PRÉSIDENTIELLE AMÉRICAINE

Trump cède du terrain

Donald Trump a finalement donné lundi soir son feu vert au processus de transfert du pouvoir à Joe Biden, qui avait commencé, sans l’attendre, à dessiner son administration.

« Un premier pas, mais pas la fin du processus »

S’il a ouvert la porte au transfert du pouvoir à Biden, Trump s’est bien gardé lundi de reconnaître la victoire du démocrate

La transition vers une administration Biden à la Maison-Blanche peut enfin commencer. Donald Trump a donné son feu vert, lundi soir, plus de deux semaines après l’annonce de sa défaite à la présidentielle américaine. Cette ouverture, sans être une concession de la victoire à son adversaire, permet à l’équipe de Joe Biden de croire à un transfert du pouvoir « pacifique et sans accroc ».

Dans un tweet diffusé en fin de journée lundi, le président républicain sortant a annoncé que, « dans l’intérêt supérieur [des États-Unis] », il recommandait que l’agence gouvernementale chargée du transfert du pouvoir (GSA) fasse « ce qui est nécessaire concernant les protocoles » et avait demandé à son équipe « de faire de même ».

Ce feu vert permet maintenant à l’équipe de Joe Biden de s’entretenir avec les équipes en place dans les différents ministères, d’entamer le processus de transition avec les agences fédérales et le mouvement de personnel politique.

« Les transitions, ça coûte des sous, tu as besoin du trésor public pour le faire et Donald Trump bloquait l’octroi de fonds à l’équipe de M. Biden », explique Rafael Jacob, politologue et chercheur associé à la Chaire Raoul-Dandurand. « Ce que Trump permet de faire avec cette annonce, c’est de donner à Joe Biden le minimum d’informations dont il aura besoin comme président élu. C’est un premier pas, mais ce n’est pas la fin du processus. »

Le président républicain sortant s’est effectivement bien gardé de reconnaître la victoire de Joe Biden, et promet de poursuivre un « juste combat », alors qu’il multiplie les recours en justice, sans succès, pour tenter de démontrer des fraudes lors du scrutin du 3 novembre.

« [Trump] ne concède rien. Il y a une nuance fondamentale entre une concession et ce qu’il a annoncé [lundi] soir. Mais ce n’est quand même pas rien, dans le contexte où il ne cède pas un pouce depuis deux semaines, et […] d’un point de vue pratico-pratique, c’est plus important ce qu’il a annoncé que de concéder. »

— Rafael Jacob, politologue et chercheur associé à la Chaire Raoul-Dandurand

Le politologue déplore du même souffle qu’en ne concédant pas la victoire, « Trump a beau donner accès à Biden à tout ce dont il a besoin, il ne guérira pas cette perception d’illégitimité qu’il lui a attachée au cou aux yeux de dizaines de millions d’Américains ».

Elizabeth Sanders, politologue à l’Université Cornell, croit pour sa part que « Trump a dû recevoir suffisamment de critiques de ses proches pour passer à autre chose ».

« Je pense vraiment que c’est fini. Il y a tellement de gens dans le Parti républicain qui pensent qu’il devrait simplement passer à autre chose », a-t-elle réagi lorsque jointe par La Presse, lundi soir. Elle parle même de « résurgence du Parti républicain institutionnel ».

Selon elle, les ténors du parti craignent que la mauvaise publicité entourant ces contestations judiciaires nuise au parti en général.

« Je pense que le pouvoir institutionnel du parti est maintenant assez grand pour qu'ils se tournent vers Trump et disent : ‟Il faut passer à autre chose, car cela ne vaut pas la peine et cela nuit au parti et à nos futurs espoirs présidentiels.” »

— Elizabeth Sanders, politologue à l’Université Cornell

Jusqu’à maintenant, le président désigné n’avait toujours pas, plus de deux semaines après l’annonce de sa victoire, accès aux informations classées « secret défense » sur les questions ultra-sensibles concernant la sécurité des États-Unis, comme c’est l’usage. Il n’avait pas non plus pu commencer à coordonner avec l’équipe Trump la gestion de la pandémie de COVID-19, qui a fait plus de 256 000 morts aux États-Unis.

Décision « indépendante » de l’agence fédérale

Avant même la diffusion du tweet de Donald Trump, plus tôt dans la journée, la GSA avait envoyé une lettre informant Joe Biden que la voie était ouverte à la transition.

« À cause de récents développements impliquant des recours en justice et des certifications de résultats électoraux, je vous transmets cette lettre aujourd’hui pour que ces ressources et ces services vous soient fournis », a écrit la patronne de la GSA, Emily Murphy, qui a été nommée par l’administration Trump.

« Veuillez noter que j’ai pris cette décision de manière indépendante, sur la base du droit et des faits à ma disposition », poursuit-elle dans la lettre diffusée lundi soir par plusieurs médias.

« Je n’ai jamais fait l’objet de pressions, directes ou indirectes, d’un responsable d’une branche de l’exécutif, quelle qu’elle soit », à la Maison-Blanche ou à la GSA, précise-t-elle, tout en tenant à faire état de « menaces » contre sa personne, sa famille, son personnel « et même [ses] animaux domestiques » en raison du délai entre l’annonce de la victoire de M. Biden et la décision de l’agence.

L’équipe du démocrate a aussitôt salué dans un communiqué une étape fournissant « à la prochaine administration les ressources et le soutien nécessaires pour mettre en œuvre un transfert du pouvoir pacifique et sans accroc ».

« Dans les jours à venir, les responsables de la transition commenceront à rencontrer des responsables fédéraux pour discuter de la réponse à la pandémie, avoir un compte rendu complet de nos intérêts en matière de sécurité nationale et acquérir une compréhension complète des efforts de l’administration Trump pour évider les agences gouvernementales », a déclaré Yohannes Abraham, directeur général de la transition du Parti démocrate.

Un haut responsable de la Maison-Blanche a rapporté à CNN que des membres du personnel ont d’abord été pris au dépourvu par la lettre de la GSA, dont ils auraient appris le contenu dans les médias, mais qu’ils commenceraient à coopérer avec l’équipe de transition de Biden dès qu’ils auraient plus d’informations sur les étapes à suivre.

— Avec l’Agence France-Presse

États-Unis

La victoire de Biden dans le Michigan officiellement certifiée

La victoire du démocrate Joe Biden dans l’État-clé du Michigan a été officiellement certifiée lundi, un nouveau revers pour Donald Trump, qui refuse toujours de concéder sa défaite à la présidentielle du 3 novembre. Une commission a validé le décompte des résultats dans cet État doté de 16 grands électeurs, où Joe Biden dispose d’une avance de plus de 155 000 voix sur 5,5 millions de suffrages exprimés. Un des quatre membres de cette commission, un républicain, s’est abstenu, reprenant à son compte les accusations d’irrégularités proférées, sans preuve, par le président sortant qui avait remporté d’un cheveu cet État en 2016. C’est « inacceptable » qu’il reste « tellement de questions non résolues », a déclaré Norman Shinkle, lors d’une réunion retransmise en direct en ligne et suivie par des dizaines de milliers de personnes. Le deuxième républicain siégeant à la commission de certification du Michigan, Aaron van Langevelde, a toutefois estimé lundi qu’il y avait beaucoup de « mauvaises interprétations sur le rôle » de cet organe. « La démocratie a prévalu », a réagi pour sa part sur Twitter la secrétaire d’État du Michigan, Jocelyn Benson.

— Agence France-Presse

GM largue Trump

General Motors (GM) a annoncé lundi qu’elle retirait son soutien au président Trump, dont l’administration conteste devant les tribunaux les règles plus strictes de la Californie en matière d’émissions polluantes pour les véhicules. Le New York Times rapporte d’ailleurs que GM presse ses concurrents, Chrysler et Toyota, de faire de même. La multinationale a du même coup infligé un véritable camouflet à Donald Trump, qui conteste toujours les résultats de l’élection présidentielle. « Le président désigné, Joe Biden, a dit récemment qu’il croyait qu’on pouvait dominer le marché automobile du XXIe siècle avec la voiture électrique. Chez GM, nous sommes tout à fait d’accord », a signalé le patron de l’entreprise dans une lettre envoyée aux principaux groupes environnementaux des États-Unis.

— Éric-Pierre Champagne, La Presse

ÉTATS-UNIS

La future administration Biden se met en place

Le président désigné mise sur des candidats expérimentés qui ont en commun d’appartenir à l’establishment du Parti démocrate

Sans attendre le feu vert de l’administration Trump, le futur gouvernement de Joe Biden a commencé lundi à se mettre en place, avec une priorité aux personnalités chevronnées ayant servi sous Barack Obama, comme Antony Blinken, futur chef de la diplomatie américaine, ou Janet Yellen, pressentie au Trésor.

L’ancien secrétaire d’État John Kerry, 76 ans, fera lui aussi son retour à Washington en tant qu’émissaire spécial du président sur le climat, signe de l’importance qu’accorde Joe Biden à ce dossier.

Le démocrate de 78 ans cherche aussi à faire une plus grande place aux femmes et aux minorités.

Il prévoit ainsi, selon une source dans son entourage, nommer l’ancienne présidente de la Banque centrale Janet Yellen, 74 ans, au Trésor, un poste occupé uniquement par des hommes jusqu’ici. Il s’agit d’un choix logique et qui devrait faire l’unanimité, selon Elizabeth Sanders, politologue à l’Université Cornell.

Le retour de l’expertise

« Ce qui m’a épaté, c’est la compétence des gens nommés. Ça fait quatre ans qu’on n’a pas vu ça », souligne Charles-Philippe David, président de l’observatoire sur les États-Unis de la chaire Raoul-Dandurand.

« Joe Biden met sur pied une certaine continuité, mais signale en même temps qu’il n’est pas Obama 2.0 », estime Sharon Weiner, politologue à l’American University de Washington DC.

« Pour Biden, l’expertise compte et son administration va gouverner en se basant sur la raison, les données et l’analyse, tout en laissant place à des points de vue dissidents. »

— Sharon Weiner, politologue à l’American University de Washington DC

Selon les experts consultés, le choix de procéder d’abord à des nominations en affaires étrangères envoie le signal que les États-Unis seront de retour sur la scène mondiale après quatre ans d’une politique étrangère basée sur le repli sur soi.

Au poste-clé de secrétaire d’État, Biden donne une promotion à Antony Blinken, 58 ans, un de ses principaux conseillers en diplomatie et ex-numéro deux du département d’État sous le président Barack Obama.

Fervent partisan du multilatéralisme, « Tony » Blinken devrait s’attaquer en priorité au dossier du nucléaire iranien. S’il est confirmé par le Sénat, il succédera à Mike Pompeo comme chef de la diplomatie.

Le climat, une « menace urgente »

La nomination de John Kerry le propulse dans la garde rapprochée du président désigné au sein du National Security Council. « Avoir un responsable des changements climatiques à ce conseil envoie le message que l’action en ce sens est une des plus grandes priorités de cette administration », note Sharon Weiner.

John Kerry sera pour sa part immédiatement chargé de faire revenir les États-Unis dans l’accord de Paris qu’il avait négocié en 2015, et que Donald Trump avait ensuite déchiré. Il a promis de traiter « la crise climatique comme la menace urgente de sécurité nationale qu’elle est ».

Nominations centristes

Les candidats sélectionnés ont en commun d’appartenir à l’establishment du Parti démocrate américain.

« L’aile progressiste doit grincer des dents. Ce sont des nominations très traditionnelles et très centristes », affirme Charles-Philippe David.

« Les progressistes doivent mettre leurs espoirs sur la nomination de Bernie Sanders au secrétariat du Travail. »

— Charles-Philippe David, président de l’observatoire sur les États-Unis de la chaire Raoul-Dandurand

Linda Thomas-Greenfield, 68 ans, est nommée ambassadrice aux Nations unies. Cette nomination d’une femme afro-américaine sert à reconnaître les sacrifices de hauts fonctionnaires du secrétariat d’État qui ont été malmenés et oubliés pendant les quatre ans du mandat de Trump, selon Charles-Philippe David.

Alejandro Mayorkas devrait pour sa part, s’il est confirmé, devenir le premier Hispanique ministre à la Sécurité intérieure.

Le président désigné a également l’intention de nommer Avril Haines, 51 ans, première femme qui occuperait le poste de directrice du Renseignement national, et Jake Sullivan, 43 ans, comme son conseiller à la Sécurité nationale.

Charles-Philippe David « ne voit pas d’embûches » à la confirmation de tous ces candidats par le Congrès américain.

L’équipe de transition n’a pas encore annoncé de candidat pour le poste important de secrétaire à la Défense. Selon M. David, Michèle Flournoy, une autre ancienne de l’administration Obama, a de bonnes chances de devenir la première femme à avoir ce titre. Elle succéderait à Christopher Miller, nommé le 10 novembre dernier.

Joe Biden et sa vice-présidente Kamala Harris doivent faire un discours pour annoncer formellement ces nominations ce mardi à Wilmington, dans le Delaware.

— Avec l’Agence France-Presse

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