SPVM

Un « biais systémique » contre les Noirs et les Arabes

Les Noirs et les Arabes sont interpellés de façon « disproportionnée » par la police à Montréal, et cette surreprésentation ne se justifie pas par leur contribution aux crimes et aux incivilités, révèle un rapport commandé par le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM). Le chef de police a promis d’agir, mais le défi est grand et les chercheurs n’ont pas de recette magique pour y faire face. Explications.

Quatre fois plus

Trois chercheurs universitaires indépendants ont analysé les banques de données du SPVM entre 2014 et 2017. Ils ont constaté qu’au prorata de la population, les Noirs risquent quatre fois plus d’être interpellés par la police que les Blancs. Pour les Arabes, c’est deux fois plus. « Les interpellations auprès de personnes arabes et noires sont disproportionnées, autant en tenant compte de leur poids démographique dans la population de Montréal qu’en considérant leur “contribution” relative aux infractions aux règlements municipaux et aux infractions criminelles », notent les chercheurs. Ceux-ci refusent d’utiliser l’expression « profilage racial » en raison d’un manque de données sur les motifs des interpellations, mais constatent un « biais systémique très apparent » dans les données.

Interpellations plutôt qu’arrestations

Les universitaires se sont concentrés sur les interpellations enregistrées, soit des interventions au cours desquelles les policiers demandent à une personne de s’identifier et prennent ses informations personnelles en note, sans que l’interaction se solde par une amende ou une arrestation. Alors qu’en principe, une arrestation est toujours justifiée par le fait qu’une infraction a été commise, le motif est « plus flou » pour une interpellation, notent les chercheurs. L’interpellation peut être justifiée, mais elle est davantage basée sur le jugement du policier et constitue donc un sujet d’étude parlant.

Pas proportionnel aux crimes

Ce qui différencie le rapport dévoilé hier des études précédentes, c’est la comparaison entre le nombre d’interpellations pour chaque catégorie de la population et les crimes ou infractions aux règlements municipaux qui lui sont vraiment attribués dans les statistiques. Le rapport révèle que pour chaque personne noire arrêtée pour un crime, il y a eu 1,14 personne noire interpellée sans sanction. Alors que pour chaque Blanc arrêté pour un crime, il y a eu 0,69 Blanc interpellé sans sanction. Les chercheurs soulignent donc qu’à Montréal, le nombre d’interpellations pour chaque catégorie de la population n’est pas proportionnel aux crimes qui lui sont attribués.

La particularité autochtone

« Le cas des autochtones est singulier », notent les chercheurs. Ils sont interpellés à une fréquence beaucoup plus élevée que les Blancs (trois fois plus pour les hommes et un étourdissant onze fois plus pour les femmes). Mais il s’agit de la seule catégorie de la population à être plus souvent sanctionnée pour des infractions aux règlements municipaux qu’interpellée sans sanction. Les chercheurs constatent qu’il s’agit d’une « toute petite population » qui reçoit une attention disproportionnée, en raison de facteurs qui ne faisaient pas partie de l’étude.

Le chef « très préoccupé »

Le chef du SPVM, Sylvain Caron, s’est dit « très préoccupé » par les résultats qu’il « accepte avec humilité ». Il a promis des actions concrètes pour y répondre. « Clairement, on a du travail à faire », reconnaît-il, soulignant que les causes et les solutions ne sont pas toujours évidentes. « C’est un enjeu complexe, c’est un enjeu de société, je ne suis pas en mesure de vous dire que les résultats qu’on a aujourd’hui nous permettent de comprendre l’ensemble du phénomène », dit-il. Il croit que des enjeux d’organisation du travail sont en cause plutôt que les valeurs individuelles des policiers. « On n’a pas de policiers racistes. On a des policiers qui sont des citoyens et qui ont des biais, comme tous les citoyens peuvent en avoir », assure-t-il. La mairesse Valérie Plante a jugé le rapport « choquant ». « Ces données ne représentent en rien la ville que l’on veut », a-t-elle déclaré, exigeant des actions immédiates du SPVM.

La crainte du désengagement

Le chef Sylvain Caron a entamé une tournée des différentes unités du SPVM hier pour rencontrer les policiers. « Vous avez un travail à faire, continuez à le faire », a-t-il dit en faisant valoir que la direction allait trouver des solutions pour faire face au problème, selon ce qu’ont confié des sources à La Presse. La grande crainte de la direction est que les policiers se désengagent de certains quartiers et cessent de faire certaines interpellations nécessaires, par crainte d’être accusés d’avoir un biais racial. Le phénomène, étudié dans plusieurs grandes villes après des scandales de profilage racial, est appelé « under-policing ». « C’est un grand risque », a reconnu M. Caron. En Ontario, un rapport officiel a souligné l’an dernier que l’instauration de règles restrictives destinées à combattre les disparités a mené à une baisse radicale des interpellations, qui ont pratiquement disparu dans certains secteurs. Pour Montréal, le rapport publié hier suggère des pistes de solution comme l’élaboration d’une politique pour guider les interpellations et la collecte de données additionnelles pour documenter le phénomène.

« Moins une priorité »

Président de la table ronde du Mois de l’histoire des Noirs et directeur d’une maison des jeunes dans le quartier Petite-Bourgogne, Michael Farkas dit entretenir de bonnes relations avec la direction du poste de quartier 15, mais croit que des « groupuscules » au sein de la police risquent de « tout défaire » en manquant de respect dans leurs interventions auprès de certaines communautés. Il croit que l’enjeu a été négligé récemment. « C’est moins une priorité depuis quatre ou cinq ans. La police a eu beaucoup de problèmes internes, il y avait beaucoup de changements, il fallait toujours trouver un nouveau directeur, puis un autre, puis un autre. Ils se sont éloignés des communautés culturelles », dit-il. Il espère que, de part et d’autre, les gens seront capables de maintenir le dialogue. « La police, il y en aura tout le temps. Des jeunes, il y en aura tout le temps. Ce n’est pas en fermant la porte qu’on va arriver à quelque chose », conclut-il.

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