Covid-19

Et si le remède était dans la poche... de plasma ?

En Lombardie, les hôpitaux obtiennent des guérisons spectaculaires en injectant aux malades du sang retraité prélevé chez les convalescents

C’est peut-être le nouvel or jaune. Tandis que le monde entier se focalise sur la course au vaccin, des médecins italiens sont persuadés de l’efficacité d’un traitement simple et bon marché : le sang des personnes rétablies. Riche en anticorps, il peut, une fois débarrassé des globules rouges et blancs, être administré à un receveur du même groupe sanguin. Mais la communauté scientifique est divisée. Et les empoignades fiévreuses.

Elle s’est vue perdre son bébé et mourir. Mais le 25 juillet, Pamela a accouché de sa deuxième fille, au double prénom : Beatrice Victoria, 3,2 kilos. « Victoire » pour ne jamais oublier la guerre gagnée contre la mort. Trois mois plus tôt, enceinte de six mois, Pamela était hospitalisée dans la zone Covid de la maternité de l’hôpital Carlo Poma de Mantoue, en Lombardie, région italienne la plus touchée par le virus. La première nuit est mauvaise : au réveil, incapable d’articuler un mot, de bouger, Pamela crache du sang. « Le docteur De Donno m’a expliqué que les traitements risquaient de provoquer une fausse couche, mais que la transfusion du plasma prélevé chez des convalescents me permettrait de recevoir les anticorps qui les avaient guéris. »

A l’époque, le docteur n’est « que » chef du service de pneumologie de cet hôpital. Admise en soins intensifs, Pamela est placée sous assistance respiratoire, avant de recevoir une première poche de plasma : 300 millilitres, administrés en une trentaine de minutes. Elle ne ressent aucun effet « mais les médecins notent des améliorations », se souvient-elle. Le surlendemain, clouée au lit, seconde dose : « Alors même que j’étais perfusée, j’ai senti que je guérissais. Je n’avais plus de fièvre, je ne toussais plus. » Bientôt, elle respire sans aucune aide. Sept jours après, son test Covid vire au négatif.

L’intérêt du plasma de convalescents n’a pas été démontré scientifiquement, mais partout en Italie on réclame le précieux liquide. Deux poches sont envoyées à Palerme, par avion militaire, pour tenter de sauver une autre femme enceinte, plongée dans le coma. Elle s’en sort. « Miracle à Palerme », titrent les journaux. Et des Etats-Unis à l’Inde, de l’Iran au Chili, le plasma de convalescents devient le remède que tout le monde s’arrache. Au Pakistan, des poches se vendent jusqu’à 900 euros au marché noir. Le 23 août, veille de son investiture par le Parti républicain, Trump débloquait 600 millions de dollars pour ce « magnifique ingrédient » qui va « sauver un nombre incalculable de vies ». Il autorise, en urgence, sa transfusion aux malades.

Pour comprendre comment tout a commencé, il faut quitter Mantoue et gagner Pavie, à moins de 150 kilomètres. L’hôpital San Matteo, fondé au XVsiècle, est aujourd’hui un centre de recherche mondialement reconnu. Le 29 février, le virus est officiellement recensé sur le territoire italien depuis seulement huit jours, mais dix communes de Lombardie sont déjà en quarantaine et le pays dénombre 11 128 cas et 29 décès. La revue « Science » annonce : « Le coronavirus semble impossible à arrêter. » Après une nuit sans sommeil au chevet des patients, le professeur Raffaele Bruno, chef du département des maladies infectieuses, et son collègue, le professeur Fausto Baldanti, patron du service de virologie, refont ce monde que le mal envahi  : « On avait avalé peut-être 8 000 cafés chacun, se souvient le second. On était débordés et on avait déjà compris que les médicaments qu’on utilisait ne fonctionnaient pas. On réfléchissait à tout ce qui pourrait servir. Des techniques les plus modernes aux plus anciennes. On a pensé à la transfusion du plasma, utilisée notamment lors de la pandémie de grippe espagnole, il y a plus d’un siècle. On a contacté le professeur Perotti. » Expert du sang, patron du service d’immunohématologie, il s’apprête à grimper sur sa moto quand il reçoit leur appel. Sans hésiter, il accepte. Les trois médecins établissent un protocole : « On a décidé de n’utiliser que des poches comportant un nombre élevé d’anticorps, pour les transfuser à des malades souffrant d’insuffisance respiratoire grave depuis moins de dix jours », détaille Perotti. Le comité d’éthique valide. Depuis Mantoue, Giuseppe De Donno et son collègue, le professeur Franchini, directeur du service d’immunohématologie, les contactent. Ensemble, ils initient un premier essai thérapeutique qui concernera 46 patients. La collecte de plasma, obtenu en retirant du sang globules rouges et globules blancs, s’organise. Le 28 mars, à Mantoue et à Pavie, deux premiers malades en reçoivent. De Donno raconte : « Notre patient a été perfusé à 14 heures. A 23 heures, on réduisait le taux d’oxygène dont il avait besoin, sa fièvre et sa toux avaient disparu. J’ai appelé Franchini : “C’est gagné !” »

80 % de guérison dans les maisons de retraite

Le 23 juillet, les conclusions de l’essai sont publiées. « Quand on a commencé, un malade hospitalisé sur trois était condamné. Avec le plasma, on est passé à un sur seize », se félicite Baldanti. Depuis, l’équipe de Mantoue a mené deux autres essais. Rescue, à destination de personnes âgées ; Clean, pour celles qui sont positives au virus depuis longtemps – certaines depuis plusieurs mois ! « On a noté 80 % de guérisons dans les maisons de retraite, assure De Donno, alors que le taux de mortalité était de 50 %. Et les trois patients déjà inclus dans Clean sont enfin négatifs. » Mais, les mêmes reproches leur sont adressés qu’au professeur Raoult avec son hydroxychloroquine : aucun de leurs essais n’a été entrepris selon les règles de l’art. « Qui aurait accepté au plus fort de la vague l’administration d’un placebo ? Il y avait aussi une question d’éthique », s’énerve Cesare Perotti. Il existe un essai randomisé, réalisé en Chine, mais sur peu de patients. « Il n’a pas démontré d’amélioration sur les délais de guérison, la sortie de réanimation et la mortalité », selon le professeur Hoen, directeur de la recherche médicale à l’Institut Pasteur. « Le plasma a été administré trop tardivement », répliquent les Italiens. Depuis, plus de cent études « dans les clous » sont en cours aux Etats-Unis, en France, en Italie…

Le plasma n’est qu’une « soupe » bon marché. Le stade suivant, c’est l’extraction « des immunoglobulines -hyperimmunes que l’on purifie pour n’administrer que les anticorps spécifiques », explique Bruno Hoen. Leur fabrication industrielle a débuté. Ailleurs, des pistes inspirées du plasma de convalescents sont explorées. Associée au CHU de Nantes, la biotech Xenothera a mis au point une technique sophistiquée, à partir d’un élevage de porcs génétiquement modifiés. « Quand on leur administre la protéine responsable de la maladie, les porcs développent des anticorps spécifiques que l’on appelle anticorps polygonaux », détaille le professeur Raffi, chef du service des maladies infectieuses chargé des essais. Si la teneur en anticorps du plasma utilisé par les Italiens doit dépasser 160, « celle de nos meilleurs “jus” dépasse les 100 000 », assure Odile Duvaux, présidente de Xenothera. La phase 3 des essais cliniques nantais devrait inclure 350 patients répartis sur 32 hôpitaux français. Et le financement accordé par le Secrétariat général pour l’investissement prévoit la production de 20 000 à 50 000 traitements par mois pour mi-2021. Mais, à cause du nombre trop élevé d’essais en cours (84 rien qu’en France), l’autorisation de lancement de la recherche, promise le 16 avril par l’Agence nationale de sécurité du médicament, n’est arrivée que le 10 août.

Quatre mois perdus ici, et combien en Italie ? « On aurait dû utiliser le plasma de manière intensive, parce qu’il n’y avait rien d’autre et que c’était simple. En refusant d’avoir l’humilité de le reconnaître, la médecine a failli », estime Massimo Franchini. Si son usage avait été généralisé, « 3 000 morts » auraient pu, selon lui, être évitées en Italie.

Le traitement coûte au maximum 400 euros par patient. D’où le peu de zèle des laboratoires, plus intéressés par un vaccin

A Mantoue et à Pavie, le plasma est fabriqué par les hôpitaux. Chaque poche coûte entre 85 et 130 euros. Une suffit en général, parfois on en compte jusqu’à trois, soit un coût maximal de 400 euros par traitement. Ces médecins soupçonnent que le peu d’intérêt suscité par leur liquide jaune est lié à cette absence de profit pour les industriels. L’immense majorité de l’argent dévolu à la course contre le Covid est partie dans la quête d’un vaccin impossible à produire avant dix-huit mois. Pourquoi ? Rien qu’en communiquant sur le début de la phase d’essai clinique, le laboratoire Novavax a vu ses actions bondir de plus de 3 580 %… Une immense partie de poker menteur à plusieurs milliards de dollars se joue au détriment de la recherche sur des traitements qui, pour la plupart, sont des médicaments existants, remis en selle par l’industrie pharmaceutique.

Porté aux nues dans son pays, voici soudain De Donno accusé d’avoir écrit lui-même les messages laudateurs d’un médecin américain qui n’aurait jamais existé. A Nantes, François Raffi a été pris pour cible. Des menaces de mort destinées à Didier Raoult auraient été proférées depuis le téléphone de son service ! Raffi, rappellent ses détracteurs, est l’hospitalier français qui a reçu le plus d’argent des laboratoires en 2019 : 541 729 euros pour financer ses recherches. « Il est impossible de faire avancer la science et les nouveaux médicaments sans liens avec ceux qui les développent », justifie-t-il. En 1901, Emil Adolf von Behring obtenait le premier prix Nobel de médecine pour ses travaux sur le plasma : « Il a ouvert une voie nouvelle et a placé entre les mains du médecin une arme victorieuse contre la maladie et la mort. » C’était il y a cent dix-neuf ans. Une histoire sans fin.

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