Mon clin d'œil

« Joyeuse laïcité ! »

— François Legault

OPINION

Le Gemini CluB Il y a 50 ans, un premier club social gai à Montréal

En cette soirée du 19 avril 1969, au 1285, boulevard De Maisonneuve Ouest, à l’angle de la rue de la Montagne, le premier club social montréalais pour la communauté 2LGBT+ a ouvert ses portes.

Lors de la somptueuse cérémonie d’ouverture, Paul Bédard, fondateur de l’organisme de droits civils « homophile » Égalité sexuelle internationale anonyme (ESIA), déclarait espérer que le Gemini Club contribuerait à améliorer « la situation critique de l’homosexuel dans la société actuelle ».

La fameuse réforme du Code criminel (la loi omnibus C-150) du gouvernement de Pierre Elliott Trudeau, l’une des mises à jour les plus importantes du droit pénal canadien, entra en vigueur six mois plus tard. Selon la rumeur, Trudeau aurait même écrit à Paul Bédard pour le féliciter à l’occasion de l’adoption de la loi.

Cinquante ans plus tard, le gouvernement de Trudeau fils, premier ministre du mea-culpa, investit encore dans sa réputation progressiste en pleines commémorations du demi-centenaire de 1969. Entre autres, la Monnaie royale canadienne émettra dans quelques semaines des pièces de monnaie célébrant la soi-disant décriminalisation de l’homosexualité de 1969, une révision historique qui ne reflète pas la réalité de l’époque.

Le projet de loi C-150 lui-même était profondément conservateur et ne donnait qu’une exemption étroite aux actes homosexuels lorsqu’ils se pratiquaient en privé, avec un âge de consentement significativement plus élevé que chez les hétérosexuels.

L’homosexualité, la transsexualité et la non-conformité dans le genre étaient jusqu’à tout récemment largement vues comme des maladies ou des échecs moraux personnels.

D’ailleurs, pour faire adopter cette loi, le gouvernement argumentait que la maladie de l’homosexualité était le domaine des psychiatres et des médecins au lieu de la justice pénale. La vie publique homosexuelle suscitait toujours une profonde inquiétude. En reléguant l’homosexualité à la vie privée, la réforme du Code pénal a encouragé cette vision.

Discrimination

Il est difficile de comprendre à quel point la communauté 2LGBT+ montréalaise était victime de discrimination il y a seulement deux générations. En 1968, le SPVM possédait au moins 12 000 dossiers d’homosexuels connus ou présumés. Malgré la prétendue décriminalisation, le nombre de condamnations pour relations sexuelles homosexuelles consenties augmentera jusque dans les années 80, les forces de police et la GRC intensifiant considérablement la surveillance des établissements gais. Difficile même pour les membres du ESIA d’assumer leur propre militantisme dans ce climat.

Dans le Montréal des années 50 et 60, des dizaines de bars fonctionnaient comme lieux de rencontre clandestins pour les minorités sexuelles. Certaines tavernes avaient même un « coin de tapettes » ou « poulailler ».

Dans un entretien approfondi pour le supplément week-end de 39 journaux anglophones du Canada en 1969, Bédard déclarait à la presse que les couples ne se touchaient pas sur sa piste de danse, que les antécédents des nouveaux membres étaient vérifiés et qu’il n’y avait absolument aucun homme vêtu en femme. En réalité, son espace était connu pour son inclusion de genre et scandalisait la presse par la mixité de personnes trans, lesbiennes et gaies. Cette entrevue a été censurée par 14 des 39 journaux.

L’article, intitulé « Leading Canada Homosexual Speaks Out » (Le principal homosexuel canadien prend parole), nous offre un rare aperçu de cet espace mythique : « Le Gemini Club était spacieux et luxueux… la lourde porte intérieure, équipée d’une sonnette et d’un judas, était toujours fermée à clé pour empêcher ceux qui savaient de quel genre d’endroit il s’agissait de regarder les pédés… Les lampes Tiffany brillaient doucement, éclairant les murs de velours rouge derrière le long bar poli où Gerry Beaulieu gagnait son dû en tant que barman. Sur les murs, plusieurs peintures à l’huile de jeunes hommes nus. »

***

À Montréal comme dans la plupart des grandes villes du monde, le déclin du « Gay Ghetto » a fait l’objet de nombreuses chroniques. Chaque hiver, une autre entreprise emblématique ferme définitivement ses portes. Nous nous accrochons de moins en moins à notre village pour nous protéger de l’homophobie. Le besoin est peut-être moins aigu et, parfois, le quartier gai se révèle moins apte à répondre à nos besoins actuels. On se retire dans nos cellulaires, on invite des gens chez nous au lieu de sortir.

Le 24 mai 1969, cinq semaines après son ouverture, le Gemini fermait, remplacé par un restaurant.

Les émeutes du bar Stonewall Inn à New York étaient déclenchées un mois plus tard, catalysant le mouvement pour les droits des minorités sexuelles à l’échelle internationale. Alors qu’Égalité sexuelle internationale anonyme était active depuis au moins deux ans, en 1969, Paul Bédard apparaissait pour la dernière fois dans les médias pour la lutte pour la libération de la communauté gaie. « La solitude est personnelle, mais aussi politique, rappelle Olivia Laing dans sa monographie sur le XXe siècle new-yorkais. La recherche du bonheur individuel ne trompe ni n’excuse nos obligations les unes envers les autres. »

Paul et moi partageons une conviction : la piste de danse peut être le lieu de libération le plus important. L’autre soir, j’ai fait un tour en vélo au 1285, boulevard De Maisonneuve Ouest. On y trouve maintenant un immeuble de condos, un magasin de stylos de luxe, une succursale d’une chaîne de café et un dépanneur. J’y ai pris un café pas cher sur les marches, seul avec les esprits anonymes de mon peuple.

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