Covid-19 Vaccination

Dans l’espoir de vacciner plus rapidement un demi-million de personnes vulnérables, Québec prolonge le délai permis avant d’administrer la deuxième dose du vaccin. Pendant ce temps, des employés du système de santé refusent toujours l’injection, alors que d’autres préfèrent attendre.

Vaccination

Jusqu’à 90 jours pour la deuxième dose

Québec souhaite donner un premier coup de barre en vaccinant « le plus de personnes vulnérables possible »

Québec et Ottawa — Québec prolonge jusqu’à 90 jours le délai permis entre l’administration de la première et de la seconde dose du vaccin contre la COVID-19, malgré la recommandation des experts fédéraux de ne pas dépasser 42 jours. Un choix « stratégique » qui permettra de vacciner plus rapidement un demi-million de Québécois vulnérables, estime-t-on.

Les autorités québécoises de santé publique emboîtent le pas au Royaume-Uni en décidant d’administrer la deuxième dose du vaccin Pfizer-BioNTech ainsi que celui de Moderna de 42 à 90 jours après la première. La situation épidémiologique et « le très peu de vaccins » disponibles ne sont pas étrangers au choix de Québec.

« Notre stratégie est claire : on vise à vacciner le plus de personnes vulnérables possible pour réduire la pression sur notre système de soin et sauver des vies », a fait valoir jeudi le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé.

Selon les estimations du gouvernement Legault, appuyé par la Santé publique, cette prolongation offre plus de gains que d’inconvénients. On pourra amorcer dès le 25 janvier la vaccination des usagers des résidences pour personnes âgées (RPA) et celle des personnes « à haut risque » comme les 70 ans et plus.

« On a calculé que ça nous permettrait de devancer […] la vaccination de 500 000 personnes », a expliqué le conseiller médical stratégique à la Direction générale de santé publique, le DRichard Massé. « L’impact est très important, et gagner quelques semaines, c’est gagner sur les cas, la transmission, les hospitalisations, les décès. C’est un gain important », a-t-il ajouté.

Le Québec a administré mercredi 8339 doses de vaccins, soit en tout 115 704 depuis la mi-décembre. Ainsi, 1,3 % de la population a reçu une première dose. Près de 65 % des résidants en CHSLD ont reçu une première dose, soit 25 799 sur environ 40 000 résidants ; 85 167 membres du personnel soignant ont été vaccinés.

Aux provinces de décider

À Ottawa, l’administrateur en chef adjoint de l’Agence de la santé publique du Canada (ASPC), le DHoward Njoo, a insisté jeudi en conférence de presse sur le fait qu’il revenait aux provinces et aux territoires de statuer sur l’enjeu des intervalles entre les deux doses requises pour ces deux vaccins.

Mardi, le Comité consultatif national de l’immunisation (CCNI) s’est rangé à l’avis actuel de l’Organisation mondiale de la santé en recommandant un délai de 42 jours entre les deux doses.

« Après 42 jours, on ne sait pas, on n’a pas de données », s’est borné à dire le DNoo, interrogé sur la décision de Québec. Si le gouvernement du Québec opte pour un délai plus long, il sera « très important de recueillir les données pour évaluer vraiment l’efficacité de [ce] programme », a-t-il souligné.

« Ce n’est pas à moi d’être d’accord ou en désaccord avec les provinces et les territoires. […] Sur le terrain, la situation épidémiologique est différente dans chaque province, et je pense qu’au Québec, ils ont d’autres [facteurs à prendre de compte], et c’est à eux de prendre la décision. »

— Le Dr Howard Njoo, administrateur en chef adjoint de l’Agence de la santé publique du Canada

La présidente du CCNI, la Dre Caroline Quach, abonde dans le même sens. « Québec a le droit de choisir. Il devra cependant colliger les données épidémiologiques », a-t-elle indiqué à La Presse.

Dans une déclaration, le Conseil des médecins hygiénistes en chef affirme que la « souplesse offerte par l’étirement raisonnable de l’intervalle entre les doses jusqu’à concurrence de 42 jours » vient « appuyer notre objectif de santé publique qui consiste à protéger les groupes à risque élevé le plus rapidement possible ».

De son côté, Pfizer – que Québec a informée de sa stratégie – explique « qu’il incombe aux autorités sanitaires de formuler des recommandations sur d’autres intervalles posologiques, y compris par l’adaptation des recommandations en matière de santé publique, pour répondre aux circonstances changeantes de la pandémie ».

« On va s’ajuster »

Le DMassé assure que Québec « suivra de près » l’efficacité de la première dose au-delà de 42 jours. « Les données montrent que le vaccin est encore très efficace à 42 jours. Il n’y a pas de données scientifiques pour la période qui suit. Ceci dit, on travaille avec plusieurs vaccins depuis longtemps, et l’immunité, ce n’est pas quelque chose qui s’arrête comme s’il y avait un mur », illustre-t-il.

« C’est ce qu’on va monitorer, et pas seulement nous, parce que la question se pose aux États-Unis, en Europe… Tout le monde se pose la même question », dit-il, assurant qu’il s’agit d’une décision « réfléchie » du Comité sur l’immunisation du Québec. « Les experts nous disent que c’est la bonne chose à faire », ajoute le DMassé.

S’il était démontré qu’un sous-groupe d’individus est moins bien protégé par la première dose, Québec s’ajustera pour administrer la seconde dose plus vite, a-t-on aussi expliqué.

Par ailleurs, plus le Québec recevra de doses, plus il pourra réduire le délai entre les deux doses.

On s’attend à lancer l’administration de la deuxième dose à la mi-mars, alors que plus de 300 000 doses de vaccins sont attendues au Québec. Les vaccins de Pfizer-BioNTech et de Moderna offrent une protection partielle (autour de 90 %) dès le 14e jour suivant la première dose. La seconde permet d’atteindre une efficacité de 95 % et une protection plus longue.

Pfizer recommande un intervalle de 21 jours entre les deux doses, alors que pour le vaccin de Moderna, on prescrit un délai de 28 jours.

Pas de passeport vaccination

Toujours au sujet de la vaccination, le premier ministre Justin Trudeau a signalé dans une entrevue accordée à l’agence Reuters qu’il n’était pas du tout tenté par l’idée d’imposer un passeport de vaccination visant à confirmer qu’une personne a reçu ses injections contre la COVID-19. « Il semble que la vaste majorité des Canadiens veulent se faire vacciner, ce qui nous place dans une situation favorable sans qu’on doive adopter des mesures plus extrêmes qui pourraient avoir comme conséquence de réellement diviser les communautés et le pays », a-t-il fait valoir dans cet entretien virtuel.

— Mélanie Marquis, La Presse

Vaccination

Des travailleurs de la santé réticents FACE AU VACCIN

Ils sont au front, mais refusent l’injection. Certains travailleurs de la santé demeurent réticents à se faire vacciner pour des raisons éthiques ou religieuses, alors que d’autres préfèrent attendre par crainte d’effets secondaires. Le CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal travaille d’ailleurs sur des stratégies de communication de proximité pour joindre ces groupes et faire la promotion du vaccin.

« Le vaccin ? Non… je vais attendre. C’est trop tôt », chuchote Émilie Renaudin, d’une voix à la fois timide et craintive. L’employée du CHSLD Notre-Dame-de-la-Merci est sceptique et s’inquiète toujours de potentiels effets secondaires.

Théo Lagis, préposé aux bénéficiaires dans le même établissement, partage l’incrédulité de sa consœur. Le vaccin n’est pas plus efficace que les masques N95 ou le lavage des mains, pense-t-il. « Je pense comme ça pour tous les vaccins. Je n’ai jamais reçu le vaccin contre la grippe », dit-il en haussant les épaules.

La majorité des résidants en CHSLD ont accueilli le vaccin à bras ouverts, mais une hésitation persiste chez certains employés, a rappelé mercredi en point de presse la PDG du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, Sonia Bélanger. « [Selon] les CHSLD, ça peut varier entre 40 % et 65-70 % d’adhésion. »

« Je ne refuse pas de me faire vacciner. Je décide simplement d’attendre, car c’est nouveau, ça s’est fait rapidement. Certaines personnes se méfient des vaccins et ont certaines croyances, mais pas moi. Je choisis de patienter pour être certaine qu’il n’y a aucun effet secondaire. »

— Claire Sanon, agente administrative au CHSLD Jeanne-Leber, dans l’est de Montréal

De la réticence pour certains, un immense soulagement pour d’autres. Julie Fontaine et Élisabeth Couture, infirmières à l’hôpital du Sacré-Cœur, papotaient devant l’établissement. Un service de navette les a conduites à la clinique de vaccination juste à temps pour leur rendez-vous à 11 h 30.

« On ne voit pas beaucoup de gens qui refusent le vaccin parmi nos collègues. Il y a même une certaine fierté à se faire vacciner et à l’afficher très publiquement. On voit plein de publications passer sur les réseaux sociaux », explique Mme Fontaine. La situation est critique et le délestage sévit dans plusieurs centres hospitaliers. Alors pas question de refuser la dose.

Toute jeune, Makhissa Youla se méfiait déjà des vaccins, confie-t-elle, un peu gênée. Pourtant, la préposée aux bénéficiaires se tenait bien droite devant le Centre d’hébergement de Saint-Henri à Montréal, pour recevoir sa première dose. « J’ai peur de la réaction allergique, de la nouveauté. » Il y a aussi, admet-elle, l’impression d’être un cobaye.

« La raison [pour laquelle] je suis là quand même, c’est qu’on est en crise. Est-ce que je peux vraiment me permettre d’avoir peur ? Je pourrais tomber gravement malade et infecter ceux que je soigne… Je suis quand même nerveuse aujourd’hui. »

« Effet d’entraînement »

La méfiance envers la vaccination n’est pas un phénomène répandu chez le personnel médical à Laval, explique Marjolaine Aubé, présidente du Syndicat des travailleuses et des travailleurs du CISSS de Laval-CSN.

« Au début, il y avait une réticence visible. Maintenant, on parle plutôt d’un effet d’entraînement. »

Beaucoup sont désormais convaincus par d’autres collègues que les vaccins sont sécuritaires.

« La minorité des gens qui refusent toujours les doses invoque surtout des raisons culturelles ou religieuses, mais certains sont aussi méfiants à l’endroit des vaccins en général. Peu importe la communauté, on retrouve des gens qui préfèrent s’abstenir. »

— Marjolaine Aubé, présidente du Syndicat des travailleuses et des travailleurs du CISSS de Laval-CSN

La campagne de vaccination des travailleurs se déroule rondement, selon elle. « Nous avons récemment réussi à convaincre l’employeur qu’il fallait inclure les travailleurs présents aux urgences dans les groupes prioritaires, car c’est par là que le virus entre. »

Les messages transmis dans les campagnes provinciales de santé publique ne réussissent pas à joindre aussi bien certaines communautés, notamment parce qu’elles ne consomment pas les grands médias et n’ont pas les mêmes références au niveau culturelles, constate le CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal.

« Nous avons effectivement constaté qu’une proportion d’employés issus de l’immigration préférait attendre pour se faire vacciner. Lorsqu’on leur a demandé pourquoi, les raisons invoquées par ces employés étaient multiples, mais s’apparentaient à celles invoquées dans la population en générale. Il est donc difficile de tirer des conclusions », détaille Christian Merciari, conseiller en communications.

Le CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal a d’ailleurs fait parvenir un sondage à la Maison d’Haïti, pour connaître les raisons de la possible réticence des différentes communautés au vaccin, explique la directrice de l’organisation Marjorie Villefranche. On espère ainsi désigner des porte-parole pour communiquer adéquatement l’information sur la vaccination. « Plusieurs personnes au front sont issues des communautés haïtienne ou maghrébines. Je ne crois pas qu’il y ait un lien entre le refus de se faire vacciner et l’appartenance à une communauté. Il y a ce phénomène partout et surtout beaucoup de désinformation. Il faut plus de communication. »

En attente des prochaines doses

Quel est le pourcentage de travailleurs de la santé vaccinés jusqu’à présent ?

Pour le CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, en date du 13 janvier, seuls 20,6 % de l’ensemble de ses employés de la santé – y compris les médecins et les employés qui ne sont pas encore admissibles – étaient vaccinés.

Notons que 47,4 % des 900 médecins du territoire du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal sont déjà vaccinés.

« Il est important de comprendre que les personnes non vaccinées n’ont pas refusé, elles sont seulement en attente des prochaines doses disponibles. »

— Annie Dufour, des relations médias du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île- de-Montréal

Sur 7507 personnes vaccinées dans l’est de Montréal, 4414 sont des travailleurs de la santé, selon le CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal. Ces données incluent la vaccination des partenaires comme Urgences-santé, l’Institut Philippe-Pinel, les CHSLD privés et l’Institut de cardiologie de Montréal.

Parmi les employés du CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal qui totalise plus de 17 500 salariés, 2694 sont vaccinés.

« La vaccination n’est actuellement offerte qu’aux employés de secteurs spécifiques. Le pourcentage de nos employés vaccinés ne refléterait donc pas l’[adhésion] à la vaccination chez nos employés puisqu’il est influencé par le nombre de vaccins disponibles », explique Catherine Dion, responsable des communications.

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