciles, dit-il. Notre approche est assez unidimensionnelle, alors qu’en Asie, en amont, ils vont réfléchir au meilleur des projets possibles par rapport au lieu d’insertion pour les besoins d’aujourd’hui et du futur. »

Il ajoute que Montréal manque aussi un peu d’audace, et pas seulement par rapport à un projet comme The Forestias, mais aussi en comparaison avec Toronto ou Vancouver.

Alain Carle, architecte

Miser sur la qualité de la ville

« Il ne faut pas se faire d’illusions, une grande majorité des Québécois déteste la ville, ce qu’elle représente », constate l’architecte Alain Carle, qui enseigne notamment la discipline à la maîtrise à l’Université de Montréal. « L’hétérogénéité, le désordre, la diversité culturelle… tout ça inspire des craintes pour certains. »

Pour « donner le goût de la ville », à un moment où la densification des milieux de vie devient nécessaire pour limiter l’étalement urbain, il serait donc judicieux de chercher à l’améliorer. Et soutenir ce qui existe déjà plutôt que de faire table rase à coup de projets qui attirent l’attention. « Il y a beaucoup à faire pour corriger, colmater, rafistoler des secteurs de la ville qui sont un peu délabrés », avance-t-il.

Alain Carle évoque le travail de la firme anglaise Henley Halebrown qui s’inscrit « dans cette posture, promouvant une architecture “anti-spectacle” » et dont le travail « fait curieusement écho à notre paysage montréalais ».

Avec les immeubles Taylor, Chatto et Wilmott Court glissés dans un quartier résidentiel construit à Londres au début du XXsiècle, les architectes ont densifié un secteur, pour lui donner un nouvel élan tout en le rattachant au reste de la ville.

« On pourrait s’en inspirer pour les Habitations Jeanne-Mance, un projet de logement social [à l’ouest du Quartier latin] qui a besoin d’être ramené dans la ville, de laquelle il est complètement déconnecté », observe l’architecte.

Cette manière d’intervenir pour bonifier le cadre bâti peut venir au secours d’autres secteurs en manque de dynamisme. Pour revigorer les grandes rues commerçantes de la métropole, par exemple, où les espaces vacants se multiplient. « Les propriétaires ne peuvent pas ajouter des étages, dit Alain Carle. Les revenus manquent pour susciter des investissements. Si on n’augmente pas un peu les densités, ces rues – que les Montréalais fréquentent davantage que les places publiques – vont péricliter au fil des années. »

Parfaire la ville, c’est aussi entretenir les parcs, ajouter des poubelles et investir des secteurs de prime abord peu désirables. Toujours à Londres, la firme Carmody Groarke a ainsi inséré un cinéma – le BFI Southbank – sous un viaduc, donnant vie à un lieu autrefois inhospitalier.

« Dans Griffintown, il y a un carrefour de piliers de voies ferrées, un enchevêtrement d’arcades de béton, c’est un lieu magique, en plein centre d’un nouveau secteur résidentiel. Ça pourrait devenir un cœur de quartier, mais personne ne voit l’occasion d’y faire quelque chose. Les pouvoirs publics n’ont pas ce réflexe-là. »

— Alain Carle, architecte

Bien sûr, ce genre d’améliorations ne donnera pas le goût à quelqu’un « qui aime mieux vivre sur le bord d’une plage » de déménager en milieu urbain, reconnaît Alain Carle, mais la défense de la densification passe par une « qualité de ville » accrue, une intervention à la fois, s’il le faut.

Une manière de faire peu spectaculaire qui n’est pas assez valorisée, croit l’architecte, à l’ère où les projets « wow » font fureur sur les réseaux sociaux. Alain Carle pousse donc ses étudiants à l’adopter. « On les force à développer une vision par rapport à des choses qui sont déjà en place, à trouver des opportunités dans des quartiers, plutôt que d’arriver avec un programme abstrait et prémâché à imposer dans un territoire. »

Kim Pariseau, architecte

Casser le moule

« Le changement est inconfortable », mais ça vaut le coup de « casser le moule », tant en matière de planification urbaine, et de densification, que de conception des unités d’habitation, croit l’architecte Kim Pariseau, fondatrice d’Appareil architecture, lauréate d’un récent prix Rethinking The Future pour un projet de communauté en forêt dans Lanaudière baptisé Beside.

Pour preuve, elle cite le travail du célèbre architecte-urbaniste danois Jan Gehl, qui a contribué à la piétonnisation d’une partie du centre-ville de Copenhague, amorcée dans les années 1960. « Ça a beaucoup choqué à l’époque, rappelle-t-elle. Mais aujourd’hui, c’est un gros avantage. La ville est vraiment plus intéressante : moins de pollution, moins de bruit, des commerces florissants… » L’audace a été payante. Et quantité de villes du monde s’en inspirent, dont New York, où Gehl possède maintenant un bureau.

En matière de densification, Jan Gehl, qui s’est donné la mission de mettre les humains – et pas les voitures – au cœur de la conception des villes, fait aussi la promotion d’idées innovatrices. Parmi elles, le développement de zones d’habitation denses le long d’un réseau de transport collectif, un concept appliqué depuis les années 1940 au Danemark et connu sous son acronyme anglais de TOD (pour Transit Oriented Developpment).

Pour Gehl, rappelle Kim Pariseau, il est primordial de s’assurer que ces milieux de vie soient « attirants, avec des parcs et des écoles facilement accessibles à pied », pas des projets très denses coincés dans des espaces résiduels au milieu d’autoroutes, comme c’est trop souvent le cas au Québec.

Cette approche « linéaire » permet de laisser des secteurs peu ou pas habités entre les zones densifiées. À Copenhague, la ville s’est ainsi développée le long des lignes de train de banlieue, à l’image d’une main avec ses doigts.

« C’est incroyable à quel point il y a des espaces verts proches de la ville là-bas. À Montréal, on développe plutôt de façon circulaire, en couronnes. Il y a très peu d’espaces verts qui entrent dans la ville. »

— Kim Pariseau, architecte

La densification des milieux de vie doit aussi provoquer une réflexion sur la réduction des besoins, croit Kim Pariseau. « On est dans un monde où on en veut toujours plus, et surtout plus que son voisin, dit-elle. Mais ça demande beaucoup d’entretien. »

Or, vivre dans plus petit, dans un milieu dense et bien planifié, c’est perdre moins de temps dans le transport en voiture, avoir une meilleure qualité de vie, faire davantage de rencontres et de découvertes dans le voisinage, et contribuer à la vitalité de sa communauté en fréquentant les commerces, les parcs, etc.

« Avoir moins, au fond, c’est avoir plus », conclut Kim Pariseau.

La même logique s’applique à l’accès à la nature, poursuit l’architecte. « Il y a énormément de demande à l’extérieur de Montréal, constate-t-elle. Souvent, ça privatise des lacs, et on n’a plus accès au territoire… Il faut trouver d’autres systèmes d’accès à la nature. C’est ce que j’ai aimé avec le projet Beside de chalets en location, sur un territoire largement laissé intact. »

En pleine transition écologique, la réduction des besoins a aussi des effets positifs sur la surconsommation et le gaspillage. « Il est nécessaire de se questionner là-dessus, avance Kim Pariseau. La réduction doit être réfléchie, planifiée. »

La nécessaire prise de conscience qui doit mener à la conception de nos habitats de demain passe par l’éducation, croit Kim Pariseau. « Au Danemark, il y a des cours d’architecture et d’urbanisme à l’école primaire, fait-elle remarquer. Ça change la perception des futurs politiciens et promoteurs immobiliers. Malheureusement, on ne fait pas ça ici. La base n’est pas acquise. »

Laurence Vincent, promotrice

Là où l’on se sent bien

Rotterdam, Hambourg, Lyon, Bordeaux, Barcelone, la Scandinavie, mais aussi Washington et New York : Laurence Vincent, présidente du promoteur immobilier Prével, a cherché dans bien des villes des idées pour rendre la densification urbaine « agréable ».

« Il y a des promoteurs qui ne se forcent pas, lance-t-elle, qui souhaitent en faire le moins possible. » Et la densification prend alors des airs de plex entourés de stationnements en banlieue ou de quartiers uniformes qui tournent le dos au reste de la ville.

De l’Europe, Laurence Vincent a retenu le « feeling » des rues.

« Les villes européennes, comme Paris, sont très denses. Barcelone est construite en blocs de 12 étages. Mais on adore ces villes-là, parce que leurs rues sont animées, avec plein de petits commerces. »

— Laurence Vincent, présidente de Prével

De la même façon, si le District Wharf de Washington n’a pas une architecture idéale aux yeux de Mme Vincent, ses promoteurs ont su l’animer grâce à des commerces et à des festivals.

Les espaces publics que les citoyens s’approprient facilement, comme ces parcs bâtis sur le toit d’une gare et un ancien viaduc ferroviaire où familles et amis pique-niquent à Rotterdam, aux Pays-Bas, l’ont aussi inspirée. « C’est tellement plus vivant qu’une place publique lisse et magnifique, mais où les gens ne passent pas beaucoup de temps. »

Ses visites l’ont de plus convaincue de l’importance de diversifier l’architecture au sein d’un projet d’envergure, comme au Maritiem District, toujours à Rotterdam. « Tout n’est pas réussi, mais ce que j’aime beaucoup, c’est que les bâtiments sont tous différents, ça donne l’impression que le quartier a été construit au fil du temps. »

En somme, Laurence Vincent a voulu trouver partout « là où l’on se sent bien », la clé pour une densité qui attire les gens. Elle a souvent voyagé avec les architectes de la firme NOS en vue de la conception d’un projet d’environ 2000 appartements, dont du logement social, en construction à l’est du pont Jacques-Cartier, et qui misera justement sur des volumétries variées, des espaces commerciaux et publics animés, dont un parc de la taille de la place des Festivals.

L’Esplanade Cartier s’inspirera aussi de ce qui fait le charme de certains quartiers de Montréal. Des immeubles qui seront limitrophes des espaces publics du projet ressembleront à des triplex du Plateau Mont-Royal, d’autres compteront des entrées sur rue accessibles par des escaliers en colimaçon, pour favoriser les interactions entre voisins. « Tout est dans le détail, ajoute Mme Vincent. On est aussi dans le connu, ça contribue au bien-être. »

Ces faibles hauteurs vont favoriser l’intégration du projet dans la rue Sainte-Catherine, côté nord. Un peu en retrait, des immeubles plus élevés seront revêtus de brique, comme dans les quartiers industriels de la métropole, « un matériau plus chaleureux que le verre ». Et les tours plus élevées (65 m), toutes d’apparence différente, seront situées au sud, du côté du boulevard René-Lévesque, du port et du fleuve, un secteur plus désaffecté.

Laurence Vincent salue le débat actuel sur la « nécessaire densité en termes de développement durable ». « Il n’y a pas si longtemps, on n’en parlait pas, c’était un mot tabou. » L’enjeu reste toutefois de convaincre les gens de l’adopter. « Si tu n’as jamais vécu en ville, ça peut être difficile d’y croire », constate-t-elle.

D’où l’importance d’attirer à Montréal des premiers acheteurs, qui s’approprieront la ville et qui y trouveront leur bonheur… plutôt que dans une maison unifamiliale de la banlieue éloignée. Or, avec les prix qui grimpent sans cesse, « il faut vraiment se demander comment on peut aider les gens à se bâtir un patrimoine en ville », souligne Laurence Vincent.

Gilles Saucier et André Perrotte, architectes

Possible à Toronto, difficile à Montréal

Un projet de 1500 condos certifié LEED or, qui a redonné vie à une zone sinistrée du centre-ville de Toronto, a été imaginé par des architectes montréalais.

Gilles Saucier et son associé André Perrotte auraient-ils pu faire la même chose à Montréal ?

« Non, pas avec le type de gestion qu’on a ici pour ce qui est de la planification urbaine », répond Gilles Saucier.

Et ce n’est pas seulement pour des questions d’argent.

« Il faut appliquer des règles plus souples qui tiennent compte des caractéristiques particulières des lieux, affirme l’architecte. Sans critère d’exception et sans considération sur l’importance du site, on n’arrive pas à faire des choses comme ça. »

Ce projet appelé River City se démarque par une architecture audacieuse et franchement spectaculaire. Il réussit à faire en sorte qu’une tour de condos n’ait pas l’air d’une tour. Situé à quelques kilomètres à l’est de la tour du CN, il compte 1500 habitations – des lofts, de petits appartements, des appartements terrasses, des maisons en rangée – réparties dans 4 phases, érigées de 2009 à 2021. Les hauteurs varient de 13 à 28 étages.

« C’est tout le contraire de Griffintown, où ce sont les entrepreneurs qui décident de ce qu’ils vont faire », dit Gilles Saucier.

« À Toronto, ils avaient tracé les rues, planté des arbres, créé des parcs, décidé des endroits où il y aurait des commerces, décidé des endroits où il y aurait des services. Ils ont établi une volumétrie générale qu’on n’a pas épousée complètement, mais qu’on a interprétée de façon créative. »

— Gilles Saucier, architecte

Il y a des choses à apprendre de cette expérience, croit M. Saucier. « La planification intense en amont, des comités de surveillance faits par des gens éclairés, qui ont une gouverne sur le projet, et un promoteur qui a une volonté et une vision. »

Avant de gagner ce concours d’architecture international lancé en 2007 par l’organisme paramunicipal Waterfront Toronto, la firme Saucier+Perrotte n’avait jamais fait de condos. Et c’est en partie pour cette raison que sa proposition a été retenue.

« Le client [le promoteur Urban Capital] nous a embauchés parce qu’il voulait de la fraîcheur, explique Gilles Saucier. Il a dit : “Je vous engage, je vous donne carte blanche pour le design de base.” Il y avait un comité de pairs formé d’architectes connus, auquel on montrait le projet de mois en mois. Ils faisaient des commentaires qui étaient toujours positifs. Des citoyens assistaient à ces présentations et pouvaient aussi faire des commentaires. »

Il y a quelque chose qui rend ce projet unique. Il n’a pas été construit dans une vallée verdoyante ou sur un stationnement. Une autoroute passe en plein milieu.

« C’est construit sur un terrain vacant industriel qui était contaminé, près des autoroutes, sur une ancienne zone marécageuse qui ne nous permettait pas de creuser, souligne Gilles Saucier. C’est-à-dire qu’il fallait construire en surface. Il y a des garages, mais ils sont tous hors terre et camouflés par l’ensemble architectural. »

Résultat : « Les gens disent qu’on a changé la façon de faire des condos à Toronto. »

303 millions

Coût du projet immobilier River City réalisé sur une période de 12 ans.

Source : Urban Capital

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