Encore une fois…

Permettez que je lance une note discordante dans le concert d’éloges qui a accueilli la nomination de Mary Simon au poste de gouverneure générale du Canada ?

Très bien, merci…

Elle ne parle pas français.

Ce n’est pas un reproche personnel. Mme Simon s’est défendue en disant avoir été scolarisée (de force, comme Inuite) en anglais seulement. Fort bien. Comme je le dis, mon reproche n’est pas personnel, il est institutionnel.

En fait, on me permettra un minuscule reproche personnel, qui touche à l’explication de Mme Simon : oui, elle a été scolarisée en anglais, bien sûr, elle n’a pas choisi cela. Mais il y a quand même des décennies entre la fin de sa scolarisation et sa nomination comme GG où elle n’a pas cru utile – ou eu besoin – d’apprendre le français.

Ce ne sont que quelques décennies, je sais bien…

Suis-je censé applaudir maintenant que Mme Simon promet d’apprendre le français, à 73 ans ?

La nomination de Mme Simon a été saluée au nom de la réconciliation avec les Premières Nations, les Inuits et les Métis. J’en suis. C’est un puissant symbole, il ne faut pas le nier. Même s’il faut quand même respirer un peu par le nez : le poste de GG demeure hautement décoratif, qu’importe qui l’occupe.

Mme Simon ne parle pas français, une des deux langues officielles de ce pays. Ce n’est pas une insulte de le souligner, c’est un fait. Pour les francophones du Canada, c’est un recul de plus ; un recul symbolique, soit, mais un symbole qui confirme la réalité. Il n’y a aucune raison de passer ce fait sous silence sous prétexte de ne pas cracher dans la soupe.

Mary Simon est bilingue. Elle parle inuktitut et anglais. Le français et l’anglais, nous ont rappelé certaines voix, sont des langues coloniales, qu’elle ne parle pas français n’est donc pas si grave. Sauf que le français a toujours été la langue asservie à l’anglais, dans ce pays, et c’est encore vrai en 2021. On croira que ça a changé le jour où une Innue bilingue de la Côte-Nord – parlant innu-aimun et français – sera nommée GG, sans maîtrise de l’anglais…

Ça n’arrivera pas.

Comme un juge unilingue francophone baragouinant à peine l’anglais ne sera jamais nommé à la Cour suprême de ce pays : le seul fait de penser exiger le bilinguisme anglais-français pour les juges de la Cour suprême suscite déjà mille récriminations !

Tout comme une unilingue francophone nommée au Cabinet fédéral sera toujours l’exception exceptionnelle. Mais un unilingue anglophone qui peine à lire le français à partir de ses notes en phonétique, lui, pourra toujours être nommé à la tête de n’importe quel ministère, it is to be expected…

Le bilinguisme anglais-français dans ce pays qui a inscrit le bilinguisme officiel dans sa mythologie moderne, c’est encore et surtout l’affaire des francophones. On peut très bien prospérer en anglais seulement, au Canada. On peut même être députée libérale fédérale du Québec et mépriser la place du français dans ce pays, comme l’a superbement fait Emmanuella Lambropoulos, proud MP for the riding of Saint-Laurent, in Montreal.

On peut, au Parti libéral du Canada, choisir une chanson de campagne tout à fait incompréhensible dans sa version française (On lève une main hauuuuuuu-teeeeee pour demaiiiiin) et le PM va la relayer sur ses réseaux sociaux…

Dans ce pays, on peut même chanter l’hymne national en anglais seulement avant des matchs de la LNH à Vancouver, Edmonton, Calgary et Toronto et il n’y aura jamais le moindre haut cri. Strong and Free !

On peut être sous-ministre à Ottawa et ne pas comprendre le français, ce n’est pas une nouvelle. Trouvez-moi l’équivalent, un sous-ministre qui ne comprend pas l’anglais…

Les francophones du Canada, hors Québec, peuvent s’assimiler à vitesse grand V et ce ne sera jamais un enjeu suscitant l’ire du commentariat canadien-anglais. Idem quand des francophones de l’Ouest doivent encore se battre en cour pour être dignement scolarisés dans leur langue : silence radio. Mais la bourde d’un inspecteur trop zélé de l’Office québécois de la langue française va provoquer des crises du bacon d’un océan à l’autre dans le commentariat anglo, chez des chroniqueurs incapables de lire La Presse dans le texte.

La gouverneure générale Mary Simon va donc lire le discours du Trône, où les ambitions du gouvernement sont énumérées. Ce n’est pas un détail. Les francophones du Canada devront se contenter de la traduction de l’interprète… ou alors de la version phonétique livrée par une GG qui ne comprendra pas ce qu’elle lit. Who cares ?

On m’opposera que les Premières Nations, les Inuits et les Métis ont subi plus que leur part d’ignominie dans l’Histoire de ce pays. Bien sûr. On m’opposera qu’ils ont plus souffert que les francophones. Bien sûr, encore…

Question rhétorique : est-ce une compétition ?

Deuxième question, pas si rhétorique : ceux qui ont été « moins » effacés n’ont-ils soudainement plus voix au chapitre ?

C’est ce qu’on pourrait croire à lire certains esprits fins qui ont méprisé le bémol linguistique timidement soulevé cette semaine. How dare you ! Le français est l’ancrage culturel distinctif de millions de Canadiens, like it or not…

Alors, on peut très bien se réjouir qu’une institution colonialiste comme le poste de GG soit investie par une Inuite et déplorer qu’on ait choisi une personne qui ne parle pas français. Two things can be true. C’est mon cas.

On ne me fera pas croire que chez les Premières Nations, les Inuits et les Métis de ce pays, il n’y avait pas un homme ou une femme qui était trilingue, qui parlait à la fois la langue de son peuple ainsi que l’anglais et le français…

Non, on a choisi la personne qui ne parle pas français, ce critère-là, la maîtrise du français, a été jugé superflu.

Again.

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