Éditorial COVID-19

À la défense des « gérants d’estrade »

Il y avait quelque chose d’un peu populiste dans l’appel du Dr Horacio Arruda à défier les « gérants d’estrade » cette semaine.

Le directeur national de santé publique est peut-être à cran, on le comprendrait. Qui ne l’est pas ces temps-ci, après tout ?

Mais l’impatience qu’il a manifestée en point de presse, jeudi, d’abord contre les soi-disant « experts » et ensuite contre la conseillère scientifique en chef du premier ministre Trudeau, dépasse la simple saute d’humeur. Car cette impatience l’a mené sur un terrain glissant : celui du décideur qui décide que ses décisions n’ont pas à être contestées.

« Je vous le dis, les gérants d’estrade, ces personnes qui disent que c’est ça qui devrait être fait, il y en a plein. Mais méfiez-vous des gens qui ont la vérité », a-t-il lancé.

En soi, la phrase peut paraître anodine. Mais quand on la remet dans le contexte de son point de presse, on réalise que M. Arruda répète plusieurs fois qu’il prend des décisions chaque jour « avec le feedback de la population ». Il accueille ainsi les commentaires de « la population du Québec »… mais pas ceux de tous ces « experts qui parlent ». Ceux dont il faudrait donc se « méfier ».

De qui parle-t-il, au juste ? De ceux, on le devine, qui posent des questions tous les jours, qui contestent, qui critiquent, peu importe la fonction qu’ils occupent.

Cela est sans doute agaçant en pleine gestion de crise, surtout qu’il est facile de critiquer assis confortablement dans les gradins. Mais rappelons néanmoins qu’en démocratie, la légitimité de celui qui prend des décisions lourdes de conséquences sur la population vient de son autorité… mais aussi des réponses qu’il donne aux questions et aux commentaires qu’elles suscitent.

Et à défaut d’avoir un accès direct à chaque Québécois, c’est aux journalistes et aux commentateurs que revient la tâche de poser les questions et d’exiger des comptes. C’est aux acteurs politiques, aux partis de l’opposition, aux syndicats et aux représentants des autres ordres de gouvernement.

Ce qui nous mène à Mona Nemer, conseillère scientifique en chef du premier ministre du Canada, qui a osé dénoncer la « mauvaise planification » dans la stratégie de dépistage de Québec.

« Écoutez, je ne répondrai pas à madame, a répliqué sèchement le Dr Arruda, étant donné que je considère que je n’ai pas à rendre de comptes à cette dame, mais à la population du Québec puis à mes autorités. »

« Elle a droit à ses opinions, a-t-il ajouté, je la respecte, mais moi, je pense qu’elle n’a pas toutes les informations. C’est nous, sur le terrain, qui avons les informations pour être capables de le faire. »

Hum. Donc les critiques des gérants d’estrade n’ont pas de grande valeur… et les critiques des scientifiques qui ne sont pas sur le terrain non plus. Mais dans ce cas, qui reste-t-il pour poser des questions ?

Un regard extérieur est pourtant sain en politique, voire très utile. Et ce, même en temps de crise. En fait, surtout en temps de crise…

Ce sont des journalistes qui ont levé le drapeau rouge au sujet du CHSLD Herron, du manque de protection pour le personnel des maisons pour aînés et des contradictions de certains messages gouvernementaux.

C’est la pression médiatique qui a forcé Québec à revoir et à clarifier sa position sur les masques, sur les rassemblements extérieurs et sur la vulnérabilité des 60 à 69 ans.

Et ce sont les experts en épidémiologie qui forcent actuellement le Dr Arruda à expliquer les ratés, jugés prévisibles, de son plan de dépistage.

Entendons-nous. Personne ne demande à M. Arruda « d’être parfait puis d’avoir la vérité », comme il l’a dit jeudi. On lui demande simplement de continuer de faire preuve de transparence et de répondre aux questions que ses décisions, et parfois ses volte-face, peuvent susciter. Surtout quand il y a de plus en plus de flou et de mou, comme c’est actuellement le cas.

On ne doute pas que le trio Legault-Arruda-McCann soit le mieux placé, au jour pour le jour, pour prendre les décisions qui s’imposent. Peu de gens voudraient être à leur place, mais cela ne les dispense pas d’expliquer, de justifier, de motiver leurs faits et gestes… même quand les questions posées proviennent de la « dame » d’Ottawa ou des soi-disant « experts » et « gérants d’estrade ».

Car comme le soulignait vendredi Paul Journet dans ces écrans, la confiance envers le gouvernement est forte, mais fragile. Surtout dans un contexte où le Québec ne brille pas par son bilan sanitaire.

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