Terra nullius 2021

La reconnaissance du « territoire ancestral non cédé » n’a rien de juridique ni de politique. Tous ceux qui y voient autre chose qu’un geste symbolique marquant le respect et la volonté de rapprochement avec les peuples autochtones commettent une erreur, semblable à celle commise au début de la colonisation de la Nouvelle-France.

Quand les premiers navigateurs et explorateurs français sont débarqués en Nouvelle-France aux XVIe et XVIIe siècles, ils ont découvert un territoire qui était déjà occupé par des peuples depuis plusieurs milliers d’années. C’était un problème pour le roi français, qui souhaitait faire de ce « Nouveau Monde » une nouvelle colonie française. Pour remédier à ce problème, les autorités françaises ont appliqué la doctrine « Terra nullius », qui signifie « terre sans maître » en latin.

En vertu de cette doctrine, des territoires occupés par des populations dites « non civilisées » (ou « sauvages ») étaient considérés comme des terres libres de droit (titre de souveraineté). En plantant une simple croix sur la péninsule gaspésienne, le roi de France pouvait ainsi, en vertu de « Terra nullius », se déclarer souverain de ces nouvelles terres.

À entendre et lire certains commentaires ces derniers jours, j’ai l’impression que ce concept est toujours bien présent. On ne les traite plus de « Sauvages », mais les peuples autochtones ont une histoire encore largement méconnue et leur présence ancestrale sur les terres demeure un sujet sensible.

Au-delà des débats d’historiens sur l’occupation des territoires par les peuples autochtones avant la création du Canada, une chose est sûre : à l’arrivée des Européens, il y avait présence de populations autochtones remontant à plusieurs milliers d’années, et celles-ci occupaient ou contrôlaient tout le territoire habitable.

Au fil de la colonisation et de la création du Canada, plusieurs terres autochtones ont fait l’objet d’ententes dites « de cession » avec la Couronne, des traités historiques, conclus avec les peuples autochtones sur une vaste partie du Canada actuel. Or, au Québec, il n’y a pas eu ce type de traités entre la Couronne et les Autochtones et les terres sont ainsi demeurées « non cédées ».

Il a fallu attendre les années 1970 pour voir les premiers traités signés au Québec. Il s’agit de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois, ainsi que la Convention du Nord-est québécois, des traités modernes conclus avec les Nations crie, inuite et naskapie. Au sud du territoire nordique, il n’y a toujours aucune entente du genre avec les huit autres Premières Nations, même si certaines négocient avec les gouvernements depuis plus de 40 ans.

Voilà pourquoi il est question de « territoires non cédés » au Québec. Une partie de ces territoires, pas toutes, font l’objet de « revendications territoriales » et de négociations qui visent à clarifier le statut juridique des terres occupées historiquement par les Premières Nations. Ces négociations relèvent du domaine politique et (ou) de l’arène juridique.

Or, les déclarations de reconnaissance de territoire autochtone faites par des municipalités ou des institutions, comme celle adoptée par le Canadien de Montréal récemment, n’ont rien de politique ni de juridique.

Que les Mohawks aient occupé le territoire de Montréal ou non ; que ce soient les descendants des Iroquoiens du Saint-Laurent ou non ; que le territoire était plutôt occupé par les Anishinabeg ; ça n’a pas réellement d’importance pour les déclarations de reconnaissance territoriale faites en 2021. Ces déclarations sont une marque de reconnaissance et de respect pour tous les peuples autochtones. On mentionne généralement la nation mohawk puisque, même si elle n’aurait pas été ici en 1642, elle y est aujourd’hui et elle y est depuis au moins 500 ans, soit bien avant la création du club de hockey du Canadien.

Les Mohawks forment une nation distincte (reconnue officiellement par une motion de l’Assemblée nationale en 1985 sous l’impulsion de René Lévesque) tout comme les Québécois forment une nation distincte dans le Canada. La déclaration de reconnaissance territoriale souligne cela.

Je le répète : la reconnaissance du « territoire ancestral non cédé » n’a rien de juridique ni de politique. C’est une marque d’hommage et de respect envers les peuples autochtones. Elle atteste de leur présence, historique et actuelle. Cela s’inscrit dans la volonté d’établir des relations saines et réciproques, dans la poursuite du processus de réconciliation entamé depuis le rapport de la Commission de vérité et réconciliation.

Ceux qui dénoncent ces gestes symboliques d’ouverture et de réconciliation le font ainsi sous de faux prétextes. Laissons donc aux historiens le débat des enjeux historiques et laissons les juristes débattre des questions juridiques. Saluons plutôt les initiatives de rapprochement qui nous invitent au respect et au mieux-vivre ensemble.

Bref, cessons de promouvoir une nouvelle forme de Terra nullius… version 2021.

* Éric Cardinal enseigne le cours Droit canadien et peuples autochtones à l’Université de Montréal

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