Pour un Conseil national d’aménagement

Les effets de la crise climatique commandent des changements importants en matière d’aménagement du territoire. Parmi les transformations inévitables, certaines seront plus difficiles que d’autres à réaliser. Nos habitudes de déplacements, nos aspirations d’hébergement, notre mode de vie se trouvent dans la ligne de mire des actions prioritaires de changements à entreprendre.

Dans ce contexte, le gouvernement du Québec publiait, en juin dernier, une Politique d’architecture et d’aménagement du territoire. Ce document majeur sur l’importance de notre territoire, ses richesses et sa fragilité s’intéresse à l’aménagement, jette un nouveau regard sur notre patrimoine bâti et à bâtir, propose d’actualiser nos modèles urbains et ruraux, aspire à réduire l’étalement urbain et l’utilisation de l’auto, etc. Bref, un grand chantier de transformation de l’aménagement de nos espaces s’amorce maintenant.

Le document identifie de nombreuses cibles. Pour les atteindre, il faudra dégager des moyens et des ressources. Cela commence par un Plan de mise en œuvre annoncé pour ce printemps. Les enjeux sont multiples : le financement du transport collectif, l’offre accrue de logements en conjonction avec la création de quartiers de proximité, une fiscalité adaptée aux objectifs à atteindre, la qualité des constructions, la requalification foncière, la conservation et la requalification du patrimoine bâti, la mise à niveau et l’extension des infrastructures dans les secteurs urbanisés, etc.

Essentiellement, la mise en œuvre de cette politique aura des effets importants sur nos habitudes et nos aspirations, bien ancrées.

Nos dirigeants demanderont aux citoyens de revoir leur mode de vie, et les citoyens pourraient, à bon droit, demander à leurs gouvernants de revoir leur mode de gestion. Nous allons mutuellement nous inviter au changement.

Nous devrons tendre vers une adhésion collective. En ce sens, l’orientation gouvernementale ne peut être punitive. Une approche pédagogique, incitative et collaborative devrait être privilégiée.

Une obligation d’exemplarité devrait habiter nos décideurs. Cela pourrait impliquer de nous assurer de la cohérence des décisions par rapport aux orientations gouvernementales en matière d’aménagement. Lorsque les ministères décideront d’implanter une école ou un hôpital, ils devraient prendre en compte l’ensemble de ces orientations, de manière, notamment, à consolider les périmètres urbains existants, à limiter les besoins de déplacement en voiture, à assurer le déploiement de réseaux de déplacement actif cohérents et sécuritaires, à offrir des options de mobilité durable et à mettre en valeur le patrimoine architectural et paysager.

Cette cohérence devrait se concrétiser aux ordres de gouvernement régional et local. On ne pourra réduire l’étalement urbain que si cet objectif est totalement intégré par tous les ordres décisionnels ; du national jusqu’aux arrondissements.

Considérant les ressources humaines limitées dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre, il ne serait pas réaliste d’amorcer ces changements sans développer une nouvelle approche politique et administrative. Il importe d’adopter une nouvelle façon de gérer avec moins de « chasses gardées » et plus de collaboration. Nous suggérons d’instaurer diverses formes de mutualisation de l’expertise au gouvernement, au régional comme au local.

De plus, pour réussir à mobiliser tous les acteurs, il faudrait que les objectifs poursuivis soient clairs et soutenus par la science, et qu’un suivi continu de l’atteinte des cibles soit réalisé et communiqué à la population.

Les citoyens sont aux premières loges du changement; une voix doit leur être offerte pour qu’ils puissent interpeller les décideurs.

On le voit, il y a là de nombreux défis : exemplarité, cohérence, compétence, collaboration, science, voix citoyenne. Les instances politiques et administratives devront se donner des outils pour les relever. À notre avis, compte tenu de la multitude des défis et du nombre d’acteurs concernés, une instance transversale s’impose.

Nous suggérons la création d’un Conseil national de l’aménagement sous la responsabilité de l’Assemblée nationale.

Ce Conseil devrait avoir les fonctions suivantes :

  • se prononcer sur la validité des règlements en fonction de leur cohérence avec les orientations gouvernementales ;
  • solliciter les suggestions d’organismes, de groupes intéressés et du public, et donner des avis et faire des recommandations sur demande ou de sa propre initiative sur toute question relative à la politique d’architecture et d’aménagement du territoire ;
  • effectuer ou faire effectuer les études et les recherches qu’il juge utiles ou nécessaires à l’exercice de sa mission ;
  • suivre l’évolution de la situation, l’atteinte des cibles et en faire rapport publiquement annuellement.

Le Conseil aurait pour mandat d’assurer un suivi rigoureux comme le fait le Vérificateur général. En s’inspirant du mandat du Protecteur du citoyen, cette instance pourrait recevoir les avis des citoyens.

On devrait aussi lui accorder des pouvoirs lui permettant une intervention rapide auprès des différentes administrations concernées. Comme pour le Comité consultatif sur les changements climatiques, on y retrouverait un lieu de science pour présider à l’identification des objectifs, des cibles et des moyens.

Il va sans dire que les ministères et les différents services aux niveaux régional et local devront adopter de nouveaux outils, de nouvelles façons de faire : on pense aux orientations d’aménagement du territoire, aux modèles de zonage et de densité à privilégier, au financement du transport collectif, de l’habitation inclusive, de la requalification foncière, de la conservation du patrimoine et de l’aménagement urbain et paysager, à la gestion du « pas dans ma cour », etc. Ces nouveaux moyens particuliers à chaque instance s’inscriront dans la foulée des travaux du Conseil qui se veut autant un guide qu’un superviseur, et surtout un grand pédagogue.

La Politique d’architecture et d’aménagement du territoire trace la route à prendre pour répondre à la crise climatique. Il est de la première importance de reconnaître dès le départ que la seule façon de répondre à l’ambition de transformer nos modes de vie passe par un changement majeur du mode de gestion publique de l’aménagement.

* Cosignataires : Ursula Eicker, titulaire de la chaire d’excellence en recherche du Canada sur les collectivités et villes intelligentes, durables et résilientes à l’Université Concordia ; Raphaël Fischler, professeur titulaire, doyen de la faculté de l’aménagement de l’Université de Montréal ; Marie Lessard, professeure émérite à l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage, faculté de l’aménagement de l’Université de Montréal ; Gonzalo Lizarralde, professeur titulaire, vice-doyen à la recherche à la faculté de l’aménagement de l’Université de Montréal ; Sébastien Lord, professeur agrégé, directeur de l’Observatoire Ivanhoé Cambridge, faculté de l’aménagement de l’Université de Montréal ; Philippe Lupien, professeur à l’École de design de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) ; Christian Savard, directeur général de Vivre en Ville ; Luc-Normand Tellier, professeur émérite du département d’études urbaines et touristiques de l’ESG-UQAM

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