Déflagration au Parlement européen

Arrestations, sacs de billets, stupeur… l’Union européenne est touchée par un important scandale de corruption qui semble une fois de plus impliquer le Qatar.

« Choquant », « intolérable », « incroyable ». Les mots ne manquent pas pour qualifier le mégascandale de corruption qui frappe actuellement le Parlement européen.

Dimanche, l’eurodéputée grecque Eva Kaili a été écrouée à Bruxelles, dans le cadre d’une enquête belge visant d’importants versements d’argent pour influencer la politique européenne « au profit d’un État du Golfe ». Les médias locaux ont identifié le pays en question comme étant le Qatar, qui accueille en ce moment la Coupe du monde de soccer.

Que Mme Kaili fasse partie des 14 vice-présidents du Parlement européen rend l’affaire encore plus spectaculaire. D’ailleurs, les réactions allaient de la stupeur à l’incrédulité, lundi, chez les représentants de l’Union européenne (UE).

Mais elle n’est pas la seule à avoir été interpellée. Trois autres personnes sont aussi sous les verrous pour « corruption », « blanchiment d’argent » et « appartenance à une organisation criminelle », dont Francesco Giorgi, assistant parlementaire et conjoint de Mme Kaili, et deux dirigeants d’ONG. Tous sont associés au groupe S&D (sociodémocrate), qui réunit plusieurs partis de gauche au Parlement européen.

Les suspects avaient été placés en garde à vue vendredi soir, au terme de 16 perquisitions effectuées par la police belge, qui ont permis de saisir « plusieurs centaines de milliers d’euros » en billets chez Mme Kaili, M. Panzeri et dans un sac que transportait le père de Mme Kaili, interpellé à la sortie d’un hôtel. L’élue n’a pas pu bénéficier de son immunité parlementaire, car l’infraction qui lui est reprochée a été constatée « en flagrant délit », a expliqué une source judiciaire à l’Agence France-Presse.

L’ancienne présentatrice télé de 44 ans a cependant été suspendue de ses fonctions et exclue du Parti socialiste grec, Pasok-Kinal, dont elle était une membre controversée, en raison de ses ambivalences idéologiques.

« Au niveau européen, tout cela est énorme », résume l’historien Laurent Wartouzet, spécialiste de l’UE.

Encore le Qatar

Doha a fermement démenti son implication dans l’affaire. « Toute allégation de mauvaise conduite de la part de l’État du Qatar relève d’informations gravement erronées », a affirmé samedi un responsable du gouvernement qatari.

Mais les soupçons pèsent sur le petit pays du Golfe, qui tente toujours de défendre sa réputation, après avoir été vivement critiqué en matière de droits de la personne et des travailleurs. Alors que des négociations sont en cours avec l’UE concernant l’achat de gaz naturel et la levée du visa obligatoire en Europe pour ses ressortissants, il est crucial pour le Qatar de réhabiliter son image. Et tout semble indiquer qu’Eva Kaili a joué un rôle en ce sens.

Le 22 novembre, quelques semaines après une visite au Qatar, la députée grecque déclare à la tribune du Parlement européen que l’émirat « est un chef de file en matière de droits du travail ».

Deux jours plus tard, alors que le Parlement veut adopter une résolution « déplorant la mort de milliers de travailleurs migrants au Qatar » (lors de la construction des stades pour le Mondial), elle mène d’autres membres de son groupe parlementaire à voter contre le principe même de son adoption. Début décembre, enfin, elle s’invite à une commission dont elle n’est pas officiellement membre, afin de voter en faveur de la libéralisation des visas pour les Qataris.

Les investigations doivent encore se poursuivre. Du matériel informatique et des téléphones ont été saisis lors des perquisitions et doivent être analysés par les enquêteurs. Mais pour Denis Saint-Martin, professeur dans le domaine des politiques publiques à l’Université de Montréal et expert en corruption, il ne fait aucun doute qu’il s’agit d’un chapitre de plus dans la saga entourant l’attribution de la Coupe du monde au Qatar.

« On s’est aperçu qu’il y avait eu beaucoup de corruption dans cette histoire. La justice américaine a porté des accusations. La justice française a ouvert une enquête sur l’ancien président Nicolas Sarkozy. Le cas qui concerne Mme Kaili est le dernier maillon d’une chaîne d’évènements qui commence en 2010 », résume-t-il.

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Des mécanismes, mais…

Ce n’est pas la première fois qu’un scandale touche le cœur des institutions européennes.

En 1999, la commissaire française Édith Cresson avait été accusée pour des emplois fictifs, l’affaire avait mené à la création de l’Office européen antifraude.

En 2011, le Parlement avait été secoué par un autre scandale quand trois eurodéputés avaient accepté de déposer des amendements sur des projets de loi européens, en particulier dans le secteur bancaire, en échange de rémunération.

Mais l’Union européenne demeure limitée dans ses efforts anticorruption. « Les procédures existent, explique Laurent Wartouzet, le problème est que l’UE n’est pas un État. Les procédures sont lentes et les pouvoirs d’enquête sont relativement faibles. »

Coïncidence ? Les perquisitions du 9 décembre ont eu lieu lors de la Journée internationale anticorruption, désignée par l’ONU et reconnue par le Parlement européen.

– Avec l’Agence France-Presse

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